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Bouquin-quizz n°13

Publié par le 27 février 2015

 

Bonjour à tous.
Voici un extrait de… Je veux dire d’un roman de…
Non. Finalement, je ne vais pas vous l’indiquer. Ça vous amusera peut-être d’essayer de deviner.
Et si ça ne vous amuse pas, je vous conseille de le lire quand même. Ça vaut !

Juste après que le boom du pétrole se fut mis en marche, je décrochai un emploi comme vendeur de journaux à la criée. Je passais ma tête dans toutes les portes, non pas tant pour y vendre des journaux que pour simplement essayer de comprendre de quels diables d’endroits avaient pu surgir tous ces braillards. Les jeunes durs, dont un ou deux étaient nouveaux en ville, s’étaient rués sur les coins où l’on vendait le mieux, alors je faisais la tournée des immeubles, car je connaissais la plupart des propriétaires, contrairement aux autres gamins.

Notre Grand-Rue avait à peu près huit pâtés de maisons de long. Et le samedi était le jour où tous les fermiers venaient en ville s’entasser avec les quelques milliers de chasseurs de gisements de pétrole joueurs et baroudeurs. Chez nous, on les appelait les « boomchasers ». Une immense armée roulante de durs-à-cuire et leurs familles dures-à-cuire. Les boutiques jetaient leurs clés et restaient ouvertes vingt-quatre heures par jour. Quand une armée sortait du lit, une autre armée s’y glissait. Quand une armée défilait hors du café, une autre s’y enfilait. Aussitôt qu’une armée s’était ruinée dans les machines à sous des maisons de filles, elle en était chassée et une autre armée s’y entassait.

J’entrai dans une maison de jeux avec une salle de poker dont les murs étaient tapissés de grandes photos de femmes nues. Chaque table était occupée par deux à six hommes braillant, gesticulant et se débattant pis que des Indiens sauvages, jurant contre la poisse et priant le dieu de la chance. Des boules de billard sautaient des tables et traversaient la salle comme des boulets de canon. Huit tables à la file, avec tout un pow-wow et des danses guerrières autour de chaque table. « Fais donc gaffe à ton coude, là, l’frangin ! »

Des tables de poker sonnantes et trébuchantes. Cinq ou six petites tables de toile cirée, cinq ou six muleurs, racoleurs, meneurs, debout assemblés, se faisant des clins d’œil et des signes par derrière à chaque table. Et derrière eux, encore cinq ou six spectateurs trimant dur, riant et observant cinq ou six gars occupés à mettre des vis et les garnitures sur un nouveau sac à mises. Un gars ou deux allant et venant par la porte battante du fond, ramassant des pots d’alcool tord-boyaux sur des tas d’ordures, et les refilant de leur chemise aux gars qui perdaient leur argent autour des tables. « Whitey est en train de devenir à peu près cuit ; y va parier comme un fou ici dans une minute et perdre son chapeau. »

Le long des murs venaient surtout les vieux et les malades qui restaient assis pendant des heures pour garder la trace des vols et des bagarres ; les vieux piliers de bar à l’œil vitreux et les ivrognes asthmatiques et poitrinaires qui raclaient des poumons et crachaient des cochonneries toute la journée en atteignant rarement le crachoir sur le parquet.

Je passais en disant : « Un journal, m’sieur ? Cinq cents. » Mais les gamins comme moi n’étaient pas admis à l’intérieur des bouges comme celui-là, à moins de connaître le patron, et encore le hâbleur gardait-il les yeux fixés sur moi et veillait-il à ce que je ne m’arrête pas.
« Les gars, cette gonzesse sur le mur a une poitrine comme un oreiller de plumes ! Des bouts d’nichons comme une petite cerise rouge ! Le jour où je tomberai sur quelque chose comme ça, j’arrêterai mes bonnes vieilles paillardises ! Parole ! » ; « Espèce de cavaleur cochon, arrive un peu, c’t à toi d’jouer ! »

Je vendais très rarement un journal dans ce genre de bistrots. Les hommes étaient trop excités. Trop occupés. Trop échauffés pour lire un journal et y penser. Les dés, les cartes, les dominos, les racoleurs pour les filles et les jeux, les beuveries et la montée des escaliers baveux qui conduisaient chez les filles, peut-être le harcèlement de toutes ces choses, rendaient ces hommes enfiévrés, impressionnables, nerveux, colériques et insouciants.

On voyait un type de cent kilos se lever d’une table à poker cassée, et tituber au milieu de la foule en gueulant : « Vous croyez que j’suis foutu ! Vous croyez qu’vous m’avez eu ! Vous croyez que j’suis rond ! Bon, peut-être que j’suis rond. Peut-être que j’suis rond. Mais j’vais vous dire un truc pour sûr, bande de rats tricheurs mesquins. Vous n’avez jamais foutu une journée de travail honnête de toute votre vie ! Vous suivez les villes où ça bat son plein ! J’vous ai vus. J’ai vu vos gueules dans un millier de villes. Les cartes. Les dés. Les dominos. La tricherie. Le tripot. Les putains au cul mou. La roulette. J’suis un honnête ouvrier ! J’ai aidé à installer tous les puits de pétrole de Wheeler Ridge jusqu’à Smackover ! Et vous, qu’est-ce que vous avez foutu ? Piqué. Roulé. Volé. Cogné. Tué. Votre race va pas faire de vieux os ! Vous m’entendez ! Tous là ! Ecoutez ! »
« Un peu trop de tapage ici, l’ami », disait alors un flic en s’approchant de l’homme pour le prendre par le bras, « viens faire un tour avec moi le temps de te rafraîchir. »

Devant le cinéma, une poignée d’ampoules faiblardes se braquaient sur quelques deux cents hommes, femmes et gosses, tout le monde bloquant les trottoirs, poussant, parlant, discutant, essayant de lire ce qu’il y avait au programme. Des mannequins de cire dans des cages de fer présentaient : « Les Méfaits Cruels Et Effrayants Des Deux Plus Fameux Hors-La-Loi Dans l’Histoire De La Race Humaine, Billy The Kid Et Jesse James. Et Aussi Le Funeste Destin De La plus Célèbre Femme Hors-La-Loi De Tous Les Temps, La Seule Et Unique Belle Star. Voyez Pourquoi Le Crime Ne Paie Pas Sur Notre Ecran. Aujourd’hui. Adultes Cinquante Cents. Enfants Dix Cents. Prière De Ne Pas Cracher Sur Le Sol. Les Maladies peuvent Se Propager Ainsi. »

Je passais nonchalamment en chantant : « Lisez toute l’histoire ! Dernière édition du soir. Dix hommes engloutis dans un orage de poussière !
– J’sais pas lire, fiston, désolé, j’ai des clous de fer à cheval dans les yeux ! Ha ! Ha ! Ha ! »
Tout un groupe d’hommes éclatait de rire à mon nez. Et un autre me souriait, me tapotait la tête et disait : « Tiens, p’tit gars. Personne te fait marcher. J’pourrais pas lire ton journal, non plus, mais v’là un sou. »

J’observais la cohue des gens qui transpiraient et s’épongeaient la figure en marchant, les jeunes gens et les jeunes filles tous bien habillés avec des chemises et des robes aussi propres que le ciel du matin.
« Le jour d’la v’nue du Seigneur est proche ! Jésus-Christ de Nazareth descendra des nuages dans toute Sa pureté, dans toute Sa gloire et toute Sa puissance ! Etes-vous prêts, mon frère, ma sœur ? Etes-vous sauvés, sanctifiés et baptisés dans l’unité du Saint-Esprit ? Vos vêtements sont-ils sans tache ? Votre âme est-elle aussi blanche que la neige amoncelée ? »
Adossé contre la fenêtre de la banque, j’écoutais les conversations des passants. « Votre neige est-elle sans tache ? » « Sauvetage des âmes, deux sous le tour » « J’ai pas envie d’êt’ sauvé si c’est pour se poster au coin des rues en gueulant comme un possédé ! » « Oui, j’vais m’convertir à l’église un d’ces jours avant d’mourir » « Moi aussi, mais j’veux vivre et m’amuser un peu d’abord ! »

Je traversai la rue dans le noir devant le bazar et je trouvai un soûlard qui en sortait : « Hey, M’sieu, vous voulez un bon boulot ?
– Ouais. Où ch’qu’il est, ch’boulot ?
– C’est pour vendre des journaux. Ça rapporte plein d’fric.
– Comment cha marche ?
– Vous m’donnez cinq cents la pièce pour ces vingt journaux. Vous parcourez les rues en criant les gros titres. Après vous vendez tous les journaux, voyez, et vous récupérez tout votre argent.
– Ch’est vrai, cha ? V’là un dolleur. Donn’moi les chournaux. Dis donc, qu’ech’qu’y a marqué chur les gros titres ?
– « Le whisky peut servir en médecine ! »
– « Le whichky peut servir en méd’chine ? »
– Ouais, c’est pigé ?
– Ouiche. Mais, du feu de Dieu, fichton, chi j’devais crier cha, les bootleggersh me tueraient.
– Pourquoi qu’y t’tueraient ?
– Pa’ch’que. Ils le f’raient. Tout l’monde ch’arrêt’rait d’boire avant l’lendemain !
– T’as qu’à crier seulement : « Journal ! Dernière édition ! »
– « Dernière reddition ! » D’accord ! J’y vais ! Merchi bien ! »
Et il s’éloigna dans la rue en criant « Chournaux ! Dernière reddichion ! »

Je redépensai soixante cents au bazar pour reprendre vingt journaux. « Ecoute, me disait le marchand de journaux, le shérif est drôlement en colère après toi. Tous les soirs, il y a trois ou quatre soûlards qui parcourent les rues avec une vingtaine de journaux en gueulant des titres bidon !
– les affaires sont les affaires. »

 

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