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Bouquin-quizz n°28

Publié par le 17 août 2015

 

Bonjour à tous.
Voici un extrait de…
Je veux dire d’un roman de…
Non. Finalement, je ne vais pas vous l’indiquer. Ça vous amusera peut-être d’essayer de deviner.


Je ne prolongeais jamais notre marche jusqu’à la tombée de la nuit et dressais notre bivouac à un moment où il faisait encore clair, pour pouvoir monter les tentes et nous approvisionner en bois.

Pendant que les tireurs installaient le bivouac, j’en profitai pour visiter les environs. Mon compagnon dans ces promenades était toujours un certain Polycarpe Olènetiev, excellent homme et adroit chasseur. Il était alors âgé de vingt-six ans ; de taille moyenne et de belle stature, il avait les cheveux d’un blond un peu roux, les traits accusés et de petites moustaches. Olènetiev était un optimiste ; il ne perdait pas sa bonne humeur dans les situations les plus embarrassantes et s’efforçait de me convaincre que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ayant donné les instructions nécessaires, nous prîmes nos fusils et partîmes en reconnaissance.
Le soleil déclinait à l’horizon, et, tandis que ses derniers rayons éclairaient encore les sommets des montagnes, une ombre épaisse recouvrait les vallées. Les cimes des arbres aux feuilles jaunes se découpaient avec netteté sur le ciel d’un bleu pâle. On sentait partout l’approche de l’automne : le comportement des oiseaux et des insectes, l’herbe desséchée et l’air.

Ayant franchi une crête peu élevée, nous pénétrâmes dans la vallée voisine où croissait une épaisse forêt. Le lit large et desséché d’un ancien torrent de montagne la traversait. Là, nous nous séparâmes ; je pris à gauche, en longeant la bande de galets, et Olènetiev à droite.
Deux minutes s’étaient à peine écoulées, qu’un coup de feu retentit du côté d’Olènetiev. Je me retournais et entrevis, l’espace d’un instant, quelque chose de souple et de bigarré qui apparut à une certaine hauteur.
Je me précipitais vers Olènetiev. Il essayait en toute hâte de recharger son fusil, mais, par une malheureuse coïncidence, une cartouche s’était coincée dans le canon et la culasse ne fermait pas.
— Sur quoi as-tu tiré ? lui demandai-je
— C’était un tigre, je crois, dit-il, il se trouvait sur un arbre. Je l’ai bien visé et dois l’avoir touché.

Enfin, la cartouche coincée fut extirpée.
Olènetiev rechargea son arme et nous nous dirigeâmes prudemment vers l’endroit où l’animal avait disparu. Du sang répandu sur l’herbe sèche nous montrait qu’il avait réellement été blessé.
Soudain, Olènetiev s’arrêta et prêta l’oreille. Devant nous, un peu sur la droite, on entendait un râle. Mais le fouillis des fougères nous empêchait de rien voir. Un grand arbre tombé par terre nous barrait le chemin. Olènetiev s’apprêtait déjà à l’enjamber mais l’animal blessé le devança et bondit en avant.
Olènetiev fit feu à bout portant sans avoir même eu le temps d’épauler, et le résultat fut merveilleux. La balle atteignit le fauve en pleine tête. L’animal tomba sur une branche et y resta affalé, la tête pendant d’un côté et le corps de l’autre. Après quelques mouvements convulsifs, il se mit à mordre la branche, puis perdit l’équilibre et s’abattit lourdement aux pieds du chasseur.

Je reconnus tout de suite que c’était une panthère de Mandchourie (Felis Orientalis). Ce magnifique spécimen de la race des félins comptait parmi les plus grands. La longueur de son corps, du bout du museau à la racine de la queue, atteignait un mètre quarante. Sa peau, d’un jaune ocre sur les flancs et le dos, blanche sur le ventre, était marquée de rayures noires comme celles d’un tigre. Sur les flancs, les pattes et la tête, elles étaient petites et d’une seule couleur ; sur le dos et la queue, grandes et ocellées.

Dans la région de l’Ossouri, on ne trouve guère de panthères que dans le sud et plus particulièrement dans les districts de Souïfoun, Possiet et Barabachev. Elles se nourrissent principalement de cerfs tachetés, de chevreuils et de faisans. La panthère est un animal extrêmement rusé et prudent. Poursuivie par les chasseurs, elle se réfugie sur les arbres et s’agrippe à la branche qui se trouve juste au-dessus de la place qu’elle vient de quitter, à l’opposé du champ visuel du chasseur. Etendue sur cette branche, elle pose la tête sur ses pattes antérieures et se fige dans cette position, sentant parfaitement que, vu de face, son corps est moins visible que de côté.

Le dépouillement de l’animal que nous venions de tuer nous demanda une heure entière. Quand nous prîmes le chemin du retour, la nuit était déjà tombée.

Nous avancions lentement.
Enfin apparurent les feux du bivouac et, bientôt, on put distinguer les silhouettes des hommes parmi les arbres ; elles remuaient en formant des ombres devant le feu. Les chiens nous accueillirent par un concert d’aboiements. Les tireurs entourèrent la panthère, la détaillant et émettant leur avis. On discuta jusque tard dans la nuit.

Le lendemain, nous nous remîmes en marche.
La vallée se resserrait et la progression devenait plus difficile.

Le cerf qui habite la région de l’Amour s’appelle le maral (Cervus Canadensis).
Cet animal est élancé et très gracieux ; il a environ deux mètres de long et un mètre cinquante de haut. Son poids peut atteindre jusqu’à deux cent kilos. Sa robe est brun clair en été et gris fauve avec un disque jaunâtre derrière en hiver. Le cou est long et vigoureux avec une crinière chez les mâles. La tête est belle avec de grandes oreilles mobiles en forme de cornets. Les bois sont fourchus, pourvus de deux andouillers basilaires. Le nombre des rameaux permet d’établir l’age du maral en y ajoutant l’année où il a perdu ses bois. Pourtant, leur nombre est limité. En général, un mâle adulte n’en a pas plus de sept. Les jeunes bois qui apparaissent au printemps, recouverts d’une peau sous laquelle circulent des vaisseaux sanguins qui n’ont pas encore durci, s’appellent « panty ».
Le maral habite le sud de la région de l’Ossouri, dans toute la vallée de ce fleuve et de ses affluents, ne dépassant pas la zone des conifères de Sihoté-Aline. On le rencontre sur le littoral jusqu’à la baie de l’Olympiade.
En été, le maral se tient dans les endroits ombragés des montagnes boisées ; en hiver, aux endroits ensoleillés, dans les vallées, dans les parties plates de la taïga, dans les clairières et aux lisières des forêts.

A midi, nous fîmes une grande halte. Nous devions nous trouver, d’après mes suppositions, non loin de la montagne en forme de coupole.
Il faut compter, dans une expédition, non seulement avec la force de résistance de l’homme, mais surtout de celle des bêtes de somme. Elles portent de lourdes charges et, à chaque halte plus ou moins prolongée, il faut les débâter.
Dès que les chevaux furent débarrassés de leurs harnachements, on les mit en liberté ; comme, sous les feuillages, l’herbe était encore verte, ils eurent un bon fourrage.

Après la halte, notre convoi se remit en marche, mais à cause des difficultés du terrain boisé, nous n’arrivâmes que vers le soir à mi-côte d’une montagne inconnue. J’arrêtai hommes et chevaux et grimpai seul au sommet pour reconnaître un peu le pays.
Heureusement, mon incertitude fut aussitôt dissipée : la hauteur que nous venions d’atteindre représentait bien, dans cette région montagneuse, le noyau central faisant l’objet de nos recherches.

Quand je rejoignis mon détachement, le soleil atteignait l’horizon et il fallut nous hâter de trouver de l’eau, indispensable aux hommes comme aux animaux.
Nous dûmes vite redescendre par un autre versant qui, en pente douce au début, devint bientôt escarpé.
Pour pouvoir continuer la marche, les chevaux ployaient leurs jambes postérieures, les charges glissant constamment en avant. Si les selles n’avaient pas été équipées d’avaloires, ces fardeaux seraient descendus jusque sur la tête des animaux. Nous fûmes obligés d’exécuter maints zigzags bien difficiles au milieu des tas de rompis.

Le col franchi, nous nous trouvâmes aussitôt dans des terrains ravinés.
— Ça va, dirent les soldats, on va coucher tant bien que mal. C’est pas pour toute l’année ! Demain, nous trouverons un pays plus gai.
Je n’aimais pas trop ce lieu de campement, mais je n’avais pas le choix. Comme un torrent bruissait au fond de la gorge, c’est là que je me dirigeai. Ayant trouvé un endroit assez uni, j’ordonnai d’y planter nos tentes.
Dans la paix de la forêt retentirent tout de suite des coups de hache et des voix d’hommes. Mes fusilliers se mirent à ramasser du bois, à desseller les chevaux et à préparer le souper.

Pauvres animaux !
Dans ce pays pierreux et encombré de branches mortes, ils allaient rester affamés. On se consolait en pensant qu’ils seraient bien nourris le lendemain, à condition d’arriver jusqu’à des fanzas agricoles.

Notre bivouac se calmait peu à peu. Après le thé, chacun s’occupa de son travail : l’un nettoyait sa carabine, l’autre raccommodait sa selle ou recousait ses vêtements ; il y a toujours quelque chose à faire.
Dès qu’ils s’en furent acquittés, les hommes se serrèrent tant qu’ils purent les uns contre les autres, se couvrirent de leurs capotes et s’endormirent comme des masses.
Les chevaux, qui n’avaient pas trouvé de quoi se nourrir dans la forêt, se rapprochèrent du camp et s’assoupirent, la tête baissée.

Seuls Olènetiev et moi ne nous couchâmes pas de sitôt. J’inscrivis dans mon journal l’itinéraire parcouru, tandis que le soldat réparait ses chaussures. Vers dix heures du soir, je refermai mon calepin pour m’étendre auprès du feu, enfoui dans mon « bourka » (burnous caucasien).

Tout à coup, les chevaux relevèrent la tête, dressèrent les oreilles, puis ils se calmèrent et s’assoupirent de nouveau.
Nous n’y fîmes d’abord pas trop attention et continuâmes à parler.
Quelques minutes passèrent.
Je posai une question à Olènetiev ; comme il ne me répondait pas, je me tournai vers lui. Il était debout, aux aguets, regardant au loin et protégeant de la main ses yeux contre la lumière du foyer.
— Qu’est-il arrivé ? lui demandai-je.
— Quelqu’un descend la côte, murmura-t-il en réponse.
Nous nous mîmes tous les deux aux écoutes, mais les environs étaient calmes, pénétrés de cette paix qu’on ne trouve que dans les bois, par une froide nuit d’automne.
Soudain, de petites pierres vinrent rouler de la montagne.
— Ça doit être un ours, dit Olènetiev en chargeant son fusil.
— Ne tirez pas, c’est un homme :… dit une voix dans l’obscurité.

Quelques minutes après, quelqu’un s’approcha de notre feu.
Cet individu était habillé d’une veste et d’une culotte en peau de renne tannée. Coiffé d’une sorte de bandeau, il portait aux pieds des « ountes » (chaussures sibériennes en peau d’élan ou de chamois tannée et rendue très souple). Une grande besace sur le dos, il avait en main des « fourches » (petits supports servant à viser) et une carabine aussi longue que démodée.
— Bonjour, capitaine, me dit le nouveau venu.
Là-dessus, il posa son fusil contre un arbre, enleva de son dos la besace, essuya de la manche son visage en sueur et s’assit près du feu.
Ce n’est qu’à ce moment-là que je pus bien l’examiner. Il portait environ quarante-cinq ans. Plutôt petit, trapu, il avait le type indigène prononcé : les pommettes saillantes, le nez petit, les yeux bridés des Mongols et la bouche large.

Mais l’inconnu de son côté ne nous regardait pas.
Il tira de sa poche intérieure une blague à tabac, bourra sa pipe et se mit à fumer en silence. Selon la coutume de la taïga, je l’invitai à souper, sans lui demander qui il était ni d’où il venait.
— Merci, capitaine, dit-il. J’ai très faim, car je n’ai pas mangé de la journée.

Je continuai à l’observer pendant qu’il attaquait la nourriture.
Un couteau de chasse pendait à sa ceinture ; c’était évidemment un chasseur. Il avait les mains durcies et égratignées. D’autres entailles, encore plus profondes, marquaient son visage, l’une au front, l’autre à la joue, près de l’oreille.
Notre convive était du genre silencieux. Olèteniev, qui n’y tenait plus, finit par lui poser cette question directe :
— Qu’es-tu ? Chinois ou Coréen ?
— Je suis Gold, fut la réponse toute brève.
— Tu dois être chasseur ? lui demandai-je.
— Oui, répondit-il. Je chasse toujours et n’ai pas d’autre métier. Je ne suis pas pêcheur, rien que chasseur.
— Mais où habites-tu ? reprit Olèteniev.
— Je n’ai pas de maison. J’habite toujours la montagne. J’allume un feu et j’installe une tente pour dormir. Comment pourrait-on habiter une maison quand on ne fait que chasser ?

 

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