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Bouquin-quizz n°38

Publié par le 22 janvier 2016

 

Bonjour à tous.
Voici un extrait de…
Je veux dire d’un roman de…
Non. Finalement, je ne vais pas vous l’indiquer. Ça vous amusera peut-être d’essayer de deviner.
Et si ça ne vous amuse pas, je vous conseille de le lire quand même. Ça vaut !


Il était tôt, pas encore 9 heures, et Perry était le premier client de la Washateria, une laverie automatique. Il ouvrit sa valise de paille qui était pleine à craquer, en sortit un paquet de slips, de chaussettes et de chemises (son linge et celui de Dick), les jeta dans une machine à laver et mit un jeton de plomb dans la fente – il en avait acheté plusieurs au Mexique.

Perry connaissait très bien le fonctionnement de ce genre d’établissement ; c’était un habitué et il en tirait un certain contentement car il trouvait ça « tellement reposant » de demeurer assis calmement et de regarder le linge se nettoyer.
Pas aujourd’hui.
Il était inquiet.
En dépit de ses avertissements, Dick en avait fait à sa tête. Ils étaient de retour à Kansas City, complètement fauchés par-dessus le marché, et conduisant une voiture volée !
Toute la nuit ils avaient roulé à fond de train dans la Chevrolet de l’Iowa sous une pluie diluvienne, s’arrêtant deux fois pour siphonner de l’essence d’un véhicule garé dans les rues désertes de petites villes endormies. (C’était le boulot de Perry, un travail pour lequel il se jugeait « de toute première classe ; rien qu’un petit bout de boyau de caoutchouc, voilà ma carte de crédit ».)
En atteignant Kansas City au lever du jour, les voyageurs étaient d’abord allés à l’aéroport, où ils s’étaient lavés, brossé les dents et rasés dans le lavatory des hommes ; deux heures plus tard, après un somme dans la salle d’attente de l’aéroport, ils retournèrent en ville. C’était alors que Dick avait déposé son associé à la Washateria, promettant de revenir dans l’heure qui suivait.

Une fois le linge lavé et séché, Perry refit la valise. Il était plus de 10 heures. Dick, qui devait se trouver quelque part à « signer des chèques », était en retard.
Il s’assit pour attendre, choisissant un banc où reposait tout près de lui un sac de dame – une occasion bien tentante d’y glisser la main. Mais l’aspect de la propriétaire, la plus corpulente de toutes les femmes qui utilisaient en ce moment les facilités de l’établissement, le découragea.

Un jour, à l’époque où il était un enfant qui courait les rues, à San Francisco, lui et « un gosse de chinetoque » (Tommy Chan ? Tommy Lee ?) avaient formé ensemble une « équipe de vol à la tire ». Ça amusait Perry – ça lui remontait le moral – de se remémorer quelques unes de leurs escapades. « Comme la fois où on est arrivé à pas de loup derrière une vieille dame, vraiment âgée, et Tommy s’est emparé de son sac, mais elle ne voulait pas le lâcher, c’était une vraie tigresse. Plus il tirait d’un côté, plus elle tirait de l’autre. Alors elle m’a vu et elle a dit : « Aide-moi ! Aide-moi ! » et j’ai répondu : « Bon Dieu, madame, c’est lui que j’aide ! » – et je l’ai renversée pour de bon. Sur le trottoir. Ça ne nous a pas rapporté plus de quatre-vingt dix cents, je m’en souviens exactement. On est allés dans un restaurant chinetoque et on s’en est mis jusque là. »

Les choses n’avaient pas tellement changé. Perry avait quelque vingt ans de plus et pesait une cinquantaine de kilos de plus, et pourtant sa situation matérielle ne s’était pas améliorée du tout. C’était toujours un galopin (et n’était-ce pas incroyable, pour une personne si intelligente et si douée ?) qui, en un sens, devait compter sur quelques pièces de monnaie volées.

Son œil ne pouvait se détacher d’une horloge sur le mur.
A 10 h 30, il commença à s’inquiéter ; à 11 heures il avait des élancements de douleur dans les jambes, ce qui était toujours chez lui un signe de panique imminente, « du mauvais sang ».

Il croqua une aspirine et il essaya d’effacer – de brouiller au moins – le défilé éclatant qui glissait dans son esprit, une procession de visions néfastes : Dick entre les mains de la loi, peut-être arrêté en faisant un chèque bidon, ou pour avoir commis une légère infraction à la circulation (et on s’apercevait qu’il conduisait une voiture volée).

Très vraisemblablement, en ce moment même, Dick était assis, pris au piège, entouré de détectives à la nuque cramoisie. Et ils ne parlaient pas de banalités, chèques sans provisions ou voitures volées. Ils parlaient de meurtre, car le lien dont Dick était si certain qu’il ne serait jamais établi l’avait été enfin de compte. Et une voiture pleine de policiers de Kansas City se dirigeait à l’instant même vers la Washateria.

Mais non, il avait trop d’imagination.
Dick ne ferait jamais ça, « se mettre à table ». Pensez donc au nombre de fois où Perry l’avait entendu dire : « ils peuvent m’aveugler de coups, je ne leur dirai jamais rien. » Bien sûr, Dick était un « vantard » ; comme Perry avait fini par s’en apercevoir, c’était un dur dans des situations où il avait indiscutablement le dessus.
Soudain, avec soulagement, il inventa une raison moins désespérée à l’absence prolongée de Dick. Il était allé rendre visite à ses parents. C’était une chose dangereuse à faire, mais Dick leur était très « attaché » ou prétendait l’être, et la nuit dernière, au cours  du long voyage sous la pluie, il avait dit : « Pour sûr que j’aimerais revoir mes vieux. Ils n’en diraient rien. J’veux dire qu’y z’en parleraient pas à l’officier de libération conditionnelle ; y feraient rien pour nous attirer des ennuis. Seulement, j’ai honte. J’ai peur de ce que ma mère dirait. A propos des chèques. Et la façon dont on est partis. Mais j’aimerais bien pouvoir les appeler, savoir ce qu’ils deviennent. »
Cependant, c’était impossible car la maison n’avait pas le téléphone ; autrement, Perry aurait donné un coup de fil pour voir si Dick y était.

Quelques minutes de plus et il était à nouveau convaincu que Dick avait été arrêté.
Sa douleur aux jambes s’intensifia, traversa son corps comme un éclair, et les odeurs de la buanderie, la puanteur humide, le rendirent soudain malade, le firent se lever et le propulsèrent dehors.
Il se tint au bord du trottoir en proie à des nausées comme « un ivrogne qui n’arrive pas à dégueuler ».

Kansas City !
Ne savait-il pas que Kansas City attirait la poisse, et n’avait-il pas supplié Dick de s’en tenir à distance ?
Maintenant, peut-être que maintenant Dick regrettait de ne pas l’avoir écouté. Et il se demanda : Et moi, avec un peu de monnaie et une poignée de jetons en plomb en poche ? Qui l’aiderait ? Bobo ? Pas l’ombre d’une chance ! Mais peut-être que son mari le ferait. Si Fred Johnson avait agi selon son cœur, il lui aurait assuré un emploi à sa sortie de prison, lui permettant ainsi d’obtenir sa libération conditionnelle. Mais Bobo ne voulait pas en entendre parler ; elle avait dit que ça n’attirerait que des ennuis, et peut-être des risques. Puis elle avait écrit à Perry pour lui dire ça précisément.
Un beau jour il lui rendrait la monnaie de sa pièce. Il s’amuserait, il lui parlerait, il afficherait ses possibilités, il lui raconterait dans les moindres détails les choses qu’il était capable de faire à des gens comme elle, des gens respectables, des bourgeois suffisants, exactement comme Bobo.
Oui, il lui ferait savoir à quel point il pouvait être dangereux, et il surveillerait ses yeux.
Pour sûr que ça valait un voyage à Denver.
C’est ce qu’il allait faire, aller à Denver et rendre visite aux Johnson. Fred Johnson l’aiderait à prendre un nouveau départ dans la vie : il faudrait bien qu’il le fasse s’il voulait se débarrasser de Perry.

Puis Dick s’approcha de lui au bord du trottoir.
« Eh, Perry, dit-il, tu es malade ? »
Le son de la voix de Dick fut comme l’injection d’un puissant narcotique, une drogue qui produisit, en faisant irruption dans ses veines, un délire de sensations contradictoires : tension et soulagement, fureur et affection.
Il avança vers Dick les poings serrés. « Enfant de putain », dit-il.
Dick eut un sourire forcé et dit : « Allons, mon vieux, on a de quoi bouffer. »

(A suivre)

 

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