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C’est prêt-à-porter !

Publié par le 3 décembre 2014

Au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon sont assis messieurs Grandjaune (commerçant) et Labière (salarié expatrié); le serveur indigène en veste blanche se tient en faction devant eux ; en arrière-plan, un ventilateur de plafond tourne paresseusement.

Grandjaune :
(se curant les dents)
Quand certains pseudos humanistes , héritiers putatifs d’un socialisme désuet, versent des larmes de crocodiles sur le sort d’ouvrières du textile bengladeshis ou autres ensevelies sous les décombres de leur fabrique, je dis : rangez vos mouchoirs !

Labière :
C’est comme moi. J’ai dessiné moi-même l’uniforme de mes employées de maison…

Grandjaune :
(contemplant un bout de viande au bout de son cure-dents)
Enfin délivrée de la rizière paternelle, après des siècles d’esclavage familial, la demoiselle indigène découvre les joies du travail à la chaîne, de la machine à coudre électrique et du salaire perçu à jour fixe. Je pose la question : qu’y voit-on à redire ?

Labière :
(allumant un cigare)
C’est une sorte de blouse dans les tons pastels, très courte sur les cuisses et très échancrée sur la poitrine. Comme je dis toujours : autant joindre l’utile à l’agréable…

Grandjaune :
Ainsi, la ménagère de métropole économiquement limitée peut arborer en soirée la petite robe noire qui va avec tout. Monsieur gagne son lieu de travail en chemise indéfroissable sans y perdre son salaire, tandis que leur fils entre au collège en tisheurte de marque, évitant d’être la risée de ses copains !.

Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.

Labière :
(soufflant un nuage de fumée)
L’autre jour, j’ai surpris mon dernier travesti en uniforme de bonniche. Avec un porte-jarretelles, en plus. Sa mère n’aurait pas été là, il se serait pris une trempe, le petit vicieux…

Grandjaune :
(empoignant son verre avec une sombre détermination)
Ne nous arrêtons pas en si bon chemin ! Confions la fabrication des escarpins de nos moitiés à des Balinaises ! La dentelle de leurs soutiens-gorges à des Pakistanaises ! Quant à nos slips taille-haute et nos chaussettes, il y a assez de Salvadoriennes pour s’en occuper !

(Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir)

Osons regarder la vérité en face ! C’est de la précarité des petites mains du tiers-monde que dépend le confort vestimentaire de l’occident !

Labière :
(souriant, faisant signe au serveur)

Du coup, j’ai recommandé un nouvel uniforme. Pantalon long et chemiser boutonné au col. J’espère qu’ils vont accepter de me rembourser, au bureau…

(Après une révérence, le serveur remplit leurs verres)

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