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LA MARIE-BARJO – Épisode 22

Publié par le 1 octobre 2022

 

 

D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.

 

EXT Jour, paysage

La Marie-Barjo fuit, moteur vrombissant, gerbes d’écume à son cul.

 

EXT Jour, « la tour »

Plan sur un gros rocher cylindrique, un petit « phnom », qui s’élève près de la rivière, jaillissant d’un bosquet de palmiers enchevêtrés.

 

INT jour, timonerie de la Marie-Barjo

Haig est à la barre, blême, les mâchoires serrées. Marisol est à ses côtés, effondrée.

Haig :
La tour. Ce gros rocher, là. On va s’arrêter ici, c’est un bon poste de guet.

Marisol :
Tou… Tou crois qu’ils sont après nous ?

Haig (baissant les gaz) :
Toujours prévoir le pire…

Marisol :
Le pire, c’est déjà arrivé, no ?

Haig (sombre) :
Ouais.

Il tourne la barre de façon à aborder et se penche à l’écoutille.

Haig :
Bang, jette l’ancre. On passe la nuit ici !

 

EXT Jour, pont de la Marie-Barjo

La péniche est amarrée près de « la tour ».

Kim est assis sur le plat-bord. Il est en miettes. Pâle comme un mort. Tremblant des lèvres et des mains. Il essaie de se reprendre, redresse les épaules, serre les poings, ferme les yeux, respire à fond. L’instant d’après, il trépigne de nouveau, cognant le sol du pied, les épaules secouées par les sanglots.

 

INT Jour, cale

La plupart de ce qui restait de bouteilles de bière et d’alcool a été pulvérisée. Le fond de cale n’est plus qu’un tapis d’éclats de verre nageant dans du liquide.

Bang patauge dans ce désastre, le visage aussi fermé que s’il était de pierre. Il ressemble à la célèbre statue de Jayavarman VII, le « roi lépreux ».Un sac à la main, il ramasse les morceaux épars de son petit chien jaune, pulvérisé par la grenade.

 

EXT Jour, pont

Bang sort de la cale et jette le sac dans la rivière. Il le regarde s’éloigner avec un soupir et retourne dans l’obscurité.

Marisol et Kim sont occupés à envelopper le cadavre de Bozo dans une couverture. Ils le déplacent. Marisol entreprend de coudre à gros points les bords de celle-ci. Kim, au moyen d’un seau qu’il plonge dans la rivière, nettoie l’endroit où la majeure partie du cerveau de son pote s’est répandue en une gerbe écarlate et jaune.

 

INT Jour, cabine

Haig fouille dans les maigres affaires de Bozo. Il trouve un passeport qu’il ouvre.

GP sur le passeport. Il est au nom de Bernard Bozuffi et indique l’adresse d’une tour du genre H.L.M. à Torcy, dans la région parisienne.

Il y a aussi une photo aux couleurs passées d’un tout petit Bozo encadré par une femme un peu trop grosse et un type costaud au crâne rasé qui parait être un militaire ou un gendarme.

Haig fourre le tout dans sac plastique.

 

EXT Jour, pont

Haig s’approche de l’endroit où Marisol s’apprête à refermer le linceul de Bozo. Il fourre dans le sac dedans.

Marisol :
Que esto ?

Haig :
Rien. Son passeport. L’adresse de ses parents.

Marisol :
Tou vas les prévenir ?

Haig :
Non.

Il s’accroupit lentement, allume posément une clope.

Haig :
Il ne m’avait jamais parlé de ces gens. Il avait tourné le dos à cette partie de sa vie. Il avait choisi l’aventure. Un aventurier, le plus souvent, ça disparaît.

Longue goulée de cigarette.

 

Banc-titre :

Je n’avais pas l’intention de prévenir qui que ce soit.

« Bonjour. J’ai bien connu votre fils Bernard. Il a été abattu par un ancien Khmer rouge alors qu’il était en route vers l’embouchure d’une rivière paumée au milieu d’un pays de cinglés… »

De quoi ça aurait eu l’air ?

 

EXT Jour, forêt

Kim, Marisol et Haig creusent une tombe à quelques encablures du rivage,, pendant que Bang monte la garde.

Ils enterrent Bozo au son de Blue Valentine de Tom Waits, l’appareil à cassette étant posé sur une souche.

 

EXT Jour, forêt

Les quatre sont réunis autour la fosse maintenant comblée.

Haig :
Salut, Bozo, capitaine des Mots, t’as été un bon compagnon, cap’taine Tête de Con !

Pour peu subtile que soit cette épitaphe, elle a le mérite de ramener une sorte de sourire à la bouche de Kim. Encadré par les parenthèses de deux rigoles de larmes, le sourire, mais un sourire quand même.

 

INT Jour, carré

Haig fouille dans un carton de boîtes de médicaments. Sur les emballages, on peut lire des noms de speeds depuis longtemps interdits en Europe, Dinantel et Fringanor;

Haig :
Demain, on sera à l’hôtel du Chinois. On y sera à peu près en sécurité. Mais pour l’heure, on est encore dans la merde. Donc, personne ne dort cette nuit. On guette.

Murmure général d’approbation.

Haig :
Kim et Marisol, vous restez à bord. Au moindre pépin, vous donnez l’alerte et vous vous mettez à l’abri. Moi, je vais me poster en haut de la tour. Toi, Bang, tu te planques sur l’autre berge.

GP sur le visage de Bang, toujours impassible depuis la mort de son chien. Il dévisage Haig pendant quelques secondes en silence, le regard dur, et il lève un index énorme pour prévenir :

Bang :
Last time, Haig, c’est la dernière fois.

 

INT Jour, crépuscule, sommet de la tour

Haig est posté avec plusieurs armes et une grosse lampe torche. Le sommet du rocher est creusé par les intempéries, formant une sorte de cuvette. Un nid d’aigle. Un poste de vigie idéal.

Contrechamp, vue de Haig : la Marie-Barjo au pied du rocher, la forêt et la rivière, une bonne vingtaine de mètres en amont et en aval.

Le crépuscule est hâté par une houle d’épais nuages gris boursouflés de charbon.

 

EXT Nuit, la tour

La nuit qui suit est sombre comme un cul de caverne. Dans cette obscurité, les bruits prennent une importance particulière. En contrebas tinte sans cesse le ruissellement de l’eau autour d’un bout de roche émergé. Tout autour, dans l’épaisseur de la canopée, c’est le concert ininterrompu des bêtes. Frottements. Reptations. Froissements de branches. Cavalcades de menues bestioles affolées, parfois conclues d’une brève plainte d’agonie.

Au loin, les grondements assourdis d’un orage, vibrations de gorges, tonnerres sourds comme des agacements de fauve.

Haig sursaute. Un bruit. Tout près. Au pied de son roc. Une frappe à peine audible. Un choc léger. Comme un pas étouffé.
Un autre pas. Souligné par un souffle.
Un ruissellement léger de graviers détachés de la paroi.

Haig arme son colt 45. Au cliquetis métallique répond le bref éclair d’une lampe et un chuchotement.

Marisol :
Capitan, c’est moi…

 

EXT Nuit, la tour

On distingue à peine la forme de Marisol tandis qu’elle se glisse dans le creux du rocher. Un short de couleur claire. Une chemise nouée à la diable.

Haig laisse tomber son arme. Empoigne Marisol par le bras. L’attire contre lui. Elle ne résiste pas.
Tous deux sont pareillement en fièvre. Ivres. Brutaux. Ils se mangent les bouches. Leurs mains griffent les fringues de l’autre, cherchant les ouvertures. Dégrafant. Déchirant.
Puis ce sont des saccades sans douceur, accompagnées de grondements sans tendresse.
Il baisent comme des bûcherons cognent.
Elle s’offre sans retenue, obscène, sauvage, naufragée sans retenue dans le plaisir. Ses griffes déchirent le dos de Haig. Ses talons fouettent ses flancs.
Ils se plantent les dents dans les lèvres pour contenir les cris qui s’y pressent.

 

EXT Nuit, la tour

Ils gisent immobiles, enlacés, poitrines secouées par des souffles de bêtes harassées.

Des gouttes d’eau claquent sur la pierre.
Une. Deux. Puis dix. Puis mille.
Alors ils s’assoient l’un devant l’autre sous l’averse. Ils se dépouillent l’un l’autre des vêtements déchirés dans le premier assaut.
Leurs peaux se collent, ruisselantes de pluie.

Ils font longuement l’amour. Tendrement cette fois.

 

EXT Jour, la tour

L’aube grise les trouve enlacés.
Ils rassemblent leurs vêtements épars, trempés, qu’ils enfilent avec peine, riant de leurs maladresses.

 

INT Jour, carré de la Marie-Barjo

Marisol gagne sa cabine. Haig la suit. Lui saisit l’épaule. Repousse doucement des mèches mouillées de son visage.

Haig (chuchotant) :
Il serait temps que tu me parles, Marisol.

Elle le dévisage un moment de ses grands yeux turquoise. Hoche lentement la tête. Murmure :

Marisol :
De acuerdo. Je vais tout te raconter…

 

(À suivre)

 

 

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