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Les Guerriers perdus, 2ème partie – Épisode 08

Publié par le 10 août 2019

D’après mon roman Les Guerriers Perdus, éditions Taurnada, 235 pages, 9,99 €.

 

EXT Jour, aurore, forêt

Haig et le géant blond hirsute sanglé dans sa peau de mouton. Ils mangent. Le géant s’envoie dans la bouche des morceaux qu’il décolle de sa moitié de lapin. Haig dévore, la gueule fourrée dans la carcasse. Il éprouve certaines difficultés à arracher certains morceaux particulièrement durs, mais il n’en mâche qu’avec plus d’entrain, le menton dégoulinant de graisse.

Le géant lui tend une mauvaise gourde de plastique remplie d’une sorte de vin clairet, presque rosé. Il lui fait signe, tête penchée en arrière, pouce dirigé sur la bouche, d’y aller de tout son soûl. Haig obéit en s’envoie une longue rasade. Il grimace, car le vin semble une acide piquette, mais il y retourne à grandes lampées.

Le géant boit à son tour, rote un grand coup (c’est le premier son qu’il émet), roule comiquement des yeux pour exprimer son plaisir puis éclate d’un rire silencieux, la bouche largement ouverte.

Gros plan sur celle-ci. Un trou rouge sang, dépourvu de dents, au fond duquel s’agite le moignon d’une langue tranchée à ras.

 

EXT Jour, forêt

La lumière a grimpé, s’étalant en paillettes sur le sol d’épines depuis le travers des branches. Le géant disperse les dernières braises du feu de la main, sans paraître ressentir la moindre brûlure. Il se passe aux épaules les courroies et les ficelles de trois besaces de toile, se saisit de son fusil, une escopette rudimentaire qui ressemble à un jouet d’enfant dans sa grosse pogne, resserre la large ceinture de toile qui maintient fermée sa veste en peau de mouton. Se lève.

Vue en contre-plongée : c’est un véritable colosse de deux mètres de haut et un mètre de largeur d’épaules. Un géant, qui serait terrifiant s’il n’avait cette coiffure de paille ébouriffée et surtout ce regard très clair, candide, d’une innocence de nourrisson.

Plan sur ses pieds : il est chaussé de bottes militaires dépareillées, l’une noire et l’autre d’un marron presque rouge, beaucoup plus grande que l’autre.

Il se frappe la poitrine et montre un sentier qui monte à travers les sapins, s’éloignant du ruisseau. Il pointe son doigt sur Haig puis lui fait signe de le suivre.

 

EXT Jour, forêt, sentier, vu de haut

La pente est raide. Le géant précède Haig de loin.

 

EXT Jour, forêt, sentier

On s’attarde sur le géant, sa démarche souple, sautillante, d’homme des forêts : une façon bien particulière d’avancer par bonds, d’un côté puis de l’autre, à la fois évitant les obstacles et exploitant au maximum les reliefs du sol pour se propulser.

Plan sur Haig en contrebas qui trébuche, manque de perdre le barda ficelé à la diable sur son dos, rattrape in extremis le fusil Baïkal dont la courroie glisse de son épaule, et s’immobilise, le souffle court.

Contre-plongée sur le géant qui continue à cavaler comme un chamois.

Haig soupire, découragé, et repart à crapahuter.

 

EXT Jour, forêt, sentier, rocher

Un rocher au bord du sentier, formant une sorte de petite clairière. La lumière forte qui s’y déverse nous apprend que la matinée s’est avancée. Le géant est assis, sa gourde de plastique au poing, sa tignasse de cheveux blonds brillant dans la lumière.

Haig débouche du couvert des arbres, ahanant et en sueur. Il s’écroule plus qu’il ne s’assoit à côté du géant. Celui-ci lui tend sa gourde. Haig boit avec avidité.

Alors que Haig lui rend sa gourde, le colosse fait rouler ses yeux de façon comique, imite le souffle court de Haig et montre de la main l’inclinaison du terrain. « Ça monte, hein ? ». Haig répond en hochant la tête, ce qui le fait de nouveau rire le géant.

Nouveau gros plan sur sa bouche mutilée grande ouverte.

 

EXT Jour, vallée

Les deux hommes débouchent sur une vallée déboisée, au fond de laquelle s’élèvent deux longues cabanes entourées d’une barrière de barbelés, avec à chaque coin un mirador de bois et de tôles, dont deux sont écroulés.

Suite de vues de la vallée. Aux piles de grumes abandonnées et au nombre de souches qui parsèment le sol, on comprend qu’il s’agit d’une ancienne exploitation forestière. Très exactement un bagne forestier.

 

EXT Jour, camp

Le géant mène Haig jusqu’à la porte d’une des deux cabanes, l’ouvre et l’invite du geste à entrer.

 

INT Jour, cabane

Plan sur un tableau d’école. Y est dessinée, très réaliste, une plantureuse femme nue, de face, jambes écartées dans un geste d’invite.

Un large coup de chiffon balaie une partie du dessin. Le plan s’élargit, montrant le géant qui finit d’effacer précipitamment la femme. Puis il se retourne et fait signe à Haig, planté sur le seuil, d’entrer dans la pièce.

Tandis que le géant ranime un feu couvant dans un poêle et l’alimente en bûchettes, la caméra parcourt l’intérieur de la cabane. Il y a des outils de bûcheron en désordre dans un coin. Dans un autre, des vivres dans des sacs et des cageots, plus des bonbonnes de vin rosé et quelques bouteilles de raki. Un mur est recouvert de la structure rouillée de lits superposés. Les autres meubles sont échappés d’un bureau administratif : un pupitre de travail scolaire sur lequel est posé le tableau d’école, une armoire métallique déglinguée, une vieille chaise de bureau en skaï éventrée.
Partout en travers de la salle sont tendus des fils auxquels sont accrochées des peaux : lapins, écureuils, martres…

Le géant ouvre ses besaces, en sort des peaux fraîches qu’il entreprend de pendre avec les autres. Haig s’approche et tâte certaines des peaux d’un geste curieux. Le géant lui montre une rangée de peaux de lapin et, de la main, fait le signe « deux », puis il désigne un sac de patates.
Ensuite, il montre des peaux d’écureuil, fait le geste « quatre » et désigne une bonbonne de vin. Enfin, il exhibe une peau d’hermine d’un beau noir lustré : « une » pour une bouteille de raki.

Ayant fait signe à Haig de patienter, le géant va au tableau, fouille à l’intérieur d’une vieille boîte de conserve, en sort un bout de craie. Il écrit en belles lettres adroites : « Kristo », avant de pointer l’index sur sa poitrine.

Haig :
Kristo ? Toi, Kristo ?

Le géant hoche vigoureusement la tête, puis pointe son doigt sur Haig, les sourcils interrogateurs.

Haig :
Moi, Haig.

Kristo :
Heug ?

Haig :
Oui, Haig.

Kristo :
Heug !… (Il rit de satisfaction, silencieusement, exhibant de nouveau le fond affreux sa bouche). Heug ! Heug !…

Haig (accompagnant ses mots de gestes) :
Qu’est-ce que tu fais ici ? C’est quoi ici ?

Kristo tend la main en avant, « attend ! », va chercher une bonbonne de vin, se cogne une lampée et la tend à Haig. Pendant que celui-ci boit à son tour, Kristo efface son nom sur le tableau, reprend sa craie et se met à dessiner.

Sous sa craie étonnamment habile, on voit apparaître le camp, tel qu’on l’a découvert un moment plus tôt, avec des hommes en uniforme, coiffés de casquettes, et d’autres en guenilles. Des gardiens et des prisonniers.

Kristo pointe le doigt sur un gardien, tend les mains deux fois, doigts écartés : dix et sept.

Haig (refaisant les mêmes gestes de mains) :
Dix-sept.

Kristo approuve. Il montre un des prisonniers, tend les mains et écarte et replie les doigts plusieurs fois.

Haig (de même) :
Beaucoup.

Kristo efface le tableau et entreprend un nouveau dessin. On l’observe. Il est tendu, concentré, le geste vif, comme un peintre au travail.

La caméra découvre le dessin : le portrait d’un gardien à grosses moustaches et à l’air mauvais. Un de ses bras est représenté replié devant sa poitrine, avec trois étoiles sur sa manche de veste.

Kristo montre les trois étoiles, puis se raidit et porte la main à son front, en salut militaire.

Haig :
Le chef ?

Kristo approuve. Il se tourne ver le portrait et il crache dessus, en plein milieu de la figure. Là-dessus, il rigole un coup de son rire laid et silencieux, efface le dessin et reprend sa craie.

Cette fois, on découvre Kristo lui-même, représenté bouche ouverte, avec des dents, alors que le chef gardien à moustaches tend vers lui une paire de tenailles.

Kristo interroge Haig du regard, sourcils levés. Haig mime le geste de s’arracher les dents.

Haig :
C’est ce type-là qui t’a fait ça ?

Krito approuve, tend la main, « attend ! ». Il s’en va d’un pas d’ours vers le tas d’outils, fouille dans une caisse et en rapporte une paire de tenailles qu’il pointe sous le nez de Haig.

Haig :
Avec ces tenailles-là ?

Kristo approuve et fait le geste de s’arracher les dents avec la paire de tenailles, en grimaçant de douleur à chaque extraction. Puis il pointe les tenailles devant sa bouche, fait mine de s’attraper la langue et fait le geste de couper aux ciseaux. Il repose bruyamment la paire de tenailles au pied du tableau et rigole, bouche grande ouverte.

Haig (accompagnant ses paroles de gestes) :
Mais toi, Kristo, tout seul ici ? Les autres, où ?

Kristo tend la main, « attend ». Il boit un coup à la bonbonne et se remet à dessiner : un camion à l’entrée du camp, dans lequel les gardiens font monter les prisonniers. Plus loin, on aperçoit un coin de son visage, à demi dissimulé derrière un arbre.

Kristo se redresse, montre un gardien et fait mine d’appeler à la ronde, les deux mains en porte-voix. Puis il se désigne, secoue négativement la tête et rigole.

Haig ramasse la craie. Kristo se précipite pour effacer son dessin.

Kristo :
Heug ?

Haig reste pensif quelques instants devant le tableau.

 

INT Jour, flash-back, le bar Kurajo à Bari

Haig et Yussuf, le patron du Kurajo, de part et d’autre du comptoir. Derrière eux, deux vieillards jouent aux dominos.

Yussuf (sur le ton de la confidence) :
… une vieille citadelle, un nid d’aigle dans les montagnes pas très loin d’un bled appelé Jiballë, dans le district de Kukës, à l’Est, vers la frontière du Kosovo…

 

INT jour, cabane

Haig tend la main, pose la craie sur le tableau.

Yussuf (voix off) :
Elles ont été construites par les Turcs, toujours en haut d’un piton rocheux… Une tour ronde de grosses pierres, comme un donjon de château médiéval, et une enceinte plus ou moins grande…

Haig manie la craie. On découvre le dessin d’une citadelle telle que l’a décrite Yussuf. À son pied, Haig dessine (beaucoup plus maladroitement que Kristo), une silhouette de femmes aux longs cheveux et des hommes armés de fusils-mitrailleurs.

Yussuf (voix off) :
Il y a une véritable armée avec elle. Des Azéris, à ce que j’ai entendu dire. Armés jusqu’aux dents…

Haig se recule, désigne son dessin à Kristo. Celui-ci l’observe un long moment, sans réaction. Au moment où Haig hausse les épaules, déçu par l’inutilité de sa tentative, Kristo pose l’index au-dessus de la tour ronde. Puis il imite, la main à plat, un objet volant et enfin fait tournoyer une hélice au-dessus de sa tête.

Haig :
Hélicoptère ?

Kristo hoche la tête. Haig, excité, montre son dessin.

Haig :
Tu connais ?

Kristo réfléchit un instant, les yeux levés, puis désigne une direction. Il fait à deux doigts le geste de marcher et lève les deux doigts.

Haig (faisant de même) :
Par là ? Deux jours de marche ?

Kristo confirme d’un hochement de tête. Il désigne successivement le dessin et Haig.

Kristo :
Heug ?

Haig :
Y aller ? Oui, je veux y aller.

Kristo fait le signe de dormir, les deux mains contre sa joue, les yeux fermés, de nouveau le geste de marcher, puis pointe son index sur Kristo avant de le poser sur la poitrine de Haig.

Haig :
On dort ici et on y va demain ?

Kristo :
Heug.

Et il rit, bouche grande ouverte.

(À suivre)

 

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