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Bouquin-quizz n°26

Publié par le 23 juillet 2015

 

Bonjour à tous.
Voici un extrait de…
Je veux dire d’un roman de…
Non. Finalement, je ne vais pas vous l’indiquer. Ça vous amusera peut-être d’essayer de deviner.
Et si ça ne vous amuse pas, je vous conseille de le lire quand même. Ça vaut !

« Salut, fit dans la pénombre du hall une voix américaine. C’est toi, Dickie ? C’est Freddie ! »
Tom recula d’un pas, en ouvrant plus grande la porte. « Il… Voulez-vous entrer ? Il n’est pas là pour l’instant. Il ne devrait pas tarder. »
Freddie Miles entra, tournant de tous côtés d’un air inquisiteur son vilain visage criblé de tâches de rousseur. Comment diable avait-il trouvé l’adresse ? se demanda Tom. Il ôta précipitamment la bague et la chevalière et les fourra dans sa poche. Il n’avait rien oublié d’autre ? Son regard parcourut rapidement la pièce.
« Vous habitez avec lui ? demanda Freddie, en le regardant de ses yeux vairons qui lui donnaient un air idiot et vaguement effrayé.
— Oh ! non. Je ne suis ici que pour quelques heures », dit Tom, en ôtant posément la chemise aux hippocampes. Il en avait une autre dessous. « Dickie est sorti pour déjeuner. Il allait chez Otello, je crois bien. Il devrait être de retour à trois heures au plus tard. » Un des Buffi avait dû laisser entrer Freddie, se dit Tom, et lui indiquer la sonnette en lui assurant sans doute que le Signor Greenleaf était là. Freddie avait dû dire qu’il était un vieil ami de Dickie. Maintenant Tom devrait raccompagner Freddie sans tomber sur la Signora Buffi en bas, car elle lançait toujours d’une voix claironnante : « Buon’giorno, Signor Greenleaf ! »
« Je vous ai vu à Mongibello, n’est-ce pas ? demanda Freddie. Vous n’êtes pas Tom ? Je croyais que vous deviez venir à Cortina.
— Je n’ai malheureusement pas pu. Comment était-ce ?
— Oh ! très bien. Qu’est-il arrivé à Dickie ?
— Comment, il ne vous a pas écrit ? Il a décidé de passer l’hiver à Rome. Il m’a dit qu’il vous avait écrit.
— Pas un mot… à moins qu’il ne m’ait écrit à Florence. Mais j’étais à Salzbourg, et il avait mon adresse. » Freddie s’était assis au bord de la longue table, froissant sans égard la nappe en soie verte. Il ajouta en souriant : « Marge m’a dit qu’il était venu s’installer à Rome, mais elle n’avait pas d’autre adresse que l’American Express. C’est par le plus grand des hasards que j’ai trouvé son appartement. Je suis tombé hier soir au Greco sur quelqu’un qui justement connaissait son adresse. Pourquoi donc est-ce qu’il…
— Qui ça, demanda Tom. Un Américain ?
— Non, un Italien. Un jeune garçon. » Freddie examinait les chaussures de Tom. « Tiens, vous avez les mêmes chaussures que Dickie et moi. C’est inusable, hein ? J’ai acheté les miennes à Londres il y a huit ans. »
C’étaient les chaussures en cuir grainé de Dickie. « Celles-ci viennent d’Amérique, dit Tom. Est-ce que je peux vous offrir quelque chose ou préférez-vous essayer de retrouver Dickie chez Otello ? Vous savez où c’est ? Ce n’est guère la peine que vous attendiez ici parce qu’il ne rentre généralement pas de déjeuner avant trois heures. Je ne vais moi-même pas tarder à sortir. »
Freddie arpentait la pièce, se dirigeant vers la chambre à coucher, puis apercevant les valises sur lit il s’arrêta. « Est-ce que Dickie part en voyage, ou est-ce qu’il vient de rentrer ? demanda-t-il en se retournant.
— Il part. Marge ne vous a pas dit ? Il va passer quelque temps en Sicile.
— Quand part-il ?
— Demain. Ou ce soir assez tard, je ne sais plus.
— Dites-moi, qu’est-ce qu’a donc Dickie depuis quelque temps ? interrogea Freddie en fronçant les sourcils. Pourquoi se cloîtrer comme ça ?
— Il dit qu’il a beaucoup travaillé cet hiver, répondit Tom d’un ton dégagé. Il a l’air de vouloir être seul mais, pour autant que je sache, il est resté en bons termes avec tout le monde, y compris avec Marge. »
Freddie sourit de nouveau, en déboutonnant son gros manteau de voyage. « Il ne va pas rester longtemps en bons termes avec moi s’il me pose encore quelques lapins comme ça. Etes-vous sûr qu’il soit en bons termes avec Marge ? J’ai l’impression qu’ils se sont disputés. Je pensais que c’était peut-être pour ça qu’ils n’étaient pas venus à Cortina. » Freddie se tut et le regarda d’un air interrogateur.
« Pas que je sache. » Tom se dirigea vers la penderie pour y prendre sa veste, afin de faire comprendre à Freddie qu’il avait envie de s’en aller, puis il se rendit compte à temps que Freddie reconnaîtrait peut-être la veste de flanelle grise assortie au pantalon s’il se souvenait du costume de Dickie. Tom alla donc en prendre une à lui et son propre manteau, accrochés à l’extrême gauche de la penderie. Les épaules du manteau étaient déformées comme si le vêtement était resté des semaines sur un cintre, ce qui était le cas. Tom se retourna et vit le regard de Freddie fixé sur le bracelet d’argent qu’il portait au poignet gauche. C’était celui de Dickie que Tom ne lui avait jamais vu porter mais qu’il avait trouvé dans sa boîte de boutons de manchettes. Freddie regardait le bracelet comme s’il l’avait déjà vu. Tom enfila son manteau d’un air dégagé.
Freddie le considérait maintenant avec une expression nouvelle, où il y avait un certain étonnement. Tom savait à quoi Freddie pensait. Il se crispa, sentant le danger. « Tu n’es pas encore sorti du bois, se dit-il. Tu n’es même pas sorti de l’auberge. »
« Vous venez ? demanda Tom.
— Vous habitez ici, n’est-ce pas ?
— Mais non ! » protesta Tom en souriant. Freddie tournait vers lui son visage sans beauté sous la tignasse rousse et mal peignée. « Pourvu que nous puissions sortir sans rencontrer la Signora Buffi », se dit Tom. « Bon, nous y allons ?
— Je vois que Dickie vous a couvert de ses bijoux », dit Freddie.
Tom fut incapable de rien trouver à répondre, d’imaginer une plaisanterie à faire. « Oh, ce n’est qu’un prêt, fit-il de sa voix de basse. Dickie en avait assez de le porter, alors il me l’a prêté pour un moment. » Il voulait parler du bracelet mais il y avait aussi l’épingle de cravate, songea-t-il, avec un G dessus. Tom l’avait achetée lui-même. Il sentait l’antipathie monter chez Freddie aussi nettement que si le corps de ce grand gaillard dégageait de la chaleur qui rayonnerait à travers la pièce. Freddie était le genre de brute capable de casser la figure à quelqu’un qu’il prendrait pour une tapette, surtout si les circonstances étaient aussi favorables qu’en ce moment. Tom avait peur de ce qu’il lisait dans les yeux de l’autre.
« Oui, je m’en vais » déclara Freddie d’un ton sec, en se levant. Il se dirigea vers la porte et se retourna brusquement : « Ce restaurant Otello, c’est bien celui qui n’est pas loin de l’Inghelterra ?
— Oui, dit Tom. Il y est généralement vers une heure. »
Freddie hocha la tête. « Enchanté de vous avoir revu », dit-il d’un ton qui démentait ses paroles. Et il referma la porte derrière lui.
Tom étouffa un juron. Il entrebâilla la porte et écouta le bruit des pas de Freddie qui descendait l’escalier. Il tenait à s’assurer que Freddie sortait sans parler à aucun des Buffi. Puis il entendit le Buon’giorno, Signora de Freddie. Il se pencha sur la cage de l’escalier. Trois étages plus bas, il apercevait la manche du manteau de Freddie. Il parlait italien avec la Signora Buffi. La voix de la femme parvenait plus distinctement aux oreilles de Tom.
« … seulement le Signor Greenleaf, disait-elle. Non, un seul… Signor chiNo, Signor…, je ne crois pas qu’il soit sorti aujourd’hui, mais je peux me tromper ! » Sur quoi elle se mit à rire.
Tom avait les mains crispées sur la rampe de l’escalier, comme si c’était le cou de Freddie. Puis il entendit les pas de Freddie qui remontait l’escalier en courant. Tom entra dans l’appartement et referma la porte. Il pouvait continuer à prétendre qu’il n’habitait pas là, que Dickie était chez Otello, ou qu’il ne savait pas où Dickie était, mais Freddie n’aurait de cesse maintenant qu’il n’eût trouvé Dickie. Ou bien Freddie allait le traîner jusqu’en bas pour demander à la Signora Buffi qui il était.
Freddie frappa à la porte. Puis le bouton tourna. Mais le verrou était mis.
Tom s’empara d’un lourd cendrier de cristal. Il ne pouvait le tenir à pleines mains et dut le prendre par le bord. Pendant deux secondes encore il se demanda : « Y a-t-il une autre solution ? Et que faire du corps ? » Mais il était incapable de réfléchir. C’était la seule solution. Il ouvrit la porte de la main gauche. Sa main droite qui tenait le cendrier était en retrait.
Freddie entra. « Dites donc, voudriez-vous bien m’expliquer… »
Le rebord arrondi du cendrier le frappa au milieu du front. Freddie prit un air hébété. Puis ses genoux fléchirent, et il tomba comme un bœuf frappé entre les deux yeux d’un coup de merlin. Tom du pied referma la porte. Il abattit le cendrier sur la nuque de Freddie. Il frappa encore et encore, terrifié à l’idée que Freddie faisait peut-être semblant et qu’un de ses énormes bras allait soudain lui encercler les jambes et le plaquer au sol. Tom lui asséna sur la tête un coup oblique et le sang jaillit. Tom maudit sa maladresse. Il courut dans la salle de bain chercher une serviette et la mit sous la tête de Freddie. Puis il lui prît le poignet pour tâter son pouls. Il en perçut un, très faible, et qui lui sembla s’affaiblir sous la pression de ses doigts. Une seconde plus tard, il ne sentait plus rien. Tom tendit l’oreille, guettant un bruit derrière la porte. Il imaginait la Signora Buffi debout derrière la porte, et arborant le sourire hésitant qu’elle avait toujours quand elle croyait le déranger. Mais on n’entendait rien. « D’ailleurs, se dit-il, le cendrier n’a pas fait de bruit, ni Freddie en tombant. » Tom contempla la masse énorme de Freddie affalée sur le plancher, et un brusque dégoût s’empara de lui ; il se sentit désespéré.

 

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