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ZYKË – L’AVENTURE — 35 : Paris – Dakar

Publié par le 15 octobre 2016

 

Roar !… Vroum, vroum !…
Ça pète et ça pétarade.
Ça feule de la mécanique, ça ronfle et ça rugit.

On est trois, sanglés dans des sièges baquets très inconfortables, à bord d’une bagnole tous terrains customée compète à la cabine renforcée de tubulures.
Au volant, le pilote, un pro de la course automobile, un quadragénaire blond nommé Adrian.
A côté, Zykë.
Et à l’arrière, au milieu, moi, ligoté sur l’unique fauteuil.

Roar !… Vraoum, put, put, put…

Devant nous, d’autres bolides couverts d’autocollants publicitaires font gueuler leurs moteurs.
Des voitures, plein de voitures.
Des camions de course, citadelles de tôles colorées et de chromes, perchées sur leurs énormes trains de roues.
Et aussi, chevauchant des bécanes aux réservoirs surdimensionnés, des motards costumés d’armures de plastique, avec des logos de marques collés jusque dessus les couilles.

Toute cette ferraille s’aligne devant un portique de départ planté dans le sable roux. Autour s’agitent, fantomatiques, des officiels de la Thierry Sabine Organisation (TSO), paumés dans un épais brouillard de sable empuanti de gasoil.
Au-delà de la banderole, c’est le désert libyen.
Et, paraît-il, la grande aventure.

Adrian tend à Zykë un livre épais d’à vue de nez cinq cents pages.
– Voilà le « road book », explique-t-il. Tous les obstacles de la piste y sont répertoriés. Virages, Bosses, rétrécissements, tout, de cinquante mètre en cinquante mètres… C’est notre bible, quoi.
– Hmpf…
Adrian brandit maintenant une poire munie d’un bouton rouge et reliée par un fil au tableau de bord.
– En tant que co-pilote, ton rôle est de me prévenir à l’avance de chacun de ces obstacles en appuyant sur le bouton rouge.

Zykë, l’ancien contrebandier du désert, l’homme qui a fait sa première traversée du Sahara en solo, au volant d’une 404 Peugeot agonisante, celui qui a fait franchir les grands sables à de gigantesques convois de camions pourris, s’empare de la poire et, d’un coup aussi sec que désinvolte, arrache la fiche du tableau de bord.
– Mêêê !… bêle Adrian.
Zykë baisse la fenêtre et balance au sable à la fois la poire et le bouquin.
Le pilote écarquille des yeux effarés de nonne devant un blasphème.
– Mais tu ne peux pas jeter le road book ! s’étrangle-t-il. C’est… C’est… C’est le road book !
Zykë lui pose une amicale patte sur l’épaule.
– Ne me fais pas chier, Adrian, s’il te plait…

 

C’est une entrevue dans un bureau parisien, quelques semaines plus tôt, qui a décidé de notre présence ici, devant le désert de Libye, au milieu de cette kermesse de carrosseries sponsorisées.

Pendant l’automne, cédant aux supplications de Colette Véron et par amitié pour celle-ci, Zykë a consenti à quitter notre repaire de Bini Pati Nou et rencontrer un chouïa de journalistes pour la promotion de Paranoïa.
Le magazine VSD, soutien de Zykë depuis longtemps, a publié les bonnes feuilles et son patron, François Siegel, a proposé de sortir en avant-première et en feuilleton La Ferme D’Eden, notre polar australien à paraître l’été prochain.
Les négociations ont vite tourné court. Suivant sa conception spéciale du commerce, Zykë a exigé une somme exagérément astronomique puis refusé de concéder le moindre centime de rabais.
François Siegel, un homme affable, au flegme britannique, ne s’en est pas offusqué. Au lieu de ça, il a suggéré :
– Ce qui serait bien, c’est que tu couvres le Paris-Dakar pour moi…
Zykë a haussé les épaules.
– Ecoute, François, qu’est-ce que j’irais faire au milieu de ces clowns, moi qui ai traversé le désert des dizaines de fois ?
Siegel a souri.
– Justement. Ça passionnera nos lecteurs de connaître la vision d’un spécialiste hors du commun.
– Bof…
– VSD est un des principaux sponsors du rallye. Je mets à ta disposition une voiture avec un pilote.
– Mouais…
– Je te prends trois articles de dix feuillets chacun.
– Hmm…
– Paye royale. Liberté totale d’expression. La une du magazine au moins une fois…

Finalement, Zykë a accepté pour deux raisons.
Un : il en a un peu marre de l’automne doux mais pluvieux des Baléares.
Deux : il se voit bien endosser un costume d’écrivain-reporter à l’ancienne, façon Albert Londres ou Joseph Kessel.
– Ça fait bien, dans une carrière d’écrivain, non ?
– Sûrement.
– On se doit de faire revenir la littérature confiture dans le grand reportage, non ?
– Si tu le dis…

Alors, hop, un coup de fil à Siegel depuis un bistrot de Ciutadella, un petit million de bises à Sarah, et nous voilà partis…

 

Les jours filent.
Le désert nous abreuve de ses beautés habituelles.
Mers de sable d’or qu’agitent les houles et risées immobiles des dunes.
Lacs de bronze à l’horizon rectiligne, à l’étal fendu par les sillages des ornières automobiles.
Monts solitaires de roche blonde, plantés comme des défis au soleil immense.
Canyons sinueux creusés au travers de la rocaille, couloirs étranglés entre leurs hautes falaises brûlées à blanc qu’ensanglantent, tortueux, des filets veineux de craie rouillée.

Chaque paysage, digne d’un livre d’art ou d’un magazine de voyage, est un plaisir des yeux. C’est même le plus grand plaisir avec…

Avec rien !

Quelques heures nous ont suffit pour réaliser dans quelle merde nous nous sommes fourvoyés.
Que sous cette appellation pompeuse et faussement aéropostalienne, Paris-Dakar, se cache une caravane stupide de grands cons trop bien nourris qui font joujou avec des bagnoles.
Une inutilité scandaleusement chère.
Un gâchis aussi futile que bruyant et salissant.

Zykë comme moi avons observé des Touaregs misérables franchir les dunes au volant de vieilles Peugeot 403 lourdes comme des wagons et faire foncer le long des pistes des camions à bout de souffle, tordus, rafistolés au fil de fer.
On ne voit pas d’exploit dans le fait de traverser les mêmes sables à bord de 4×4 ultra puissants, aux moteurs réglés comme des horloges, chaussés de pneus neufs aux sculptures aussi profondes que celles de roues de tracteurs.

Tandis que ces messieurs-dames les pilotes font joyeusement youpla-hop sur les pistes, leurs larbins, une armée d’un bon millier de mécanos, dits « personnel d’assistance », gagnent l’étape suivante à bord de dizaines d’aéroplanes.
Une heure de vol, pour passer le reste de la journée à attendre les voitures à l’ombre des ailes des avions, par des quarante degrés, en se faisant chier comme des fennecs morts.

C’est aussi par avion cargo que voyage la cantine, un énorme camion d’opérette qui ne roule jamais.
A son bord se trouvent de grands fours à micro-ondes dans lesquels une horde de grouillots, dits « personnel d’organisation », font réchauffer des barquettes de plastiques emplis d’insipides plats en sauce.
Il faut voir les guerriers de la route s’aligner en dociles files d’attente devant les guichets, comme des collégiens attendant leur pitance.
Zykë refuse de faire la queue. Chaque soir, avec moi dans son sillage, il resquille ouvertement. Certains des coureurs ont essayé de renauder.
– Eh, toi, à la queue comme tout le monde !…
Aux premiers protestataires, il a poliment expliqué que c’était leur passer devant ou les assommer. Depuis, les justiciers de réfectoire ne se manifestent plus.
Comme quoi on peut être une façon de champion saharien cuirassé de cuir, le menton virilisé d’un début de poil, la face maquillée de poussière de pistes, et avoir la trouille des torgnoles.

Par avion encore voyage le « centre de presse », une sorte de village de tentes faussement touaregs, hérissées d’antennes et de paraboles sous lesquelles s’alignent des pupitres pourvu d’ordinateurs, le tout alimenté par d’énormes générateurs..
Chaque soir se bousculent entre les travées des types et des filles à l’air important, le chèche touareg savamment tortillé sur la frite, pressés de communiquer à leur rédaction les dernières informations inutiles qu’ils sont payés à récolter.
« L’heure du désert a sonné pour Bidule ! »
« Truc découvre l’enfer ! »
« Duel des sables pour Chose et Machin ! »

Zykë et moi, les «envoyés spéciaux de VSD », n’y foutons jamais les pieds. J’ai emprunté à Neus, la tenancière du bar à tapas du port de Ciutadella, qui a pour moi quelques faveurs, une vieille Olympia manuelle. C’est sur elle, à la lumière d’une lampe frontale, que je tape nos réflexions du jour, sous l’igloo de toile que nous a fourni le magazine.
Les types des tentes voisines ont essayé de protester contre les sonores shlika-shlika-ting !
– Merde, quoi, on veut dormir, nous, putain !….
Zykë leur a proposé de leur arracher les oreilles et, depuis, ils se tiennent cois.

Quand la caravane repart, elle laisse derrière elle une immense plaine de détritus, emballages de bouffe, flaques de carburant et pièces mécaniques abandonnées.
La T.S.O., responsable de ce piteux carnaval, n’a pas cru bon de se pourvoir d’une équipe de nettoyage.
Elle n’a pas non plus pris la peine d’inventer les sanitaires. Aussi chacun va-t-il déféquer dans la nuit derrière la dune la plus proche.
La rédaction de VSD m’a confié un petit appareil photo automatique en me recommandant de flasher toutes les scènes pittoresques qui pourraient m’inspirer.
J’utilise toute la pellicule sur l’un de ces magnifiques océans d’étrons avec en fond le disque orange du soleil levant.
Ça devrait être très joli.
Ce matin-là, les trois mille et quelques merdes sont posées à intervalles presque réguliers, formant une mosaïque géante, chaque monticule étant orné de feuilles de papier hygiénique collées à la matière, qui palpitent comme autant d’ailes d’oiseaux au frais vent de l’aurore.

 

Nous voilà à Sabha, un bled perdu au centre de la Libye, au pied de belles montagnes de roche sombre.
Le soir, au bivouac, d’immenses files d’attente de bagnoles se forment devant deux vieux camions citernes.
A leur pied, un unique employé libyen, muni d’une pauvre pompe à manivelle, fait le plein des véhicules, l’un après l’autre.
Chaque ravitaillement prend de dix minutes à un quart d’heure. A ce rythme, servir tout le monde prendra la nuit. Les derniers de la queue auront de la chance s’ils peuvent dormir quelques minutes.
– C’est bizarre, note Zykë. On est dans un pays producteur de pétrole, et tout ce qu’ils arrivent à fournir, c’est deux pauvres bahuts ?…

Le lendemain, c’est l’enfer.
Sabha – Tumu. La plus longue étape de tout le rallye. Six cents kilomètres d’une traite à travers le grand reg, cette bande de désert de rocaille qui court à travers tout le continent.
Un calvaire au travers duquel les pilotes se retrouvent confrontés à la bonne vieille succession sans fin de bandes de sables, de plaques de roches aiguisés comme des rasoirs et de nappes de pierres mortelles pour les pneus, les amortisseurs et les carters d’huile.

A Tumu, l’arrivée, une base militaire libyenne perdue, on constate l’hécatombe.
Beaucoup de véhicules ont cassé, autant les voitures que les motos, contraignant leur pilote à l’abandon.
Des centaines de ceux qui sont arrivés à Tumu, tard dans la nuit, ont dépassé l’heure limite fixée par l’organisation et sont éliminés.

Ce soir, l’esplanade devant le gros camion-cantine paraît vide.
– Où sont-ils passés, tous ? demande Zykë.
Adrian hausse les épaules.
– Eliminés.
– Tu veux dire qu’on ne leur file plus à bouffer ?
– Tu rigoles, s’amuse Adrian. Ils n’ont plus droit à rien. Ni bouffe, ni assistance mécanique, ni soins. Même pas un bout de sparadrap. Rien. Ils sont virés, quoi !
– Hon, hon…

 

Zykë m’entraîne à l’écart et, tandis qu’on mastique sans enthousiasme une barquette de ce qui semble être de la daube de guenon, il me dit :
– Hier soir, ils ont arrangé le ravitaillement si mal que la plupart des mecs ont à peine dormi… Aujourd’hui, ils nous font traverser le reg d’une traite. Ils auraient pu diviser l’étape en deux. Il y aurait eu moins de victimes.
J’approuve :
– Ils sont vraiment cons, hein ?
Zykë me gratifie d’un de ses regards carnivores.
– Réfléchis un peu plus fort, m’sieu Poncet.
Un éclair de génie me traverse la cervelle.
– Ils l’ont fait exprès, ces enfoirés !
Zykë rigole :
– Tu vois, quand tu veux…

Le soir même, dans la tente, je tape le titre de l’article destiné à faire entrer le nom de Zykë dans la prestigieuse liste des écrivains-grands reporters : « La Grande Arnaque Du Rallye Paris-Dakar ».

Il y a deux sortes de concurrents.
Les pros, les pilotes d’usine, salariés d’une grande marque automobile et entourés de conseillers sportifs, toubibs, kinés, mécaniciens et suivis par une armada de camions chargés de pièces de rechange.
Et puis les autres. Les indépendants. Les passionnés. Les rêveurs. Les imbéciles qui pensent que pour vivre l’aventure, il suffit d’y mettre le prix.
Ce sont les pigeons.
Un bon millier de gugusses à bord de véhicules hétéroclites, voitures, camions, motos, quads, achetés et préparés à leurs frais.

Traditionnellement, le rallye part de Paris le 1er janvier à l’aube et traverse l’hexagone jusqu’à Marseille où un cargo emporte tout le monde vers la côte africaine.
Sur les routes de France, elle en jette un max, cette énorme colonne de ferraille pétaradante et colorée.
De quoi impressionner les foules et fournir de l’image pour les journaux de vingt heures.
Mais, une fois dans le désert, sur ces pistes malcommodes que ne jalonne aucun poteau indicateur, le troupeau se met à poser des problèmes de logistique.
Aussi, dès la troisième étape, se servant des difficultés du terrain et imposant des horaires trop contraignants, les organisateurs poussent-ils la plus grande partie des amateurs à l’accident, la casse, l’abandon ou l’élimination.
Et continuent la course vers Dakar avec les seuls professionnels.

 

Ce matin-là, à Tumu, on laisse la caravane partir, laissant derrière elle le champ d’ordures habituel, et on s’en va visiter le camp des exclus, un village de tentes improvisé dans les dunes, à un kilomètre de là.

On discute avec Jerôme, un fils de famille originaire de Béthune. Il est l’heureux propriétaire d’une moto Ducati, sûrement un très bel engin quand sa fourche ne se barre pas sur la droite à angle droit et que la branche gauche de son guidon ne pend pas comme l’oreille d’un vieux chien.
– J’sus dégoûté, mô, gémit-il.
Il a claqué un an d’économies pour seulement trois jours de course. Un camionneur libyen va lui prendre ses derniers dollars pour charger sa Ducati et les emporter à Tripoli dans sa remorque.
– Pourquoi tu n’abandonnes pas ta moto ? demande Zykë.
– T’rigoles, tô ! j’y tiens, c’est min père qui m’l’a t’offert !

Bernard, un pharmacien de Montmorency, se réchauffe une tambouille sur un camping-gaz devant sa tente en rigolant :
– C’est mon cinquième rallye et je n’ai jamais dépassé la troisième étape. Ma femme râle sur l’argent que je dépense, mais c’est comme ça, je ne peux pas m’en passer !
Sa bagnole, un 4X4 japonais, est vrillée en tirebouchon, le cul d’un côté et le capot de l’autre, mais le moteur fonctionne encore. Il va se traîner en crabe jusqu’à Niamey, au Niger, où il revendra son épave et prendra un billet d’avion pour la France.

Jeff, un petit industriel de la région de Besançon, n’a plus de voiture. Il ne peut nous montrer que les photos de sa carcasse renversée sur le toit, en train de brûler.
De son aveu même, les photos sont un montage. Il est tout connement tombé en panne de courroie. Avec l’aide de touaregs qui se trouvaient là, il a renversé la bagnole et l’a cabossée à coups de masse avant d’y mettre le feu.
– Si je peux prouver que c’est un accident, mon assureur me remboursera une partie de la voiture, je n’aurais pas tout perdu.
Il va monter à bord du camion d’un copain éliminé pour être arrivé trop tard la veille et ils vont rallier Dakar, à leur rythme, en promeneurs, avant de prendre un bateau pour la France.

Tous ces barjots ont payé incroyablement cher l’inscription qui devait leur donner, en principe, le droit d’aller jusqu’à Dakar.
Il va de soi que la Thierry Sabine Organisation ne leur remboursera pas le moindre kopeck.
Ça s’appelle du tout bénéf.
Sans compter qu’il y a d’autres petits profits. Par exemple : chaque candidat est tenu de souscrire deux assurances à dix mille balles chacune. L’une pour financer son rapatriement d’urgence, en cas de blessure grave. L’autre dite « de recherche », au cas où il se perde dans le désert.
Les vingt mille thunes sont versées au mois de septembre et ne sont restituées qu’en mai de l’année suivante.
Les organisateurs disposent donc de deux millions de francs lourds pendant huit mois, hors de tout contrôle…

Adrian, que la perspicacité de Zykë amuse, finit par balancer, sourire en coin :
– Tu sais, chez les anciens, on a un proverbe qui dit : « Sur le Dakar, il y a ceux qui gagnent de l’argent et ceux qui en perdent ! ».
Zykë lui balance une baffe amicale sur la nuque.
– Bravo, camarade, tu viens de fournir la phrase de conclusion de mon article !

 

Arriver à Dirkou, c’est quitter l’austère Libye de Khadafi et entrer en Afrique noire. Pour Zykë, que la solitude des dunes commence à gonfler, ça revient à dire qu’on va enfin pouvoir trouver une pute.
Adrian s’étrangle :
– Une prostituée ? C’est dégueulasse ! C’est du machisme ! C’est de l’exploitation ! Et le droit des femmes, alors ?
– Ta gueule.
– De toutes façons, il n’y a pas de prostituées à Dirkou !

Alors qu’autour de nous, les véhicules du rallye se garent à l’intérieur d’un parc clôturé, dans un ballet de phares qui déchirent la nuit africaine, Zykë interpelle un gamin au hasard parmi tous ceux qui se pressent alentour, à l’affût d’une affaire.
Comme dit le vieux proverbe de la sagesse africaine : « Afflux de connards blancs, pluie d’argent ».
Deux mots à l’oreille, une pincée de billets et le gamin hilare nous fait signe de le suivre.

Nous voilà dans une ruelle de sable obscure, en face d’une cabane encore plus obscure faite d’adobe, de planches et de bâches, scellée en guise d’huis d’un guingois de tôle rouillée.
Zykë, la face égayée par la vidange testiculaire qui s’approche, moi, et un Adrian maugréant, réprobateur…
Mais intéressé quand même, le bougre !
Notre petit rabatteur l’affirme : c’est à l’intérieur de ce misérable palais que réside l’objet de nos gauloises convoitises.

Zykë disparaît dans la cabane. Au bout des quinze minutes réglementaires, la porte de tôle s’ouvre à nouveau sur un Zykë radieux qui, d’une main secoue l’air en signe d’enthousiasme et de l’autre finit de réajuster sa braguette.
– Une merveille, les gars. Elle est splendide. C’est une gazelle !
Une poussée de pogne sur mon épaule, quelques billets fourrés dans ma paume.
– A toi, M’sieu Poncet, c’est ma tournée !

Me dirigeant vers la maison des plaisirs, alors que Zykë continue à chanter les louanges de la donzelle à un Adrian de plus en plus attentif, je me berce de peu d’illusions.

Premièrement, moi dont le membre est culotté par nombre de bordels sous toutes les latitudes et dans tous les bas-fonds du monde, je sais que la probabilité qu’il se trouve dans un bled comme Dirkou une princesse des déserts généreuse de ces charmes est pour le moins infinitésimale.

Deuxièmement, je commence à connaître mon Zykë et je pressens fortement qu’il y a anguille !

Je ne suis pas déçu.
Même dans la pauvre lueur du brasero de terre cuite, dans lequel finit de se consumer le préservatif de mon glorieux prédécesseur, l’habitante du logis ne peut faire illusion.
C’est, recroquevillée sur une paillasse, une vieille dame touareg en route vers la fin de son premier siècle, sèche et ridée, qui m’accueille d’un vaste sourire de sa bouche édentée tandis que sa main percluse d’arthrose, tendue et tremblante, exige au préalable mon offrande.

En prostitution, règle numéro un : payer madame.
Puis faire ce qu’on a à faire.
Ce que je.
Avec vaillance, le respect qu’on doit à nos aînées et, je le confesse, un brin de jubilation perverse.

Je sors, reboutonnant ostensiblement l’entrejambe de mon Levi’s, affichant au visage un sourire que j’espère fendu jusqu’aux oreilles.
– Alors ? me demande Zykë.
– Une gazelle ! m’écrié-je.

Il n’y va pas, Adrian.
Il y court !
Les billets de banque à la main.
Se dégrafant déjà…

Quelques secondes plus tard, un long cri à la fois désolé et horrifié nous apprend l’ampleur de sa déception.
Il ressort, penaud, pour nous découvrir hilares et grossiers, remontant d’un geste gras nos balloches, nous esclaffant :
– Ouaf ouaf !… Alors, cette gazelle, elle est bonne, hein ?

Les jours suivants, alors qu’on a repris la routine des pistes, on essaie à plusieurs reprises d’engager la conversation avec Adrian à propos de « la gazelle de Dirkou ».
Mais on ne sait trop pourquoi, le sujet semble l’agacer…

 

(A suivre)

 

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