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LA MARIE-BARJO – Épisode 15

Publié par le 9 juillet 2022

 

D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.

 

EXT Jour, rivière

La proue de la Marie-Barjo avance au travers d’un décor féerique. La rivière est un serpent à la peau jaune marbrée de vert. Ses berges couvertes de forêt forment un moutonnement de feuillages presque noirs sous un ciel coloré au fusain.

Devant s’amorce une courbe. La proue de la péniche s’y engage. Au sortir de la courbe apparaît un chantier de terre mise à nue, ravinée, défoncée, écorchée, une gigantesque blessure où grouillent des termitières de bonhommes, de véhicules et d’engins.

 

Banc-titre :

Les campements des compagnies forestières se ressemblaient tous.

C’étaient des chancres.

Des plaques de gangrène qui s’étendaient le long des berges et repoussaient au loin les lisières de la forêt.

 

EXT Jour / Nuit, campements forestiers

Musique.

Suite de plans courts, l’équipage de la Marie-Barjo au travail.

Partout règne la trépidation des moteurs, les cris et les sifflements des hommes, plus les stridulations aiguës des scies mécaniques et des tronçonneuses.

Sur les rivages s’empilent par centaines en désordre les troncs d’arbres étêtés et écorcés. Leurs tas monumentaux forment des digues irrégulières, moitié dans la boue, moitié dans la flotte, à l’endroit où ils sont tombés, poussés par des bulldozers du haut des pentes.

La Marie-Barjo aborde le long de mauvais débarcadère de rondins et de bidons ou bien à même des pentes de boue dans lesquelles l’homme de barre plante la proue.

On voit Haig, Bozo, Kim et Bang décharger du matériel lourd, accueillis par des types en short et bottes de caoutchouc.

La caméra survole un campement. Un ensemble de baraquements de chantiers, de grandes tentes militaires et de containers de métal, installée sur une terrasse bétonnée. Au-delà de la clairière ravagée du chantier, se vautrant le long des berges et contre la lisière de la végétation, s’étend un bidonville, magma de bâches multicolores, de métal de récupération et de plastique, dont s’écoulent, flottant sur la rivière, des flots d’ordures de toutes sortes.

Une multitude d’engins est au travail, pataugeant dans la gadoue : tracteurs, bulldozers, grues…

Près du rivage, juchés sur pilotis, des boutiques, bars emplis d’hommes ivres et bordels devant lesquels patientent de pauvre filles.

Plan sur Kim en négociation avec un groupe. Sa mise soignée, avec ses lunettes d’intellectuel et son polo boutonné contraste avec l’allure de ses interlocuteurs, brutes couvertes de boue, machettes au côté. Kim discute âprement, son bloc-notes à la main, tandis que les clients marchandent à grands gestes furieux.

Plan sur Bang qui, descendu de la Marie-Barjo avec un fût de carburant, hisse celui-ci au-dessus de sa tête, comme un haltérophile, et grimpe, levant haut les genoux, la pente de boue qui mène au campement.

La Marie-Barjo quitte en marche arrière un mauvais débarcadère, effectue un quart de tour au milieu de la rivière et s’en va aborder un autre campement forestier, situé en face du premier.

Bozo, couvert de boue, l’air épuisé, s’abat sur sa couchette.

Marisol s’affaire au fourneau tandis que les hommes attablés dans le carré, s’échangent avec des gestes fatigués et l’air hagard des rasades d’alcool.

 

INT Nuit, carré

Haig sirote un whisky en compagnie de Marisol. En face d’eux, Kim jubile en comptant des piles de billets crasseux.

Kim :
Tu crois que j’ai raté ma vocation, Haig ? Ce n’est pas la biologie que j’aurais du apprendre, mais l’économie !

Haig (rigolard) :
Ouvre ton commerce. Qu’est-ce que tu en as à faire, au fond, de la végétation ? Laisse tomber la défense des arbres…

Kim le fusille de ses petits yeux noirs, la lippe mauvaise.

Kim :
Ça, jamais ! Tu m’entends : jamais !

Et il replonge avec délices ses doigts dans les billets.

 

EXT jour, campement forestier

Le décor habituel : une clairière de boue dans laquelle s’affairent engins et ouvriers. La caméra s’approche de la rive où s’élève une digue. La Marie-Barjo est amarrée devant une bicoque, au pied de laquelle flottent des centaines de cadavres de bouteilles et de boîtes de bière vides.

 

INT Jour, bar de la mère Popeye

Assemblés autour d’une table de plastique se tiennent Kim, accroupi sur une caisse de bière, la calculette sur les genoux, Haig, une Kalachnikov en travers des cuisses et la patronne du lieu, vieille sorcière édentée au regard rusé, une longue pipe au fourneau d’argent fichée au coin de sa bouche édentée.

Kim pianote des chiffes sur sa calculette, les montre à la vieille qui secoue négativement la tête.

Kim :
Ta cervelle marche dans le mauvais sens, mère Popeye.

Mère Popeye :
Dis plutôt que tu es un imbécile et un voleur !

Kim :
Je ne sais pas ce qui m’empêche de remballer la marchandise.

Mère Popeye :
Remballe, c’est trop cher pour moi…

Le rugissement d’un tracteur et un concert d’exclamations interrompent la négociation.

La mère Popeye bondit à la porte. Elle écoute quelques instants et se retourne vers ses visiteurs.

Mère Popeye (réjouie) :
Il y a du dégât !

 

EXT Jour, campement

Une douzaine d’hommes font cercle autour du cadavre d’un petit type maigre à la peau claire de Chinois. Il a le torse troué de balles. Son treillis militaire est détrempé de sang.

Deux hommes plus excités que les autres parlent sans s’arrêter. Haig s’adresse à eux.

Haig :
Mean hey (Qu’est-ce qu’il y a) ?

Un homme :
Nous travail à élaguer gros arbre koaka. Il y a coups de feu. C’est rafale. Nous laissent koaka et courir là c’est le copain. Lui déjà presque mort.

Haig :
Qui a tiré ?

Homme (fataliste) :
Pas savoir. Assassins plus rapides. Déjà disparus, partis dans forêt. Eux emporter tronçonneuse du copain.

Tandis qu’il explique la scène, des exclamations de dépit et de désapprobation montent du groupe d’hommes.

 

Banc-titre :

La mort, c’était un détail.

On crevait tous les jours dans ces chantiers de l’Enfer.

Mais la perte d’une tronçonneuse, ça alors, oui, c’était un vrai drame !

 

Ext jour, campement

GP sur la face ridée de la mère Popeye. Elle arbore un grand sourire qui découvre ses gencives nues serrées sur le tuyau de bambou de sa pipe.

Mère Popeye (hilare) /
C’est bon !

Kim :
Qu’est-ce qui est bon ?

Mère Popeye :
Hi, hi !… Il y a un mort. Les hommes sont en colère. Ce soir, ils vont discuter beaucoup. Ça veut dire qu’ils vont beaucoup boire.

Elle pose sa main brune sur l’avant-bras de Kim et lui adresse un clin d’œil canaille.

Mère Popeye :
Tu as de la chance. Je vais te prendre deux caisses de whisky en plus, hi, hi !…

 

EXT jour, campement forestier

Une autre clairière de boue. Tout en haut, une longue maison de bois. Devant celle-ci, un mât porteur d’un drapeau rouge et blanc de l’Indonésie.

Partout, des équipes manipulent des grumes tractées ou poussées par des bulldozers.

La Marie-Bargo est amarrée à un petit embarcadère. Toute la bande est occupée à décharger des pièces mécaniques en bas d’une haute et raide pente boueuse.

La pluie s’abat soudain, brutale, avec un puissant chuintement.

Bozo :
Merde, on va morfler.

Haig :
Qu’est-ce qu’on y peut ? Au boulot, allez !

 

EXT Jour, pente

La berge est devenue une patinoire de boue liquide à la surface de laquelle semblent flotter des sacs poubelles, des bouteilles et des bidons de plastique.

Les membres de l’équipe pataugent, aidés par des bûcherons venus en renfort. Tous sont embourbés jusqu’à la taille et noyés dans un brouillard d’eau. Ils on attelé un groupe électrogène à des chaînes et ils le tirent comme des bêtes de somme.

Plans sur des mains boueuses qui laissent filer les chaînes. Le groupe électrogène s’échappe, glisse, entraîné par son poids et dévale en un instant une dizaine de mètres durement gagnés.

Désolation générale. Bozo lève ses deux mains écorchées en plusieurs endroits. Kim se masse un poignet avec une grimace douloureuse.

Haig :
Du nerf ! On recommence !

Alors que les hommes redescendent péniblement vers le groupe électrogène échoué, un long coup de klaxon retentit plus haut, dans le champ de coupe. Tous se retournent et observent, visages levés, mains en visières.

 

EXT Jour, campement

On distingue, flou derrière le rideau de pluie, un attelage fait d’un tracteur jaune et d’une énorme grume glisser dans la boue, visiblement hors de contrôle. Des hommes affolés s’agitent autour de lui.

On entend un choc puissant, aussitôt suivi d’une grande clameur de désolation,

Bang :
No good ! C’est pas bon !

Abandonnant leur tâche, ils montent.

 

EXT Jour, campement

Un bulldozer tractant des grumes a glissé sur la boue. L’attelage devenu incontrôlable a fauché un groupe d’ouvriers en contrebas.

Plan sur quatre cadavres ensanglantés, morts sur le coup. Les tripes de l’un d’eux forment un cercle jaune qui se dissout rapidement sous la pluie battante.

Un cinquième type est resté coincé sous une grume. Seuls dépassent sa tête et ses épaules. Du sang ruisselle de sa bouche et de ses narines.

Des gardes de la compagnie, armés, sont accourus. Ils dispersent en les houspillant les travailleurs assemblés autour du lieu du drame. Deux d’entre eux pointent leurs armes vers Haig et les autres.

Haig :
Laissez tomber, les gars.

Kim :
Mais le mec est vivant !

Haig :
Laisse tomber, je te dis. Viens, on y retourne.

 

EXT Jour, débarcadère

Alors que Haig et les autres se sont remis au travail, Kim descend de la Marie-Barjo, serrant sur sa poitrine des bandages, un flacon d’anesthésique et une seringue. Il monte.

 

EXT Jour, campement

Arrivant sur les lieux de l’accident, Kim veut s’approcher du blessé, histoire d’alléger ses derniers instants, mais l’un des gardes, un petit javanais costaud en uniforme, écusson rouge et blanc à l’épaule, lui plante le canon de son fusil dans la poitrine.

Soldat :
Brenti ! Stop !

Kim (en anglais) :
Je veux juste lui donner des médicaments contre la douleur.

Soldat (en anglais) :
Tu n’es pas de la Compagnie, donc tu dois partir d’ici.

Kim lui tend la fiole et la seringue.

Kim :
Tiens, pique-le toi-même.

Le garde s’obstine, canon pointé, visage fermé, l’air encore plus abruti que précédemment, si c’est possible.

Soldat :
Je ne veux rien. Je n’ai pas d’argent pour payer !

Avec un soupir excédé, Kim pose le tout sur le sol, aux pieds du type.

Kim :
C’est cadeau, imbécile. Gratuit !

GP sur l’homme coincé sous la grume qui grimace de douleur et d’épouvante.

Kim s’éloigne, les épaules basses.

La pluie s’abat, crépitant sur la boue.

 

(À suivre)

 

 

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