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LA MARIE-BARJO – Épisode 02

Publié par le 9 avril 2022

 

Scénario de film d’aventures par Thierry Poncet adapté du roman du même : Le Secret Des Monts Rouges, paru aux éditions Taurnada.

 

EXT Jour, à l’aube, plan aérien, général

Ce n’est pas exactement un confluent, mais la rencontre temporaire de deux fleuves, le Mékong et le Tonle Sap : un coude à coude qui dessine un X grossier sur plusieurs kilomètres, chacun des deux cours d’eau reprenant sa route particulière en aval, l’un vers le sud-est, l’autre au sud-ouest.

 

Banc-titre :

Les compagnies forestières malaises et thaïlandaises s’étaient précipitées sur l‘extraordinaire gisement de bois précieux que constituait le Cambodge tout juste revenu à la paix.

Dans leur précipitation à ramasser du pognon, elles avaient ouverts leurs camps de coupe sans prévoir aucune infrastructure ni creuser aucune piste pour les joindre au reste du monde.

Les voies fluviales étaient les seuls moyens de transporter les grumes et les seuls chemins possibles de ravitaillement.

 

EXT Jour, plan aérien rapproché, docks

Les docks du port de commerce de Phnom Penh : agglomérat de quais de bois et de bambous qui surgissent de l’eau en désordre, de cagnas de fortune, de sampans amarrés les uns aux autres, de montagnes de caisses, de ballots et de ferrailles.

Ciel bas. Pas de pluie, mais tout dégoutte d’humidité. Les bâches ont des ventres d’outres. Les coins des toits de tôles ruissellent. Les carrefours des ruelles sont des lacs, les wharfs de planches disjointes ont l’air de rivières.

 

EXT Jour, docks

Musique khmère (xylophone et dro, violon plaintif à deux cordes).

La caméra se promène dans un lacis de ruelles étroites, le long de cabanes bricolées, coupées de mares jonchées d’ordures flottantes. Parfois les venelles se transforment en ponts branlants au-dessus d’un bras d’eau, débouchant sur des groupes de sampans.

On aperçoit fugitivement un groupe réuni autour d’un feu ou d’un brasero, un trio sous le toit d’un sampan qui se partage une bouteille d’alcool, le visage inquiet d’une femme apparu à une lucarne, ou encore quelques affamés errants, serrant leurs loques contre leurs corps maigres.

 

EXT Jour, quai

La Marie Barjo est amarrée à son quai de planches disjointes.
C’est la première fois qu’on la voit de jour : une antique péniche de fabrication chinoise aux formes lourdes. L’épais métal sombre entre gris et kaki dont elle est faite lui donne un aspect militaire que renforce la présence d’un gros projecteur au-dessus de la cabine de pilotage.

Sur le quai s’empilent les marchandises qui restent à charger : pièces mécaniques, matériel de bûcheronnage et caisses d’alcool.

La caméra s’attarde sur les gardes aux uniformes loqueteux et dépareillés, armés d’AK 47, qui veillent sur ce stock. Certains en faction, d’autres au repos un espèce de petit bivouac de bâches.

 

EXT Jour, pont de la Marie-Barjo

Gaillard avant. Une trappe de métal se soulève. Apparaît la tête de Bang.

Bang : un Djaraï, une ethnie des montagnes du nord du pays. Chevelure épaisse et noire. Large visage à la peau très sombre et aux petits yeux bridés très enfoncés sous les arcades sourcilières.

Bang se hisse sur le pont. C’est un colosse grand et massif. Il porte affectueusement contre lui un immonde petit corniaud de couleur jaune là où il n’est pas pelé, et borgne de surcroît.

 

EXT Jour, pont

GP sur le visage de Bang, dont les yeux s’agrandissent de surprise.

 

INT Jour, carré

Assis autour de la table / bureau qu’on connaît déjà, Haig, Kim et Bozo boivent du café instantané / lait concentré. Bozo, l’air hagard et ensommeillé, roule un joint.

On découvre, éclairé par la lumière du jour, le carré qu’on a distingué auparavant dans l’obscurité.
La pièce présente un désordre aussi viril que parfait. Table et chaises dépareillées. Une bassine de vaisselle dans un coin. Sur un brasero de terre cuite, une énorme cafetière. Du linge est pendu à des lignes qui courent en travers du plafond. On trouve partout, pêle-mêle, des gamelles, des armes (fusils AK 47), des outils et pièces mécaniques, des bouquins… Plus, bien sûr, nombre de paquets de cigarettes. Pleins et vides. Plus des bouteilles d’alcool. Pleines et vides.

Une échelle très raide monte jusqu’à une trappe dans le plafond (elle mène à la timonerie, autrement dit la cabine de pilotage).

Haig :
On se démerde comme on veut, mais on se casse aujourd’hui.

Kim :
Ça va être dur, avec tout qui reste à…

Haig :
Ce qu’on n’arrive pas à charger, ça reste sur le quai, rien à foutre.

La tête de Bang apparaît en haut de l’échelle, par la trappe.

Bang :
Haig, y a moyen problème !

 

EXT Jour, pont Marie Barjo

Les trois hommes plus Bang (son petit chien dans les bras) se tiennent debout autour du cadavre de l’Espagnol de la veille. Le petit type est blême. Son visage exsangue, blanc de craie, est figé dans une ultime expression de terreur. Son cou est pratiquement tranché, ne tenant plus au reste du corps que par un mince filet de chair.

Haig :
J’avais dit de le foutre dehors.

Kim et Bozo :
C’est ce qu’on a fait ! On l’a fait !

Haig les dévisage en silence. Kim s’approche du plat bord et montre le quai.

Kim :
On l’a jeté là.

Bozo :
Jeté. Envoyé. Balancé. À la une, à la deux, à la trois.

Kim :
Il s’est explosé sur les planches, juste là.

Haig :
Il a pu revenir.

Kim s’est accroupi à côté du cadavre.

Kim :
Y a pas de sang. Pas une goutte. À mon avis, on l’a zigouillé ailleurs.

Haig :
Merci Sherlock. Ça veut dire quand même qu’un type qu’on ne connaît pas, que personne n’a vu est monté à bord. Un assassin. À MON bord. Bang ?

Bang :
Bang pas moyen entendu. Bang dormir.

Haig se tourne vers le quai. La caméra montre le bivouac des gardes avec hamacs, brasero et AK 47 à portée des mains.

Haig (pour lui-même) :
Les gardes n’ont rien vu. Ils auraient porté le pet.

Bozo :
Je vais leur demander ?

Haig :
Non. Si on les met au courant, dans un quart d’heure, le port entier va savoir qu’on a un macchabée à bord… N’empêche, je sais bien que ce ne sont pas des flèches et qu’ils sont plus forts à roupiller qu’à monter la garde, le fils de pute doit être balèze. Il est arrivé à se faufiler jusqu’ici avec un mort dans les bras… Balèze.

Haig réfléchit. La pluie s’est remise à tomber. Sur les quais, la fourmilière des travailleurs du port commence à s’agiter dans les cagnas et sur les sampans.

Haig :
Les gars, vous me l’enveloppez dans une bâche. Bang, pendant que c’est encore calme, tu vas le porter dans un coin à au moins trois cent mètres de nous.

Bang :
Moi faire.

Haig :
C’est un blanc. Quand on va le trouver, les flics vont faire une enquête. Enfin… un semblant d’enquête. À la cambodgienne, quoi. S’ils savent qu’il était à bord, ils vont vouloir nous soutirer du pognon. À tous les coups je vais les envoyer chier. À tous les coups ils commenceront à nous casser les couilles. Je ne veux pas prendre le risque qu’ils nous empêchent de partir ce soir. Pas question. Allez, au boulot, les gars.

 

EXT Jour, Quai

Pluie battante.

Plan général : une bonne trentaine de dockers loqueteux et maigres vont et viennent de la Marie Barjo au quai en empruntant deux passerelles, l’une à l’avant et l’autre à l’arrière de la cale.

Suite de plans courts :

Le groupe arrière charge les caisses d’alcool que les types trimballent le plus souvent sur leur tête. Kim surveille ce groupe. Il est debout au bord de la cale ou bien juché sur une échelle de bois qui y plonge, d’où il ordonne le rangement. Les lunettes brouillées d’eau, il est enveloppé dans son poncho rose. De temps en temps, il en extrait un bloc-notes pour cocher des trucs en râlant parce que les feuilles se détrempent immédiatement et que son stylo ne fonctionne pas sous la flotte.

À l’avant, ce sont les pièces mécaniques qu’on charge, parmi lesquelles on remarque un empilement de tronçonneuses neuves enveloppées dans du plastique scellé. Il y a également un énorme side-car Ural abrité sous une bâche. C’est Bozo qui commande la mise en place à bord. On aperçoit Bang qui transporte sur sa tête ou sur son dos des charges presque surhumaines.

Le tout doit donner une impression de précipitation, avec notamment Bozo et Kim qui ne cessent de houspiller les mecs pour les faire aller plus vite.

 

INT Jour, carré

Musique : une chanson de Tom Waits.

On perçoit, venant de l’extérieur, les cris et les chocs du chargement.

L’œil de Haig apparaît au bout d’un mince cylindre noir. Haig chantonne en même temps que Tom Waits. Le champ s’élargit : Haig est assis dans le carré, une cantine de métal pleine d’armes ouverte à ses pieds. Sur la table devant lui, plusieurs armes à divers stades de démontage qu’il est en train de nettoyer et graisser.

Pistolets, fusils, F.M., l’ensemble constitue une puissance de feu impressionnante.

Il y a un changement de tonalité dans les bruits qui parviennent de l’extérieur. Un silence, puis des sons de conversations. Haig coupe la musique et s’approche d’un hublot. Il découvre Kim et Bozo en compagnie d’une escouade d’une demi douzaine de policiers en uniforme beige. Haig jure, abandonne sa tâche, prélève une cartouche de cigarettes dans un carton et quitte le carré.

 

EXT Jour, quai

Deux groupes. Six flics, dont leur gradé à l’air arrogant et au ventre proéminent, un vieux qui parle le français et sert d’interprète et une jeune brute qui porte un sac poubelle en plastique. En face, l’équipage, qu’a rejoint Bang. Autour, les dockers, curieux, ont cessé le travail et observent la scène, échangeant des commentaires et des rires.

Gros gradé :
Question en khmer.

Interprète :
Le camarade colonel exprime le souhait de vous interrogation sur le sujet d’un homme mort retrouvé dans ce port d’ici même ce matin passé.

Haig :
Posez vos questions.

Kim :
Traduction.

Gros gradé lance un signe à jeune brute qui sort du sac plastique la tête de l’Espagnol. Une vague de gloussements et d’exclamations moqueuses monte du public.

Gros gradé :
Question en khmer.

Interprète :
Est-ce que vous avez la connaissance de l’individu ici ?

Haig se passerait visiblement du spectacle de cette tête coupée, mais dissimule sa surprise et son dégoût.

Haig :
Euh… Non. Connais pas. Jamais vu. Et vous, les gars ?

Bozo semble à la fois effaré et sur le point de rigoler devant l’énormité de la situation.

Bozo :
Pareil. Connais pas.

Kim, carrément dégoûté, regarde ailleurs et secoue négativement la tête.

Bang s’approche, prend sans façon la tête des mains de Jeune brute, la lève et l’examine sur toutes ses faces. Le public salue de grands rires sa prestation.

Bang (rendant la tête) :
Moi c’est pas moyen connaître.

Tandis que Jeune brute remballe la morte caboche, Haig casse en deux la cartouche de cigarettes et en donne deux tiers au camarade colonel, le reste à l’interprète.

Haig (à Kim) :
Dis-leur qu’on est désolés de ne pas pouvoir les aider et que c’est pour les dédommager du dérangement.

Kim :
D’accord.

Haig (s’éloignant) :
Et après, tout le monde au boulot. Je veux voir cette péniche chargée et prête à décoller, bordel de merde !

 

EXT Jour, quai

Fin d’après-midi. Il fait très sombre et il pleut. Le quai est vide, à l’exception de restes d’emballages collés aux planches par la pluie. La Mari Barjo est une forme un peu indistincte derrière le rideau de flotte. On distingue la silhouette de Bang qui se tient prêt à dénouer les amarres. De la lumière tremblote par les hublots de la timonerie.

 

INT Jour, timonerie

GP sur le tableau de bord rudimentaire. Les indications qui s’y trouvent portées sont en chinois. Un tournevis à manche court est fiché dans la serrure de contact. Deux cadrans, l’un au verre inexistant et à l’aiguille cassée, l’autre au verre fendu et opaque, ne servent visiblement plus à rien. Il y a aussi deux leviers de commande moteur, accélérateur et inverseur.

La main de Haig actionne le tournevis. Un gros voyant orange s’allume au dessus d’un bouton en forme d’interrupteur.

Haig est à la barre, le doigt sur l’interrupteur. Bozo l’observe.

Haig :
Alors ? Tu es sûr de ton coup ?

Bozo :
J’ai démonté tout le circuit et pis j’ai changé le câble et pis je l’ai remonté. Ça doit gazer.

Haig (taquin) :
T’es sûr ?

Bozo (agacé) :
Vas-y, putain !

Haig appuie sur le bouton. On entend le moteur cogner plusieurs fois lentement. Haig relâche le bouton. Les battements s’accélèrent et finissent par se transformer en un ronronnement qu’on doit trouver assourdissant.

Bozo lève les deux poings serrés au niveau de la poitrine : Yes !

Haig approuve en souriant et pousse un peu le levier d’accélérateur.

Haig (criant par-dessus le fracas du moteur) :
Va dire à Bang de larguer. On est partis !

 

EXT Jour, fleuve

Un vaste soleil rouge est passé sous la lisière des nuages et colore de son sang doré le vaste fleuve de boue jaune à travers lequel la Marie Barjo cingle, en route vers l’aventure…

 

(À suivre)

 

 

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