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IMPASSE KAMPUCHEA (1)

Publié par le 3 mai 2014

GAMINE

 

Sous la lumière si dure
Qu’elle mord
Ce ciel immense
Un ravage d’ordures
Y courent y dansent
Des nuées d’enfants morts

Le Hobo il gagne un passage entre deux immeubles.
Dans le temps oui c’était une rue, sûrement
Maintenant c’est une décharge, un tapis d’ordures
D’un bon mètre épais
En guise de chaussée.

Le Hobo il débouche sur un immeuble bas,
Noir
De crasse,
Avec des traînées de moisissures
Qui scintillent dans la lumière.
Une pauvre bâtisse en U, en cul
De sac,
Autour d’un genre de square.
Y’a vingt ans, il se dit le Hobo,
C’était la Cité Du Travailleur Méritant
Ou un truc comme ça.

Sur l’esplanade le tas d’ordure épaissit encore,
S’élargit,
Ondule,
Mange le bas de l’immeuble / Pieuvre
L’une des tentacules
Atteint des trous de fenêtres du premier étage.

A même cette mer de merde pâle, décolorée
Par le soleil qui la
Frappe,
Des sentiers serpentent,
Faits de vieilles planches, de branches,
De palmes sèches arrachées à des palmiers.
Le Hobo il comprend :
C’est des chemins pour les enfants
Des passerelles,
Drôle de jeu de marelle, le Hobo il pense.

Des gamins, y’en a partout.
Des lutins de famine, beaucoup.
Un sac crevé à l’épaule,
Une tige de ferraille à la main,
Fouillent, têtes penchées,
Ramassent du métal, du verre, du carton,
De la merde.
Le Hobo il s’envoie un coup de vodka,
Il se dit Jésus Jésus
Faut vraiment être saoul
Pour pas sentir cette puanteur.

Trrrriiiiiiiiiiiiiiiit !
Un coup de sifflet à roulette.
Y’a un vétéran mutilé qui va et vient.
Il porte un treillis déchiré.
Sa jambe gauche, c’est une pointe de ferraille,
A la main il tient un vieux rétroviseur,
Son sceptre, le Hobo comprend.
Tous les trois pas il s’arrête,
Porte le sifflet à sa bouche,
Trrrrriiiiiiiiiiiiiiit !
Brandit haut le rétro,
Donne l’ordre à la voiture dans sa tête
De s’arrêter immédiatement.

Une gamine s’approche.
Elle a huit ans, dix ans, cent ans,
Vêtue d’une veste de soldat,
Un slip d’homme, des pattes d’araignée.
A ses deux flancs se pressent
Deux enfants,
Un petit, un encore plus petit,
Un en haillons, l’autre nu,
Ses frères, sûrement,
Le Hobo il se dit.

La fille l’observe.
Deux grands yeux noirs
Sous une frange
Noire,
Taillée de travers,
Qui scrutent.
Tu veux quelque chose ? le Hobo il dit,
Le Khmer il le baragouine.
Des dollars, la fille elle dit.
Tu es étranger, qu’elle pense, un Blanc,
Alors t’as beaucoup d’argent,
Les gens de ta race, ils ont plein d’argent.

Le Hobo il s’envoie une rasade,
Il dit : vends-moi quelque chose.

La gamine s’avance.
D’une poche elle sort un livre, le tend.
Ses yeux comme des lignes d’encre
Où est écrit :
Je te tue si tu refuses, le Blanc.
Le Hobo il rigole,
Le Hobo il les connaît ces yeux là,
Alors il tend la main.
C’est un bouquin de contes pour enfants
En français.
Un très vieux livre pour l’école,
De 1961,
La couverture jaune en lambeaux.
C’est bien, il dit le Hobo, ça m’intéresse,
Combien tu veux pour ça ?
Dix dollars !
Ça gicle, ça jaillit d’elle.
C’est craché à son visage, au Hobo,
C’est dix dollars, l’étranger,
Dix ! Dix ! Dix !
Ses yeux toujours ils disent
Je te tues si tu veux pas.

Le Hobo il sort une liasse,
Des dollars il en a plein les fouilles,
Y’a pas quinze jours
Qu’il a bossé pour Charlie Wang.

Il prend un billet de dix, demande :
Comment tu t’appelles ?
Mom, la fille elle dit.
Le Hobo il tend le billet, il dit :
Content de faire affaire avec toi, Mom.

Mom elle plonge.
Le billet n’est plus dans la main du Hobo.
Mom elle est déjà loin.
Elle court dans les ordures en
Hurlant
De joie.
Ses deux frangins cavalent derrière,
Gueulant aussi.
Entendant ça, tous les autres gamins rient,
Voilée de moineaux qui s’écrient.

Et leurs rires il bondissent
En échos,
Contre les angles du bâtiment.

 

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