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Un p’tit resto ?

Publié par le 8 octobre 2014

Au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon sont assis messieurs Grandjaune (commerçant) et Labière (salarié expatrié); le serveur indigène en veste blanche se tient en faction devant eux ; en arrière-plan, un ventilateur de plafond tourne paresseusement.

Grandjaune :
(se curant les dents)
En cette ère de mondialisation salutaire, alors que les flux de marchandises et d’argent sont devenues les vraies religions de l’humanité, force est de reconnaître l’appétissante réalité : le produit français qui s’exporte avec le succès le moins contestable, c’est le petit restaurant bien-de-chez-nous !

Labière :
C’est comme moi. Quand je l’invite à sortir, ma femme veut toujours manger local. Elle dit que ça l’excite d’être servie par des indigènes…

Grandjaune :
(contemplant un bout de viande au bout de son cure-dents)
Alors que des populations entières crèvent de faim, les enseignes gastronomiques champignonnent sur les avenues des capitales en développement. Plantés au milieu de hordes affamées, des cuistots en contreplaqué proposent à l’envi les délices du lointain terroir. Les coolies en détresse s’égorgent pour un bol de riz tandis que les meilleurs légumes du pays finissent en julienne et autres robes-des-champs. Moi, je n’y trouve rien à redire !

Labière :
(allumant un cigare)
Mon aînée suit un régime à base de hamburgers et de vodka, rhum, whisky. Le fiston, lui, ne jure plus que par un certain restaurant philippin : il est amoureux d’une de leurs serveuses…

Grandjaune :
Attablé en terrasse devant un flacon de rosé d’Anjou, bon citoyen en harmonie avec ses racines, l’expatrié français brave avec aisance la chaleur des tropiques et les regards suppliants des enfants nus. Il sait rester stoïque : sa salade aux foies de volailles serait-elle plus délectable s’il la partageait avec les affamés ? Quel pourcentage de bœuf-mode distribué à la cantonade constituerait-il un seuil acceptable de générosité ?

Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.

Labière :
(soufflant un nuage de fumée)
Le cadet, n’en parlons pas, il est en pleine période pizza-jambon…

Grandjaune :
(empoignant son verre avec une sombre détermination)
N’éprouve nulle fausse honte, citoyen de France ! La globalisation, c’est l’échange des compétences. Qu’as-tu de mieux à offrir à cette planète en déshérence morale que ton proverbial bistèque aux patates frites, ton tablier de sapeur à la lyonnaise et ta Montbéliard en croûte ?

(Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir)

Gobergeons-nous sans entraves ! Le seul indicateur réellement fiable du développement d’une contrée émergente, c’est sa consommation annuelle de Brie primeur !

Labière :
(souriant, faisant signe au serveur)
J’ai résolu le problème : je leur refile les tickets-restaurants qu’ils me donnent au bureau et moi, je vais manger japonais. C’est intestinal : je ne supporte plus que les sushis…

(Après une révérence, le serveur remplit leurs verres)

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