Au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon sont assis messieurs Grandjaune (commerçant) et Labière (salarié expatrié); le serveur indigène en veste blanche se tient en faction devant eux ; en arrière-plan, un ventilateur de plafond tourne paresseusement.
Grandjaune :
(se curant les dents)
Il y en a qui se lamentent à propos de l’agonie inéluctable du plein emploi dans tout l’occident démocratique, libre et heureux. A ceux-là, je dis : réfléchissez un tant soit peu !
Labière :
C’est comme moi. Au bureau, on a un programme de réinsertion professionnelle. Coup de bol : on a que des filles…
Grandjaune :
(contemplant un bout de viande au bout de son cure-dents)
Derechef, il faut cesser de confier à des personnes incompétentes préoccupées par des questions futiles, comme l’éducation de leurs moutards ou les prochaines traites sur leur F4, des tâches sans objet qui n’ont qu’un véritable objectif : la sacro-sainte fiche de paie !
Labière :
(allumant un cigare)
On en a une qui vient de je ne sais plus quelle cité de banlieue. Et ben cette jupette de skaï, mon vieux, sans parler des cuisses en-dessous…
Grandjaune :
Aux cohortes qui font la queue devant les guichets des agences du soi-disant « pôle emploi », annonçons- le d’une voix ferme et sereine : « mesdames, messieurs, le chômage rend libre ! ». Comme disait l’autre : Nicht arbeit macht freï !
Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.
Labière :
(soufflant un nuage de fumée)
Ils l’ont mise à la photocopieuse. Ça m’arrange, j’adore faire des photocopies…
Grandjaune :
(empoignant son verre avec une sombre détermination)
Ne nous voilons pas la face. L’inactivité sera bientôt notre meilleur atout. C’est la tête haute et le regard fier que nous observerons les hordes faméliques et néanmoins laborieuses du tiers-monde s’entretuer pour un anachronique boulot dont nous ne voulons plus !
(Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir)
Instituons la fainéantise ! C’est par la paresse que nous maintiendrons notre suprématie !
Labière :
(souriant, faisant signe au serveur)
Je vais lui proposer de faire des photocopies coquines. Je m’en fous, ils me les remboursent, les photocopies, au bureau…
(Après une révérence, le serveur remplit leurs verres)