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Les Guerriers perdus, 2ème partie – Épisode 04

Publié par le 13 juillet 2019

 

D’après mon roman Les Guerriers Perdus, éditions Taurnada, 235 pages, 9,99 €.

 

EXT Jour, scènes de route

Succession de scènes courtes réparties sur une journée, du petit matin à la fin d’après-midi.

Musique lugubre. Per favore, Oliv’, maestro…

La route est une succession de dalles de béton – comme les vieilles pistes d’aérodromes – le plus souvent fendues, séparés par de larges et profondes tranchées caillouteuses. Sur cette chaussée défoncée, le side-car Ural progresse avec difficulté, plonge, réapparaît, stoppe devant une nouvelle brèche, replonge…

Plan sur Haig qui manœuvre le lourd engin avec difficultés, le visage crispé par les efforts.

La route traverse un village de quelques vieilles maisons de pierres aux toits branlants et de cahutes de parpaings gris. Le side-car s’y arrête un instant. Absolument rien ne bouge dans les maisons. Le side-car repart.

Panoramique sur le paysage : des deux côtés de la route, la même plaine grisâtre parsemée de buissons de pauvre garrigue. Au loin, on aperçoit des montagnes dont certains pics sont enneigés (les Alpes albanaises, « Alpet e Shqipërisë »).

Haig au guidon, grimaçant, les bras torturés par le guidon. Un gros 4×4 noir aux vitres fumées opaques surgit derrière lui en klaxonnant furieusement. Il frôle dangereusement le side-car en le dépassant puis poursuit sa route, crachant de la poussière derrière lui. Haig, qui a été obligé de braquer précipitamment sur le bord de la chaussée lui adresse un doigt d’honneur en jurant.

Le side-car à l’arrêt à l’extrémité d’une dernière dalle de béton. Au-delà, la route se transforme en une piste blanche de cailloux crayeux, sans aucun revêtement.

Haig au guidon, contemplant ce qui l’attende.

Haig :
Putain, de mieux en mieux… De mieux en mieux, putain…

Devant le side-car s’élève le léger nuage blanchâtre que soulève une charrette. Haig s’en approche, puis se place à sa hauteur. C’est une pauvre carriole aux pneus usés tirée par un cheval à l’encolure basse que mène un homme très maigre à longues moustaches. Haig lui adresse un salut de la main. L’homme détourne le regard de l’autre côté. Haig hausse les épaules, dépité, et remet les gaz.

Le side-car arrêté au bord de la piste. Haig planté devant. De tous côtés, la plaine est couverte de dômes de bunkers gris et ocre rouillé serrés les uns contre les autres, comme les pustules d’une peau de crapaud.

Haig (effaré) :
C’est pas possible… C’est dingue… Ils sont cinglés…

 

INT Jour, bunker

Haig visite l’intérieur d’un blockhaus : une petite pièce de deux mètres de diamètre, absolument vide. Il s’approche d’une des deux meurtrières, jette un regard à l’extérieur : la vue est bouchée par le bunker voisin, rigoureusement identique. Haig secoue la tête, pensant visiblement, de nouveau, que « c’est dingue ».

 

EXT jour, champ de bunkers

Haig termine de manger, assis sur la margelle circulaire d’un bunker. Il a du pain gris sur une cuisse, sur l’autre une boîte de sardines de marque turque dans laquelle il puise avec un couteau de chasse.

Il essuie son couteau, le glisse dans sa gaine. Debout, il contemple d’un air dégoûté la plaine de blockhaus autour de lui, le moral visiblement atteint par ce paysage sinistre. D’un geste de dépit, il jette au loin la boîte de sardines vides. Dans le silence absolu du lieu, on l’entend distinctement rebondir contre une paroi de béton.

Le side-car s’éloigne et disparaît dans un nuage de poussière blanche.

 

CUT

 

EXT Jour, alentours de Shkodër

Le side-car roule sur une route à l’asphalte neuf. Il y a un peu de trafic : camions, charrettes à chevaux, voitures à peu près neuves. Au loin, on aperçoit les bâtiments resserrés d’une ville.

 

EXT Jour, Shkodër

Haig roule le long de bicoques de ciment aux toits de tôles léchés de rouille et de bâtiments aux gueules de casernes. Au détour d’un « boulevard », il découvre le lac de Shkodër : une étendue d’eau bleue grande comme une mer et appuyée contre des montagnes, avec, à quelques encablures de la ville, une petite île où s’élèvent les ruines de pierres blanches d’un monastère qu’enserrent des arbres touffus.

Haig se range et observe le paysage quelques instants, un sourire soulagé sur sa face couverte de poussière blanche : après la longue tristesse de la route, cette vision fait l’effet d’une carte postale de site de vacances.

Il repart.

 

EXT Jour, Shkodër

Le side-car progresse au ralenti le long de rues boueuses, parsemées de flaques parfois comblées de gros gravier.

 

EXT Jour, Shkodër, place, façade café

Il s’arrête au bord d’une placette, devant une sorte de bistrot rudimentaire : trois tables posées devant le seuil d’une maison aux murs délabrés. Au-dessus du seuil, on peut lire en lettres délavées « kahve restoran » (en turc). Il y a trois tables dépareillées en terrasse où sont installés des vieux à moustaches blanches.

Haig coupe le contact, désenfourche, se donne des claques sur le blouson et le treillis, provoquant des nuages de poussière crayeuse et s’approche du « restoran ».

Certains des vieux sont coiffés de fez turcs, les autres de calots grisâtres. Ils boivent dans des petits verres du café épais comme du goudron.

Haig (jovial) :
Bongiorno ! Guten tag ! Hello !…

Deux ou trois consommateurs lui jettent des regards méfiants. Les autres semblent ne pas entendre.

Haig (après un soupir lassé) :
Il y a un hôtel par ici ? Albergo ? Room ? Zimmer ? Dormir ? Schlafen ?

Un long temps de silence et d’immobilité. Au moment où Haig, haussant les épaules s’apprête à tourner les talons, un des vieux types, le plus proche de la porte de la maison, se penche sur le seuil et lance vers l’ombre un ordre guttural.

Un gamin d’une douzaine d’années sort de la salle d’auberge. Il a le teint sombre et les traits mauresques. Il est sanglé dans un uniforme de pionnier en toile kaki usée mais impeccablement tenu, un foulard rouge bordé de noir autour du cou. Sur sa manche droite, un macaron un peu effiloché porte l’aigle à deux têtes albanais.

Gamin :
Deutsch ? Italiano ? English ?

Haig :
Français.

Gamin :
Oh… En ce cas, enchanté de vous connaître, monsieur. Que puis-je faire pour votre service ?

Haig rigole, étonné. L’enfant ne sourit même pas, sérieux comme un adulte miniature.

Haig :
Je cherche à me loger. Y a-t-il un hôtel dans la ville ?

Le garçon traduisit la requête aux anciens. Celui qui l’avait hélé se lance dans une longue diatribe en désignant le bout de la rue, le bras tendu, puis en se vrillant l’index contre la tempe. Le petit pionnier ouvre la bouche pour traduire mais Haig le coupe.

Haig :
Il dit qu’il y a un hôtel par là et que le patron est fou, c’est ça ?

Le garçon laisse échapper une ombre de sourire.

Gamin :
Non, monsieur. Ce n’est pas un fou, c’est une folle. Et mon grand-père dit que sa maison sera parfaite pour un homme comme vous !

Le gamin rentre dans la salle. Haig attend, immobile sous les regards hostiles des vieux. Le petit pionnier ressort, un cahier d’écolier rudimentaire à la main.

Gamin :
Je vais vous montrer, monsieur. C’est très facile. C’est au bord du lac…

L’enfant dessine un plan tandis que Haig l’observe, penché.

Gamin :
Ici, il y a un chemin assez large, un peu en pente. En cette saison, vous verrez, c’est très praticant…

Haig :
Praticable.

Gamin (s’interrompant) :
Vous avez raison. Excusez-moi.

Haig :
Ne t’excuse pas. Tu parles très bien le français.

Le gamin hausse les épaules comme si cela n’avait pas d’importance, rajoute quelques traits à son plan, arrache la page du cahier et la tend à Haig.

Gamin :
Voilà, monsieur.

Haig :
Eh bien, euh… Merci. Merci et au revoir…

Il tourne les talons. Tandis qu’il regagne sa moto, éclatent derrière lui des quolibets rauques et des rires.

 

EXT Jour, chemin, devanture auberge

Le side-car roule sur un chemin côtier, bordé par les eaux bleues du lac. Le soleil couchant rosit l’horizon sur les basses montagnes qu’on distingue sur la rive opposée. (C’est-à-dire au Monténégro, le lac marquant la frontière entre les deux pays).

Haig s’arrête devant une barrière blanche, descend de moto et reste planté quelques instants, le visage surpris.

Contrechamp sur l’auberge qui, comme le lac précédemment, apparaît féerique après toute la grisaille traversée pendant cette journée.

La caméra glisse lentement le long de la maison, s’attardant sur chaque détail. Une vieille bâtisse basse et trapue, toit de tuiles refait à neuf, murs de grosses pierres grattées et chaulées de blancs, volets de bois peints en rouge. Des massifs de fleurs courent au bas des murs dans un désordre de couleurs vives et gaies. À l’un des flancs du bâtiment s’élève une tonnelle de fer forgé recouverte d’un lierre encore jeune et clairsemé, abritant des meubles de jardin neufs en métal blanc. Au-dessus du seuil pend une enseigne peinte qui représente une marmite posée sur des tisons ardents. Le chambranle de la porte d’entrée porte des autocollants d’organismes touristiques italiens, allemands et autres.

La porte s’ouvre. Une femme brune se plante sur le seuil.

 

EXT Jour, portrait d’Aynur

La caméra s’attarde sur la femme.

Musique, maestro. Du violon, s’il vous plaît !

Trente-cinq ans. Petite de taille, mais la silhouette forte, solide, les seins hauts, les hanches épanouies. Flot de cheveux très noirs, drus et bouclés. Pommettes hautes. Nez légèrement busqué, à l’indienne. Lèvres charnues. Yeux d’un bleu étrangement clair dans ce visage oriental. Paupières lourdes marquées des griffes d’une vie semée d’épreuves.

 

EXT Jour, devanture auberge

Elle observe Haig des pieds à la tête, le regard inquisiteur. Pas commode, la fille.

Femme (en anglais s.t.) :
Soldier ?

Haig (s’approchant) :
Une sorte de soldat.

La femme approuve de la tête et sourit, découvrant des dents fortes et blanches, les canines pointues comme des armes. Elle tend la main.

Femme :
Alors, bienvenue, soldat !

Haig :
Merci. J’ai bien besoin d’être bienvenu, ces jours-ci. Je m’appelle Haig.

Femme :
Aynur.

Haig :
Tu es turque ?

Le sourire d’Aynur vacille. Elle a un léger mouvement de fierté, cambrant les épaules. Une ombre sourcilleuse passe dans son regard.

Aynur (corrigeant) :
Je suis kurde.

Haig :
J’avais un ami kurde. Il s’appellait Karzan.

Aynur :
Hmmm… Était-ce un bon ami ?

Haig :
Parmi les meilleurs.

Aynur :
Alors c’est bien.

Elle fait un pas de côté et, d’un signe du menton, le sourire apaisé, invite Haig à entrer chez elle.

Ce qu’il fait, vous pensez bien…

 

(À suivre)

 

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