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La noyade – 04

Publié par le 29 avril 2017

 

Une adaptation de ma nouvelle L’OGRESSE, parue aux éditions Guntën dans le recueil du même nom.


Séquence
69 :

Cuisine. Marjolaine et Heidi discutent. Marjolaine fume. Heidi est au fourneau.

Marjolaine :
Je suis sûre qu’ils me volent. Ce sont tous des voleurs, de toute manière…

Heidi (distraite) :
C’est ça… C’est ça…

Marjolaine :
Ils mentent sur les chiffres de vente. Ils disent que mon bouquin ne se vend pas. Mais en fait, ils ne le distribuent même pas.

Heidi :
C’est ça…

Marjolaine :
Tu sais ce que je vais faire ?

Heidi :
Non…

Marjolaine :
Cet après-midi, je vais passer à la Fnac. Si je ne vois pas le livre dans les rayons, tu vas voir ce que je vais leur passer.

Heidi repose ses ustensiles. Ferme les yeux. Soupire. Va s’asseoir en face de sa mère. Lui prend les mains.

Heidi :
Maman… On est au Maroc. Il n’y pas de Fnac en ville.

Marjolaine :
Il y a bien une librairie !

Heidi :
Non, maman. C’est trop petit. Et puis, même s’il y avait une librairie, ils n’auraient pas ton bouquin.

Marjolaine :
Pourquoi ?

Heidi :
Il est paru il y a quinze ans, maman.

Marjolaine :
Tant que ça ?

Heidi :
Oui maman.

Marjolaine :
Comme le temps passe vite, ici !

Heidi se marre. Après un temps de surprise, Marjolaine aussi.

Heidi :
T’es vraiment trop folle !

Marjolaine :
Plus allumée que moi, tu meurs !

Elles explosent de rire.

 

Séquence 70 :

Marjolaine accompagne Heidi au seuil de la maison. Heidi pousse son vélo et porte un sac à dos.

Marjolaine :
Pense à acheter du papier cadeau, hein ? Je vais préparer plein de cadeaux pour Noël.

Heidi :
On est en avril, maman…

Marjolaine :
On mettre une grosse branche de pin dans un pot et on mettra tous les cadeaux en dessous. Je vais faire plein de cadeaux. Pense à acheter du papier cadeau.

Heidi perd patience.

Heidi :
On-est-en-a-vril ! C’est pas Noël ! Y’a pas de fête ! On fait pas de cadeaux ! A personne !… De toutes façons, y’a personne à qui faire des cadeaux.

Marjolaine comprend. Se frotte les yeux. Acquiesce.

Marjolaine :
Tu as raison, excuse-moi.

Heidi :
Tu es sûre que ça va ? Je peux rester si tu veux. J’irai faire les courses demain.

Marjolaine :
Non. Ça va, je t’assure… T’en fais pas, la barjotte tiendra le coup !

Heidi :
Sûre sûre sûre ?

Marjolaine :
Oui, oui… Mais fais bien attention en conduisant. Un accident, c’est vite arrivé. Surtout comme ils conduisent, ici…

Heidi :
Je suis en vélo, maman.

Marjolaine :
Ah oui, bien sur !…

Elle réfléchit un instant.

Marjolaine :
C’est comme moi.

Heidi la regarde sans comprendre.

Marjolaine :
Ben oui, moi j’ai un vélo dans la tête !

 

Séquence 71 :

Elles sont observées au travers des jumelles.

Heidi s’éloigne sur son vélo. Marjolaine, devant le portail la suit des yeux.

 

Séquence 72 :

Dans les dunes.

Le gros policier, à son poste d’observation, range ses jumelles, puis commence à s’avancer vers la maison.

 

Séquence 73 :

Marjolaine va et vient dans le patio, le regard absent.

Le policier entre, referme et verrouille le portail derrière lui.

Marjolaine crie de peur et tente de s’échapper en courant. Pendant la course poursuite qui s’ensuit, l’attitude de Marjolaine change. Ses cris se muent en rires, comme une petite fille qui joue à chat.

Le policier l’attrape. Elle ronronne, sexuellement excitée, provocante.
Elle l’attire vers sa chambre.
Le policier, ravi de l’aubaine, s’engouffre à sa suite, déboutonnant son pantalon.

 

Séquence 74 :

Marjolaine et le gros flic nus.

Préliminaires sur le lit. Marjolaine y met toute son expérience de femme amoureuse des plaisirs  – une courtisane raffinée.

Le policier est trop rustaud pour savoir en profiter. Négligeant les poses et tentatives de caresses de sa victime, il l’attrape et l’enfile sans ménagement.

Plan insistant sur les fesses laides et velues du bonhomme. Coups de boutoir. Grognements animaux.

Marjolaine, pilonnée, écartelée, hurle de plaisir.

 

Séquence 75 :

Heidi se présente au portail, sac à dos et porte-bagage du vélo bourrés de marchandises.

Heidi :
Maman ?

Elle remarque la porte de la chambre ouverte. S’approche. Entend des sanglots. Se précipite.

Elle découvre Marjolaine nue sur le lit en train d’examiner son corps en pleurant.

Marjolaine :
Qu’est-ce que je fais à poil ?… J’ai du sperme partout !… Bon dieu, qu’est-ce qui s’est passé, Heidi ?…

 

Séquence 76 :

Sous la douche. Heidi lave Marjolaine qui continue de se lamenter.

Marjolaine :
Merde, merde, merde… C’est à vomir !

Heidi :
Calme-toi, c’est pas grave…

Marjolaine :
Pas grave ? C’était un porc ! Un porc immonde ! Il puait ! Il me soufflait son haleine de porc dans la figure !…

Heidi :
Calme… Calme…

Marjolaine :
Et je l’ai laissé faire, Heidi. Tu m’entends : je l’ai laissé faire !

Heidi :
Calme-toi, ce n’est pas si grave…

 

Séquence 77 :

Plan sur la bouche de Marjolaine.

Marjolaine :
Je n’ai pas pas peur de mourir. Pas p-p-peur de mourir. Au p-p-point où j’en suis. Pas peur de mourir. Au point. Pas peur. Pas peur. J’en suis au point. Pas peur de mourir, j’en ai envie.

Le champ s’élargit. On est dans la cuisine, de nuit, à la lueur d’une chandelle, devant les reliefs du repas.

Marjolaine :
Ce que je ne veux pas, c’est perdre ma dignité. Ma dignité. Ma dignité. P-p-perdre. Ma seule richesse en ce m-m-monde, c’est mon existence. Ma dignité. Mon existence. La vie que j’ai menée. Je veux qu’elle s’achève d’une belle manière. La fin. Belle. La fin. Il faudra que tu m’aides, Heidi.

Plan sur Heidi qui acquiesce.

Marjolaine :
Tu com-com-comprends ce que je je je je te dis ?

Heidi :
Je crois.

Marjolaine :
Tu vas m-m-m m’aider ?

Heidi :
Oui.

Marjolaine :
Je veux que tu le jures. Le jure. M’aider. Le jure…

Heidi :
Oui.

Marjolaine :
Jure-le. Jure jure jure jure jure….

Heidi :
Je te le promets.

 

Séquence 78 :

Heidi tape sur la machine à écrire de sa mère.

Heidi (voix off) :
Marjolaine était une femme libre et fière. Elle avait cru trouver son paradis dans ce petit bout d’Afrique. Elle ne savait pas que la maladie l’y attendait. Une ogresse qui avait décidé de lui grignoter le cerveau, un petit bout après un autre petit bout…

 

Séquence 79 :

Suite de plans :

Heidi écrit au marker sur des feuilles de papier. Elle colle les feuilles en divers endroits de la maison. On peut lire : « cuisine », « chambre à coucher », « chiottes », etc…

Marjolaine hébétée devant un panneau « escalier du toit » lit avec difficulté, murmurant les syllabes.

Heidi (voix off) :
L’Ogresse…. Ce n’est pas une plaie. Ce n’est pas une infection. Ce n’est pas un virus qui ronge la chair. C’est une saloperie sadique qui s’amuse avec sa victime. L’humilie. La ridiculise…

Marjolaine trop maquillée et attifée parle dans le vide au milieu du patio.

Heidi (voix off) :
Des morceaux de sa tête, elle en perdait chaque jour. Ma mère adorée imposait chaque jour à ma vue le spectacle de la dégradation d’un bel être humain. C’était dur. C’était terrible. C’était à en mourir…

Marjolaine attaque Heidi qui se défend comme elle peut. Coups violents. Heidi parvient à immobiliser sa mère. La traîne jusqu’à sa chambre dans laquelle elle la jette avant de fermer la porte et de la verrouiller à l’aide d’un verrou visiblement neuf.

Heidi (voix off) :
J’ai haï ma mère. Oui. Je l’ai maudite de m’avoir enchaînée à son sort. De m’avoir livrée avec elle aux dents de la maladie. D’avoir permis à cette salope d’Ogresse de dévorer ma jeunesse.

Heidi entre dans la salle à manger et Marjolaine accroupie au milieu de la table en train de déféquer.
Elle l’entraîne dans la salle de bains et la nettoie.

Heidi (voix off) :
Cent fois, mille fois, j’ai rêvé qu’entraient par le portail des infirmiers vêtus de blouses blanches qui viendraient l’enlever. L’emporter dans leur camion, sirène hurlante. L’emmener mourir loin, très loin de moi…

Heidi passe des murs à la chaux.
Heidi à quatre pattes frotte le carrelage à grands coups de brosse.
Heidi cire une table.
Heidi lave du linge à la main.

Heidi (voix off) :
Alors je brossais, lavais, lessivais. Je traquais les nids à poussière, les toiles d’araignée et les moindres sources de saleté. J’avais les mains pourries par l’eau, rongées par le savon, les genoux ensanglantés. Je m’épuisais. Il n’y avait rien d’autre à faire quand la rage me prenait. Rien d’autre que de passer ma colère à briquer de fond en comble ce petit paradis de Marjolaine qui était devenu ma prison.

 

Séquence 80 :

Grand jour. Soleil. Heidi est à la machine à écrire.

Par la porte ouverte, on voit Marjolaine qui joue à la marelle.

Heidi (voix off) :
J’avais promis de l’aider le jour où elle perdrait sa dignité.

Plan sur Marjolaine vêtue en petite fille, couettes et socquettes, sautant à cloche-pied.

Heidi (voix off) :
Qu’est que ça veut dire, bordel : la dignité ?

 

Séquence 81 :

Marjolaine dort. Heidi la réveille doucement.

Elles sortent.

Plan sur un magnifique lever de soleil.

Heidi :
Viens, on va nager.

Marjolaine :
Nager ?

Heidi :
Oui. Tu as dis que tu voulais te baigner. Tu te souviens ? On en a parlé toute la soirée. Un grand bain dans la mer au lever du soleil…

Marjolaine :
Le soleil…

 

Séquence 82 :

Sur la plage. Marjolaine et Heidi nues entrent dans l’eau, main dans la main.

Marjolaine s’arrête. Regarde le lever du soleil. Regarde sa fille. On se doute qu’elle comprend ce qui se passe.

Elles se remettent à marcher.

Quand elles ont de l’eau jusqu’aux épaules, Heidi prend Marjolaine dans ses bras et l’entraîne, nageant vers le large.

Après quelques brasses, Heidi prend une grande inspiration et plonge sous la surface, attirant Marjolaine.

 

Séquence 83 :

Sous l’eau.

Marjolaine se débat, mais Heidi la tient fermement.

Marjolaine laisse échapper l’air de ses poumons.

Et meurt.

 

Séquence 84 :

Heidi émerge, reprend son souffle et hurle.


Séquence 85 :

Suite de plans :

Dans une salle de commissariat.
Heidi signe les papiers que lui tend un flic.

Heidi (voix off) :

Marjolaine était une femme libre et fière. Je l’aimais. Je l’aimais et je l’ai tuée. Je l’ai tuée parce que je l’aimais. Elle m’avait fait promettre de lui conserver sa dignité. C’est ce que j’ai fait. Est-ce que je regrette ce que j’ai fait ? Je ne sais pas. Je l’ai fait, c’est tout…

Sur une place de ville.
Heidi, un léger sac à l’épaule, monte dans un bus.

Heidi (voix off) :
J’ai liquidé ses affaires. J’ai vendu la maison. Je suis partie. Je n’étais pas triste. Je me sentais libre. Est-ce que c’était mal ? Je ne sais pas. Je me sentais libre, c’est tout…

Heidi descend du bus dans un village.
Elle aperçoit le petit cirque qu’elle a rencontré au cours de son escapade.
Elle sourit et se dirige vers le cirque.

 

– FIN –

 

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