browser icon
You are using an insecure version of your web browser. Please update your browser!
Using an outdated browser makes your computer unsafe. For a safer, faster, more enjoyable user experience, please update your browser today or try a newer browser.

L’animalerie, les bêtes pleurent…

Publié par le 17 décembre 2014

Au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon sont assis messieurs Grandjaune (commerçant) et Labière (salarié expatrié); le serveur indigène en veste blanche se tient en faction devant eux ; en arrière-plan, un ventilateur de plafond tourne paresseusement.

Grandjaune :
(se curant les dents)
Quand j’entend certaines âmes dites sensibles pleurnicher sans fin sur la disparition soi-disant galopante des espèces animales sauvages et de l’amenuisement programmé de la sacro-sainte biodiversité, je me retiens de pousser une seule et unique onomatopée : PAN !

Labière :
C’est comme moi. Ma petite dernière a absolument voulu une chatte. Quand la grande a pris son parti, j’ai cédé. J’ai acheté une petite « Colorpoint Shorthair » de trois semaines, très mignonne…
 
Grandjaune :
(contemplant un bout de viande au bout de son cure-dents)
Des cohortes de rastacouères barbus nippés en vieux treillis flanqués de laiderons hystériques défilent le poing levé, l’injure à la bouche et le regard envapé de substances, sous le fallacieux prétexte que telle grenouille tigrée, tel marsupial ignoré du commun ou tel pélican à pattes rouges se trouve forcé d’emprunter la voie de sa disparition. Je dis : la belle affaire !

Labière :
(allumant un cigare)
On peut dire que ça m’a coûté bonbon ! La « Colorpoint Shortair » est originaire du Siam. Il paraît qu’on n’en trouve plus beaucoup. Une chatte rare en Thaïlande, ça laisse songeur…

Grandjaune :
Ne nous y trompons pas : du point de vue de l’humain, le synonyme le plus proche de « nuisible », c’est « inutile ». N’en déplaise aux défenseurs attardés d’une chimérique nature, je pose les questions suivantes : combien de litres de lait consommable par an une femelle hippopotame peut-elle fournir ? L’aigrette bleue des marais est-elle découpable en nuggets ? Le cœlacanthe barbu supporterait-il le court-bouillon ? A-t-on la moindre chance de voir le hamburger à cheval remplacé par un hamburger à zèbre ?

Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.

Labière :
(soufflant un nuage de fumée)
La petite l’a nourrie pendant quinze jours, avant d’oublier jusqu’à son existence. Quand je m’en suis aperçu, on a fouillé toute la maison pour la retrouver, en appelant : « Minouchka !… Minouchka !… ». On avait l’air malin ! Finalement, il s’est avéré que les domestiques l’avaient mangée…

Grandjaune :
(empoignant son verre avec une sombre détermination)
Pas de retour possible. Le rétropédalage nous est désormais interdit. Les choix sont limités, les réponses évidentes : La forêt pour les petits oiseaux ou le bois pour les placards en kit à bas prix ? De l’espace vital pour les orangs-outans ou du biocarburant ? Des coraux sous-marins superfétatoires ou des boîtes de thon à la tomate, quatre achetées, la cinquième offerte ?

(Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir)

Pas de pitié pour les bestioles ! Depuis que le monde est monde, la vraie loi de l’évolution, c’est la raréfaction !

Labière :
(souriant, faisant signe au serveur)
Maintenant, c’est ma femme qui exige un chihuahua. Je suis passé à la boutique, ça va me coûter un bras ! Je vais voir si je peux le faire passer en frais, au bureau. Après tout, ça existe peut-être, le « chien de fonction »…

(Après une révérence, le serveur remplit leurs verres)

5 Responses to L’animalerie, les bêtes pleurent…

Laisser un commentaire