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Bouquin-quizz n°14

Publié par le 8 mars 2015

 

Bonjour à tous.
Voici un extrait de… Je veux dire d’un roman de…
Non. Finalement, je ne vais pas vous l’indiquer. Ça vous amusera peut-être d’essayer de deviner.
Et si ça ne vous amuse pas, je vous conseille de le lire quand même. Ça vaut !

Au pied des terrasses abritées sous les étendards et les oriflammes, veillaient les gardes particuliers de l’émir, double sabre recourbé au flanc, poignard à la ceinture, lance longue de dix pieds au poing. Quelques uns de ces Tartares portaient des bâtons blancs, d’autres d’énormes hallebardes, ornées de houppes faites de fils d’argent et d’or.

Tout autour se massait une foule cosmopolite formée de tous les éléments indigènes de l’Asie centrale.

Les Usbecks étaient là avec leurs grands bonnets de peau de brebis noire, leur barbe rouge, leurs yeux gris, leur « arkalouk », sorte de tunique taillée à la mode tartare.
Là se pressaient les Turcomans, revêtus du costume national, large pantalon de couleur voyante avec veste et manteau en tissu de poil de chameau, bonnets rouges coniques ou évasés, hautes bottes en cuir de Russie, le briquet et le couteau suspendus à la taille par une lanière ; là, près de leurs maîtres, se montraient les femmes turcomanes, aux cheveux allongés par des ganses en poil de chèvre, la chemise ouverte sur le « djouba » rayé de bleu, de pourpre, de vert, les jambes lacées de bandelettes coloriées qui se croisaient jusqu’à leurs socques de cuir.

Là aussi – comme si toutes les populations de la frontière russo-chinoise se fussent levées à la voix de l’émir – on voyait des Mandchous, rasés au front et aux tempes, cheveux nattés, robes longues, ceinture serrant la taille sur une chemise de soie, bonnets ovales de satin cerise à bordure noire et frange rouge ; puis, avec eux, d’admirables types de ces femmes de la Mandchourie, coquettement coiffées de fleurs artificielles que maintenaient des épingles d’or et des papillons délicatement posés sur leurs cheveux noirs.

Enfin des Mongols, des Boukhariens, des Persans, des Chinois du Turkestan complétaient cette foule conviée à la fête tartare.

Seuls les Sibériens manquaient à cette réception des envahisseurs. Ceux qui n’avaient pas pu fuir étaient confinés dans leurs maisons, avec la crainte du pillage que Féofar-Khan allait peut-être ordonner, pour terminer dignement cette cérémonie triomphale.

Ce fut à quatre heures seulement que l’émir fit son entrée sur la place, au bruit des fanfares, des coups de tam-tam, des décharges d’artillerie et de mousqueterie.
Féofar montait son cheval favori, qui portait sur la tête une aigrette de diamant. L’émir avait conservé son costume de guerre. A ses côtés marchaient les khans de Khokhand et de Koundouze, les grands dignitaires des khanats, et il était accompagné d’un nombreux état-major.

A ce moment apparut sur la terrasse la première des femmes de Féofar, la reine, si cette qualification pouvait être donnée aux sultanes des états de Boukharie. Mais, reine ou esclave, cette femme, d’origine persane, était admirablement belle. Contrairement à la coutume mahométane et par un caprice de l’émir sans doute, elle avait le visage découvert. Sa chevelure, divisée en quatre nattes, caressait ses épaules éblouissantes de blancheur, à peine couvertes d’un voile de soie lamé d’or qui se rajustait en arrière à un bonnet constellé de gemmes du plus haut prix. Sous sa jupe de soie bleue, à larges rayures plus foncées, tombait le « zir-djameh » en gaze de soie, et, au-dessus de sa ceinture, se chiffonnait le « piranh », chemise de même tissu, qui s’échancrait gracieusement en remontant vers son cou. Mais depuis sa tête jusqu’à ses pieds, chaussés de pantoufles persanes, telle était la profusion de bijoux, tomans d’or enfilés de fils d’argent, chapelets de turquoises, « firouzehs » tirés des célèbres mines d’Elbourz, colliers de cornaline, d’agates, d’émeraudes, d’opales et de saphirs, que son corsage et sa jupe semblaient être tissés de pierres précieuses. Quant aux milliers de diamants qui étincelaient à son cou, à ses bras, à ses mains, à sa ceinture, à ses pieds, des millions de roubles n’en eussent pas payé la valeur, et, à l’intensité des feux qu’ils jetaient, on eût pu croire que, au centre de chacun d’eux, quelque courant allumait un arc voltaïque fait d’un rayon de soleil.

L’émir et les khans mirent pied à terre, ainsi que les dignitaires qui leur faisaient cortège. Tous prirent place sous une tente magnifique, élevée au centre de la première terrasse. Devant la tente, comme toujours, le Koran était déposé sur la table sacrée.
Le lieutenant de Féofar ne se fit pas attendre, et, avant cinq heures, d’éclatantes fanfares annoncèrent son arrivée.
Ivan Ogareff, – le Balafré, comme on le nommait déjà – portant, cette fois, l’uniforme d’officier tartare, arriva à cheval devant la tente de l’émir. Il était accompagné d’une partie des soldats du camp de Zabédiero, qui se rangèrent sur les côtés de la place, au milieu de laquelle il ne resta plus que l’espace réservé aux divertissements. On voyait un large stigmate qui coupait obliquement la figure du traître.
Ivan Ogareff présenta à l’émir ses principaux officiers, et Féofar-Khan, sans se départir de la froideur qui faisait le fond de sa dignité, les salua de façon qu’ils fussent satisfaits de son accueil.

Ce fut ainsi du moins que l’interprétèrent Harry Blount et Alcide Jolivet, les deux inséparables, associés maintenant pour la chasse aux nouvelles.
Après avoir quitté Zabédiero, ils avaient rapidement gagné Tomsk. Leur projet bien arrêté était de fausser compagnie aux Tartares, de rejoindre au plus tôt quelque corps russe, et, si cela était possible, de se jeter avec lui dans Irkoutsk. Ce qu’ils avaient vu de l’invasion, de ses incendies, de ses pillages, de ses meurtres, les avait profondément écœurés, et ils avaient hâte d’être dans les rangs de l’armée sibérienne.

Cependant, Alcide Jolivet avait fait comprendre à son confrère qu’il ne pouvait quitter Tomsk sans avoir pris quelque crayon de cette entrée triomphale des troupes tartares – ne fut-ce que pour satisfaire la curiosité de sa cousine – et Harry Blount s’était décidé à rester pendant quelques heures ; mais, le soir même, tous deux devaient reprendre la route d’Irkoutsk, et, bien montés, ils espéraient devancer les éclaireurs de l’émir.
Alcide Jolivet et Harry Blount s’étaient donc mêlés à la foule et regardaient, de manière à ne perdre aucun détail d’une fête qui devait leur fournir cent bonnes lignes de chronique. Ils admirèrent donc Féofar-Khan dans sa magnificence, ses femmes, ses officiers, ses gardes, et toute cette pompe orientale, dont les cérémonies d’Europe ne peuvent donner aucune idée. Mais ils se détournèrent avec mépris lorsque Ivan Ogareff se présenta devant l’émir, et ils attendirent, non sans quelque impatience, que la fête commençât.
« Voyez-vous, mon cher Blount, dit Alcide Jolivet, nous sommes venus trop tôt comme de bons bourgeois qui en veulent pour leur argent ! Tout cela, ce n’est qu’un lever de rideau, et il eût été de meilleur goût de n’arriver que pour le ballet.
– Quel ballet ? demanda Harry Blount.
– Le ballet obligatoire, parbleu ! mais je crois que la toile va se lever. »
Alcide Jolivet parlait comme s’il eût été à l’Opéra, et, tirant sa lorgnette de son étui, il se prépara à observer en connaisseur « les premiers sujets de la troupe de Féofar ».

Mais une pénible cérémonie allait précéder les divertissements.
En effet, le triomphe du vainqueur ne pouvait être complet sans l’humiliation publique des vaincus. C’est pourquoi plusieurs centaines de prisonniers furent amenés sous le fouet des soldats. Ils étaient destinés à défiler devant Féofar-Khan et ses alliés, avant d’être entassés avec leurs compagnons dans les prisons de la ville.

 

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