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Bouquin-quizz n°21

Publié par le 14 mai 2015

 

Bonjour à tous.
Voici un extrait de… Je veux dire d’un roman de…
Non. Finalement, je ne vais pas vous l’indiquer. Ça vous amusera peut-être d’essayer de deviner.
Et si ça ne vous amuse pas, je vous conseille de le lire quand même. Ça vaut !

Le président du Conseil, accompagné de son ministre des Affaires étrangères et d’une suite importante de techniciens, séjournait alors à Genève, où il représentait la France à la Conférence du désarmement.
Cette conférence débutait sous les plus heureux auspices. Toutes les nations, grandes et petites, étaient d’accord pour désarmer et convenir que le désarmement apporterait un grand soulagement aux maux de l’humanité. Il ne s’agissait plus que de concilier les points de vue, nécessairement différents, avant d’arrêter les articles d’un plan mondial.
L’Angleterre disait :
– Nous sommes le premier peuple maritime du monde, depuis plusieurs siècles. En outre, à nous seuls, Anglais, nous possédons la moitié des colonies disponibles dans le monde, ce qui revient à dire que nous faisons la police sur la moitié du globe. Voilà le point de départ de tout désarmement. Nous nous engageons à ce que le tonnage de notre marine n’excède jamais le double du tonnage de la seconde marine du monde. Commençons donc par réduire les marines secondaires, et la réduction de notre marine suivra sans tarder.
L’Amérique disait :
– Nous sommes dans la nécessité de nous mêler des affaires de l’Europe, où tout va mal par excès d’armements, qui ne peut évidemment se mêler des affaires de l’Amérique, où tout va bien. Le désarmement concerne donc avant tout l’Europe, qui n’est pas qualifiée pour contrôler ce qui se passe sur l’autre continent (« et d’ailleurs, ces Japonais sont de bien grandes et redoutables canailles. » Mais cela se murmurait seulement dans les coulisses de la conférence.) Nous apportons un programme américain. En tout, les programmes américains sont excellents, car nous sommes le pays le plus prospère de la terre. Enfin, si vous n’acceptez pas notre programme, attendez-vous à recevoir nos relevés de factures…
Le Japon disait :
– Nous sommes prêts à désarmer, sauf qu’il convient d’appliquer à notre peuple un « coefficient d’extension » qu’on ne saurait en bonne justice lui refuser, si on le compare aux peuples en régression. Nous avons actuellement la plus forte natalité du monde. Et si nous ne mettons pas un peu d’ordre en Chine, ce malheureux pays va sombrer dans l’anarchie, ce qui serait un immense désastre pour la communauté humaine. (Et d’ailleurs, ces Américains sont des brutes orgueilleuses et de bien inquiétantes crapules. » Mais cela se murmurait seulement dans les coulisses de la conférence.)
L’Italie disait :
– Dès que nous aurons égalé en puissance l’armement de la France, que nous égalons en population, nous commencerons à désarmer. (Et d’ailleurs, ces Français sont de bien grands voleurs. Ils nous ont autrefois volé Napoléon. Et voici qu’ils nous volent maintenant le nord de l’Afrique. Est-ce que Rome, oui ou non, a bien réduit Carthage ? » Mais cela se murmurait seulement dans les coulisses de la conférence.)
La Suisse disait :
– Etant pays neutre, appelé à ne jamais se battre, nous pouvons bien armer tant que nous voudrons, cela n’a pas d’importance. (« Et d’ailleurs, si le désarmement était chose faite, il n’y aurait plus de conférence de désarmement et notre syndicat d’initiative le trouverait mauvais. Et vous, messieurs, vous n’auriez plus si souvent l’occasion de venir en Suisse aux frais de la princesse. » Mais cela se murmurait seulement dans les coulisses de la conférence.)
Et la Belgique :
– Etant pays neutre, dont la neutralité n’est pas respectée, nous demandons à nous armer librement jusqu’aux dents.
Et les petits peuples de formation récente, les plus turbulents, les plus faiseurs d’embarras, les plus criards :
– Nous sommes vivement partisans du désarmement des grandes nations qui nous menacent de toute part. Mais, en ce qui nous concerne, nous devons d’abord songer à nous armer décemment. (Et d’ailleurs, les armements sont très nécessaires à nos emprunts, car ils garantissent à nos prêteurs que leur argent leur reviendra par le truchement des marchands de canons. » Mais cela se murmurait seulement dans les coulisses de la conférence.)
Bref, toutes les nations tombaient d’accord sur une formule qui se résumait en un mot : « Désarmez ! » Et comme toutes les nations avaient délégué à Genève leurs experts militaires, les firmes Krupp et Schneider jugèrent opportuns d’y dépêcher leurs meilleurs courtiers, qui auraient certainement, dans les hôtels, l’occasion de parler des nouveaux modèles et d’enregistrer de bonnes commandes. Ces courtiers savaient à fond leur métier, possédaient des fiches de renseignements très complètes sur les hommes d’Etat et leurs satellites, et disposaient d’un budget de corruption qui permettait de contenter les consciences les plus difficiles. D’ailleurs, gagnés par l’ambiance pacifiste, les concurrents estimèrent plus profitable de désarmer eux-mêmes sur le plan commercial.
– Il y a de la place pour deux, mon cher confrère, dit le courtier de Krupp. Qu’en pensez-vous ?
Ja wohl, ja whol ! lui répondit dans sa langue, par courtoisie, le courtier de Schneider. Ich denke so. Pour sûr, nous n’allons pas nous battre à Genève !
– Alors, part à deux, conclut le courtier de Krupp. Pour quels articles êtes-vous spécialement placé ?
– En 65, 75, en 155 à tir rapide, en 270 et en 380, je suis certainement sans concurrence, répondit le Français. Et vous ?
– Pour les 88, les 105, les 130, les 210 et les 420, je crois que vous ne pouvez pas vous aligner, répondit l’Allemand.
– Alors, tope, compère !
– Tope ! Et tenez, pour vous montrer que je suis loyal, je vous signale que la Bulgarie et la Roumanie ont l’intention d’améliorer leur artillerie légère. Vous ferez certainement affaire avec ces gens-là. Par exemple, prenez garde à la Bulgarie : son crédit n’est pas fameux.
– Je prends note. Et voyez vous-même du côté de la Turquie et de l’Italie. Je sais qu’elles ont besoin de grosses pièces pour leurs places fortes.
Depuis quarante-huit heures, les deux courtiers avaient eu déjà d’utiles conversations et remis quelques chèques encourageants. Les marchandages de la conférence elle-même allaient moins aisément. Mais on avait déjà prononcé cinq ou six discours de premier ordre d’une grande élévation de pensée, supérieurement calculés en vue des résonances internationales. Le discours français venait au premier plan.

 

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