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Bouquin-quizz n°39

Publié par le 10 février 2016

 

Bonjour à tous.
Voici un extrait de…
Je veux dire d’un roman de…
Non. Finalement, je ne vais pas vous l’indiquer. Ça vous amusera peut-être d’essayer de deviner.
Et si ça ne vous amuse pas, je vous conseille de le lire quand même. Ça vaut !


Un chahut de camions chargés de fusils couvrait Madrid tendue dans la nuit d’été.
Depuis plusieurs jours les organisations ouvrières annonçaient l’imminence du soulèvement fasciste, le noyautage des casernes, le transport des munitions.
Maintenant le Maroc était occupé.
A une heure du matin, le gouvernement avait enfin décidé de distribuer les armes au peuple ; à trois heures, la carte syndicale donnait droit aux armes. Il était temps : les coups de téléphone des provinces, optimistes de minuit à deux heures, commençaient à ne plus l’être.

Le central téléphonique de la gare du Nord appelait les gares les unes après les autres.
Le secrétaire du syndicat des cheminots, Ramos, et Manuel, désigné pour l’assister cette nuit, dirigeaient. Sauf la Navarre, coupée, la réponse avait été, ou bien : le Gouvernement est maître de la situation, ou bien : les organisations ouvrières contrôlent la ville en attendant les instructions du Gouvernement.
Mais le dialogue venait de changer :

— Allô Hueca ?
— Qui parle ?
— Le comité ouvrier de Madrid.
— Plus longtemps, tas d’ordures ! Arriba España !

Au mur, fixée par des punaises, l’édition spéciale (7 h 00 du soir) de Claridad, sur six colonnes : « Aux armes, camarades ! ».

— Allô Avila ? Comment ça va chez vous ? Ici la gare.
— Va te faire voir, salaud. Vive le Christ-Roi !
— Ah ouais ? Ben à bientôt, salud !

Les lignes du Nord convergeaient vers Saragosse, Burgos et Valladolid.
— Allô Saragosse ? Le Comité ouvrier de la gare ?
— Fusillé. Et autant pour vous avant longtemps. Arriba España !
— Allô Tablada ? Ici Madrid-Nord, le responsable du syndicat…
— Téléphone à la prison, enfant de putain ! On va aller te chercher par les oreilles.
— Ah ouais ? Ben rendez-vous sur l’Alcala, deuxième bistrot à gauche.
Ceux du central regardaient la gueule de jovial gangster frisé de Ramos.
— Allô Burgos ?
— Ici le Commandante.
Plus de chef de gare. Ramos raccrocha.

Un appareil appelait :
— Allô Madrid ? Qui êtes-vous ?
— Le Syndicat des transports ferroviaires.
— Ici Miranda. La gare et la ville sont à nous. Arriba España !
— Ouais, mais Madrid est à nous. Salud !
Il ne fallait plus compter sur des secours du Nord, sauf par Valladolid. Restaient les Asturies.
— Allô Oviedo ? Qui parle ?
Ramos devenait prudent.
— Le délégué de la gare.
— Ici Ramos, secrétaire du Syndicat. Comment ça va chez vous ?
— Le colonel Aranda est fidèle au Gouvernement. Ça ne va pas très bien à Valladolid : nous envoyons trois mille mineurs armés pour renforcer les nôtres.
— Quand ?
Un martèlement de crosses, autour de Ramos, qui n’entendit plus.
— Quand ?
— Tout de suite.
— Salud !

« Suis ce train au téléphone », dit Ramos à Manuel. Il appela Valladolid :
— Allô Valladolid ? Qui parle ?
— Délégué de la gare.
— Comment ça va ?
— Les nôtres tiennent les casernes. Nous attendons un renfort d’Oviedo : faites le possible pour qu’il arrive au plus tôt. Mais soyez sans inquiétude : chez nous ça ira. Et chez vous ?
On chantait dans la gare. Ramos n’entendait pas sa propre voix.
— Comment ? demandait Valladolid.
— Ça va. Ça va.
— Les troupes sont révoltées ?
— Pas encore.
Valladolid raccrochait.

On pouvait détourner par là tous les secours du Nord.
A travers des histoires d’aiguillages qu’il comprenait mal et dans l’odeur de carton du bureau, de fer de fumée de la gare (la porte était ouverte sur la nuit très chaude), Manuel notait les appels des villes.
Dehors, le bruit des chants et des crosses de fusils ; il devait sans cesse faire répéter (les fascistes, eux, raccrochaient). Il reportait les positions sur la carte du réseau : Navarre, coupée ; tout l’Est du golfe de Biscaye, Bilbao, Santader, San-Sebastian, fidèle mais coupé à Miranda. D’autre part, les Asturies, Valladolid, fidèles.

Les sonneries sans arrêt.

— Allô ? Ici Ségovie. Qui êtes-vous ?
— Délégué du Syndicat, dit Manuel, regardant Ramos d’un air interrogateur. Qu’est-ce qu’il était, au fait ?
— On ira bientôt te les couper !
— Ça passera inaperçu. Salud !

Maintenant c’étaient les gares fascistes elles-mêmes qui appelaient : Sarracin, Lerma, Aranda del Duero, Sepulveda, Burgos de nouveau… De Burgos à la Sierra, les menaces descendaient plus vite que les trains de secours.

— Ici le ministère de l’Intérieur. Le central du Nord ? Faites savoir aux gares que la garde civile et la garde d’assaut sont aux côtés du Gouvernement.

— Ici Madrid-Sud. Comment ça va au Nord, Ramos ?
— Ils ont l’air de tenir Miranda, et pas mal plus bas. Trois mille mineurs descendent sur Valladolid : on aura du renfort par là. Et chez vous ?
— Les gares de Séville et de Grenade sont à eux. Le reste tient.
— Cordoue ?
— On ne sait pas : on se bat dans les faubourgs quand ils ont les gares. Tabassage sérieux à Triana. Aussi à Penarroya. Mais tu m’épates avec ton histoire de Valladolid : ce n’est pas à eux ?
Ramos changea de téléphone, et appela :
— Allô Valladolid ? Qui parle ?
— Délégué de la gare.
— Ah ?… On nous disait que les fascistes étaient chez vous.
— Erreur. Tout va bien. Et chez vous ? Les soldats se sont révoltés ?
— Non.
— Allô Madrid-Nord ? Qui parle ?…

— Responsable des transports ?
— Ici Tablada. Tu n’as pas appelé ici ?
— On nous a dit que vous étiez fusillés ou en tôle, je ne sais quoi.
— Nous en sommes sortis. Ce sont les fascistes qui y sont. Salud !

— Ici la Maison du Peuple. Faites savoir à toutes les gares fidèles que le gouvernement, appuyé sur les milices populaires, est maître de Barcelone, de Murcie, de Valence, de Malaga, de toute l’Estrémadure et de tout le Levant.

— Allô ! Ici Tordesillas. Qui parle ?
— Conseil ouvrier de Madrid.
— Les salauds de ton espèce seront fusillés. Arriba España !
Medina del campo, même dialogue ; La ligne de Valladolid restait la seule grande ligne de communication avec le Nord.
— Allô Leon ? Qui parle ?
— Délégué du Syndicat. Salud !
— Ici Madrid-Nord. Le train des mineurs d’Oviedo est passé ?
— Oui.
— Tu sais où il est ?
— Vers Mayorga, je pense…

Dehors, dans la rue de Madrid, toujours les chants et les crosses.

— Allô Mayorga ? Ici Madrid. Qui parle ?
— Qui êtes vous ?
— Conseil ouvrier de Madrid.
On raccrochait. Alors ? Où était ce train ?
— Allô Valladolid ? Etes-vous sûrs de tenir jusqu’à l’arrivée des mineurs ?
— Absolument sûrs.
— Mayorga ne répond pas !
— Aucune importance.

— Allô Madrid ? Ici Oviedo. Aranda vient de se soulever, on se bat.
— Où est le train des mineurs ?
— Entre Leon et Mayorga.
— Maintenez le contact !
Manuel appelait. Ramos attendait.
— Allô Mayorga ? Ici Madrid.
— Qui ?
— Conseil ouvrier. Qui parle ?
— Chef de centuries des phalanges espagnoles. Votre train est passé, idiots. Toutes les gares sont à nous jusqu’à Valladolid, et Valladolid est à nous depuis minuit. Vos mineurs, on les attend avec des mitrailleuses. Aranda en est débarrassé. A bientôt !
— Au plus tôt !

L’une après l’autre, Manuel appela toutes les gares entre Mayorga et Valladolid.
— Allô Sepulveda ? Ici Madrid-Nord, Comité ouvrier.
— Votre train est passé, andouilles. Vous êtes tous des cons, et nous irons cette semaine vous les couper.
— Physiologiquement contradictoire. Salud !

L’appel continuait.
— Allô Madrid ? Allô ! Allô ! Madrid ? Ici Navalperal, de Pinares. La gare. Nous avons repris le patelin. Les fascistes, oui, désarmés, en tôle. Prévenez. Les leurs téléphonent toutes les cinq minutes pour savoir si la ville est toujours à eux. Allô ! Allô !

— Il faudrait envoyer partout de fausses nouvelles, dit Ramos.
— Ils contrôleront.
— Ça leur ferait toujours ça comme pagaille.

— Allô Madrid-Nord ? Ici l’U.G.T. Qui parle ?
— Ramos.
— On nous dit qu’un train de fascistes s’amène avec armement perfectionné. Il descendrait de Burgos. Tu as des tuyaux ?
— On le saurait ici, toutes les gares sont à nous jusqu’à la Sierra. Il faut quand même prendre des précautions. Un moment…

« Appelle la Sierra, Manuel. »

Manuel appela les gares l’une après l’autre. Il tenait à la main une règle, et semblait battre la mesure. Toute la Sierra était fidèle.
Il appela le central des Postes : mêmes informations.
En deça de la Sierra, ou les fascistes n’avaient rien tenté, ou ils étaient battus.
Pourtant ils tenaient la moitié du Nord. En Navarre, Mola, l’ancien chef de la sûreté de Madrid ; contre le gouvernement, les trois quarts de l’armée, comme d’habitude. Du côté du Gouvernement, la garde d’assaut et le peuple, la garde civile peut-être…

— Ici l’U.G.T. C’est Ramos ?
— Oui.
— Alors, le train ?
Ramos résuma.
— Et en général ? demanda-t-il à son tour.
— Bon. Très bon. Sauf au ministère de la Guerre. A six heures ils ont dit que tout était foutu. On leur a dit qu’ils n’en avaient pas. Eux prétendent que les miliciens se débineront. On se fout de leurs histoires. Je t’entends à peine, tellement les types chantent dans la rue…

Dans le récepteur, Ramos entend les chants, qui se mêlent à ceux de la gare.

Bien que l’attaque eût sans doute éclaté partout à la même heure, il semblait que ce fût une armée en marche qui s’approchât : les gares tenues par les fascistes étaient de plus en plus proches de Madrid ; et pourtant l’atmosphère était si tendue depuis quelques semaines, la foule si inquiète d’une attaque qu’elle devrait peut-être subir sans armes, que cette nuit de guerre semblait une libération.

(A suivre)

 

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