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LA MARIE-BARJO – Épisode 26

Publié par le 29 octobre 2022

 

D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.

 

EXT Jour, sommet

La lampe allumée à l’intérieur du blockhaus dessine la forme rectangulaire de la porte et celles, plus étroites de deux meurtrières derrière des filets de lianes pendantes. On ne distingue presque rien du reste. Une vague ombre massive, carrée, ébouriffée par endroits.

Devant s’étend un espace nu, une clairière de latérite d’une trentaine de mètres de diamètre semée de maigres bouquets d’herbe, le tout battu par la pluie.

De l’intérieur parviennent des coups sourds de pelle ou de pioche, ponctués des ahanements de celui qui la manie.

Haig et Marisol s’approchent et se collent à la porte, chacun d’un côté.

 

INT Jour, bunker

Une petite salle carrée. Une grosse lampe posée par terre. Le Bouddha d’or, à demi démailloté d’un tissu. La gemme de son front brillante dans l’obscurité comme une étoile sur un ciel de nuit.

Devant, à genoux, Valentin creuse à coups de pelle-bêche tandis que Pierrot, le petit gros, tire du trou des petits paquets de chiffon qu’il pose à côté de lui. L’un des chiffons est à moitié déroulé, montrant une figurine de jade.

Plan sur les M 16 que les deux pieds nickelés ont posé leurs contre le mur, pas très loin, mais pas non plus à immédiate portée de main.

Pas brillants, les lascars. Rouges. Ruisselant de sueur. Les bouches ouvertes sur leurs souffles courts. Dans leurs treillis maculés de boue et déchirés par les ronces, ils ont l’air de deux vieillards en panoplie de soldats, pas redoutables pour un sou.

Haig dégaine son 45, adresse un signe de tête à Marisol et bondit à l’intérieur.

 

INT Jour, bunker

Haig (beuglant) :
Stop !

Marisol le suit, son colt braqué à deux mains.

Marisol :
On ne bouge plus, cabrones !

Pierrot et Valentin s’immobilisent.

Sur leurs deux visages, on voit passer l’espace d’une seconde une expression de terreur indicible, aussitôt remplacée par une moue de soulagement. « Ce n’est que ces deux-là », semblent-ils se dire.

Valentin laisse tomber la pelle-bêche dans le trou et lève les mains. Pierrot bondit sur ses pieds.

Marisol :
À genoux, mains sur la tête !

Pierrot n’est pas intimidé. Il se jette en avant, droit sur Marisol.

Pierrot :
Va te faire enculer, salope !

Marisol tire. Droit dans la poitrine. Pierrot vole en arrière et s’écroule contre le mur. Elle s’avance, le pas décidé, se penche sur lui et lui remet posément une deuxième balle en plein front.

Elle rengaine. Indifférente. Dure. Elle ramasse les deux M 16 et les jette à l’extérieur, l’un après l’autre, en gratifiant à chaque passage Valentin d’un coup de pied dans les reins.

Marisol (à Haig) :
Fouille cet enfoiré !

Il s’exécute, visiblement choqué par l’absence de pitié de Marisol.

Valentin lui aussi semble tétanisé par l’exécution brutale de son pote. Il tremble, la respiration hachée, laissant échapper à chaque souffle un gémissement de chiot.

Haig le palpe sur tout le corps. Il ne trouve comme arme qu’une machette qu’il sort de sa gaine et jette à terre. Il se redresse et se retrouve devant le trou noir d’un canon de colt . Celui que Marisol lui braque sur le visage.

Marisol :
Je t’aime bien, Haig, alors je te laisse le choix. Soit tu jettes toutes tes armes à mes pieds et tu te fous à genoux, les mains sur la tête à côté de l’autre connard. Soit tu crèves dans trois secondes.

Haig:
Putain, Marisol…

Marisol (indifférente) :
Une… Deux…

Haig lâche son flingue, se laisse lentement tomber à terre et joint les mains derrière sa nuque.

Marisol (ironique) :
Surpris, capitan ?

Haig :
Non.

 

INT Jour, bunker

Marisol se tient appuyée au mur, jambes croisées, son colt dans une main, le 45 de Haig dans l’autre, tous deux nonchalamment dirigés sur le trou, au centre, dans lequel Valentin et Haig s’affairent. Décontractée, la fille. Belle, dans son genre. Avec un petit air dédaigneux. L’air de la fieffée garce qu’elle est.

Les deux hommes déballent les statuettes de jade et les bijoux au fur et à mesure qu’ils les déterrent et les alignent au bord du trou. Tous deux sont silencieux, les visages fermés. De temps en temps, Valentin jette un œil vers le corps de Pierrot et son regard flambe de haine. À d’autres moments, il observe Haig. À ses regards, on comprend qu’il se demande s’il peut se faire un allié du marin pour la suite des événements telle qu’il l’envisage.

Soudain, il se décide à agir.

Valentin (à Marisol) :
Dis-donc, poupée, c’est quoi, à la fin, ton plan ?

Marisol :
Muy facil… Vous allez finir de sortir le trésor, emballer tout ça du mieux que vous pourrez, charger le tout sur vos belles épaules viriles, et vous me servirez de porteurs pour redescendre à la rivière. Si vous travaillez bien, peut-être que la « poupée » vous laissera en vie…

Valentin se redresse, un très beau dieu éléphant Ganesh en jade à la main. Il crache devant lui.

Valentin :
T’es cinglée ! Là, dehors, il y a Redman. Il va te tuer. Te découper en morceaux. Écorcher ta jolie peau et se branler dedans…

Marisol (haussant les épaules) :
Pff… Des conneries, tout ça.

Valentin :
Tu ne comprends pas. C’est Redman, putain. LE Redman. Il va surgir de nulle part pour te tomber dessus. Tu seras morte avant d’avoir compris ce qui t’arrive.

Marisol :
Garde tes histoires d’ogre pour les gamins que tu baises à Bangkok, vieux maricon.

Valentin lance un regard appuyé à Haig puis revient à Marisol.

Valentin :
Réfléchis un peu, bécasse. Après toi, on y passera tous les deux si on n’a rien pour se défendre. Notre seule chance à tous les trois, c’est de s’unir. File nous des armes.

Marisol ricane

Valentin (insistant) :
A trois, on garde une chance. Regarde un peu, bon dieu !…

Il brandit le Ganesh qu’il tient en main. Plan sur le bouddha placide qui luit doucement dans son coin, puis sur les autres pièces inestimables répandues sur le sol.

Valentin :
Il y a assez pour nous rendre riches tous les trois…

Il adresse un nouveau coup d’œil à Haig qui se lance à son tour.

Haig :
On te laissera la plus grosse part. Pas vrai, Valentin ?

Valentin :
Banco. La moitié pour toi, l’autre moitié pour nous.

Marisol se décolle du mur, les mains raffermies sur les flingues.

Marisol :
Madre de dios, et on dit que les femmes sont bavardes ! Fermez vos grandes gueules. Et Continuez à creuser où je vous en colle une dans la tête, là, maintenant !

Les deux hommes soupirent en se regardant et se remettent à l’ouvrage.

 

INT Jour, bunker

Même situation. Au nombre de jades et de bijoux amoncelés au bord du trou, on comprend que du temps a passé.

Haig se redresse, mains sur les reins. Marisol ne bronche pas. Il reste un moment immobile.

Haig :
Qui c’est, ce Redman ?

Valentin se redresse à son tour.

Valentin :
Un fou. Un indien Cherokee. Il a fait six ans ici. Vietnam. Cambodge. Laos. Dans les forces spéciales. Sur tous les coups dégueulasses… C’est un colosse, le mec. Deux mètres de haut. Une gueule de diable…

Marisol (criant plus fort que nécessaire) :
Je vous ai dit de la fermer !

Valentin ferme un instant les yeux d’exaspération et décide de l’ignorer.

Valentin :
À la fin de la guerre, il cherchait du pognon pour déserter l’armée. Carlo l’a embauché pour l’accompagner jusqu’ici. Résultat, l’indien a tué le pilote d’hélicoptère à leur retour à Phnom Penh et après, il a essayé de choper Carlo. C’est à cause de Redman que Carlo a tout abandonné ici. Il est allé se planquer à Djakarta.

Marisol (exaspérée) :
La ferme !…

Valentin (l’ignorant) :
L’Indien, après, il a tué je sais pas combien de filles dans un pays d’Amérique du sud. Ils l’ont mis en taule pendant vingt ans. Et puis ces cons-là l’ont relâché, et voilà, le mec est revenu ici, au Cambodge…

Marisol :
Puta di mierda, tais-toi !

Valentin :
Il a tué un paquet de monde en remontant la Lon Stung. Tous les gens du coin en causent. Les piroguiers qui nous ont emmenés, ils en avaient une frousse bleue.

Haig :
Tu sais que c’est vrai, Marisol. Tu as vu les corps à la pagode. Tous ces décapités. Ces morts par flèches…

Marisol :
Tu ne vas t’y mettre, toi aussi ?

Haig :
C’est lui, l’Indien, qui a égorgé ton père, à Phnom Penh…

Valentin éclate d’un rire sec, sans joie, qui sonne plutôt comme un ricanement.

Valentin :
Qu’est-ce que tu racontes, ducon ? C’est pas la fille de Carlo.

Marisol :
Ta gueule !

Haig (surpris) :
Quoi ?

Valentin :
T’as rien compris, abruti. C’était pas sa fille, à Carlo, c’était juste sa pute !

Marisol fait un pas en avant. Sa réaction est si vive qu’on la voit à peine tirer. La détonation résonne comme un coup de canon dans le cube de ciment.

La tête de Valentin explose.

Haig est aspergé de matière cervicale, de bout d’os et de sang.

Il se plie en deux et vomit comme un gosse sur un manège qui va trop vite. De longs hoquets le secouent.

Quand il se relève, une éternité plus tard, c’est pour se retrouver devant le canon du flingue de Marisol qui le braque de nouveau.

Marisol :
Tu vas faire les choses comme je dis, si o no ?

Haig se frotte le visage et la poitrine, essuyant les abats de ce pauvre Valentin. Il hoche tristement la tête. Et se remet à creuser.

 

(A suivre)

 

 

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