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Les Wallis de Kons 01

Publié par le 20 mars 2021

 

Où le diable me sauve de justesse.

D’un pas mal assuré j’emprunte le chemin qui mène de la douane à l’avion. Faiblard, j’ai le palud du comptoir. Je pisse la sueur par tous les pores. J’ai la tremblote. Me res-sai-sir ! Oublier le sea, sex and sun, les potes, la gnôle et la ganja !

Je n’ai devant moi que quelques heures pour me retrouver d’aplomb et afficher bonne figure. Sobriété, je le jure. Sobriété et sérieux seront désormais ma règle. Pour mille ans.

Pied de la passerelle. La contreplongée sur deux paires de cuisses me donne un coup de trique au moral. Envie de boire et de boire frais. En un éclair, je comprends que je viens de jeter une nouvelle fois mes bonnes intentions aux requins. Mon solide bon sens ne me fait pas défaut et j’en suis fort aise.

Conscient de mon haleine de sanglier en rut, je retiens ma respiration face aux sourires commerciaux aseptisés des hôtesses. « Compris dans le prix du billet », c’est écrit sur leur front. Je garde les lunettes de soleil sur le nez pour leur cacher mes yeux, que j’imagine sans mal vitreux et injectés de sang.

Aux propos insignifiants de ces dames sur le confort, la ceinture à boucler, je reste coi, ne pense rien, me fais petit, petit, petit. Merci. Oui. S’il vous plaît. Bien sûr. Absolument. Tout à fait. Encore merci…

Point fixe. Les réacteurs montent en puissance, hurlent. Le pilote lâche le 737.
GO !
Adieu cette fois Tahiti, les amis et les copines. Pour l’éternité peut-être.

Me voilà parti dans une introspection paranoïaque en guise descente mentale. J’ai toujours voulu être maître de l’avenir mais jamais il ne m’a glissé dans l’oreille ce que je voulais savoir. Ou trop rarement. Félin indomptable, le futur ! Féroce. Toujours ingrat. Rarement prodigue. Farceur aussi.

La destinée est une catin, une professionnelle qui n’a jamais répondu à mes sourires ni à ma main dans ses cheveux ni même à mon blé discrètement glissé sur la table de nuit. Elle a toujours voulu plus.
« J’embrasse pas », me disait « l’à venir ». Attention je donnais de ma personne, allais au mastic, violais les règles, pétais les serrures car elles étaient serrures. Je n’attendais rien d’autre du foutu futur que le grand frais du large. Ce n’était pas beaucoup demander. Simplement une brève image. Un flash. Savoir !
J’ai toujours voulu écouter Cassandre, c’est elle qui ne veut pas me parler.
Pour donner le change, il me faut la traquer, lui faire avouer ce qu’elle sait, quitte à la forcer un peu et au diable la séduction.
Un saut de puce à bord de 50 tonnes de métal et de kérosène et la trouverai-je, au hasard de cette île ?

Je n’aurai pas de réponse.
Au sortir de mon demi-sommeil, le vide m’assaille avec en prime une climatisation à sécher un poisson en un éclair. Les soubresauts de la machine s’ajoutant au mauvais café d’usage me remuent foie, tripes, gorge.
Nausée.
Je fonce aux gogues, dégueule à mort. Puis vais me caler dans deux fauteuils restés vacants au cul de l’avion pour éjecter plus confortablement mon trop plein de souvenirs, de bonheur et de rage.
J’ai le caberlot qui tourne à verlant. Je tente de m’accrocher aux branches de ma mémoire pour ralentir la chute dépressive, violente, dans laquelle je suis pris sans raison. Mon impatience est devenue tension. L’avion est lent, trop lent, lent, trop lent, lent, trop lent pour ma parano. Je compte les minutes restantes à passer dans la bétaillère.

Le mutisme de mes compagnons de vol me rassure. Wallisiens et Futuniens sont tranquilles comme des paysans dans le wagon d’un tortillard de campagne. Ils savent prendre leur mal en patience. Leur physique énorme déborde de fauteuils pas conçus pour eux, mais, semble-t-il, par des Lilliputiens pour des nains.
Volent de conserve des Blancs sérieux, rustiques et détendus. Gros doigts. Nuques rouges. D’autres, plus frêles, que je soupçonne d’être des fonctionnaires qui vivent la mutation de leur vie. Ceux-là se fabriquent des souvenirs à traîner plus tard, le long d’une existence mortelle d’ennui.

Je tire d’une poche de poitrine un paquet de cigarettes, en tire une avec les dents, l’allume, tire à fond.
Malgré une rapide visite dans mes songes, je suis toujours démoli par les libations tahitiennes de cette dernière centaine d’heures. Je voudrais rester en apnée. Me faire oublier. Drôle d’impression d’être tricard. De quoi ? Je n’en sais rien mais bordel, que je suis mal à l’aise !

Une des donzelles en uniforme m’enlève avec délicatesse de la pogne un gobelet écrasé et me fait comprendre d’une mimique polie que je vais me brûler les doigts de l’autre main avec le bout incandescent du mégot.
Je dois mettre la ceinture. Mon ange gardien a des mains comme le vent. Ongles clairs. Longs. Envie de lui mordre le bout des doigts, le bord de la paume, le bras. L’épaule, surtout. Pas mauvaise fille, cette hôtesse… Mais vu ma dégaine, je dois me projeter un sacré cinoche sur mon potentiel de coucherie.
Merci madame. Mademoiselle, peut-être ?
La prévenance de la louloute n’était pas que pour ma gueule : nous arrivons !

Depuis le hublot, je réalise la nature du piège dans lequel je me fourre. L’île est petite. Mi-nus-cu-le, au point que le regard l’embrasse à peine avant que l’avion ne touche le sol. Relief bas. Végétation pauvre.
J’ai la bourre. Je serre les dents.
Luck or Fuck ?

Douanes. Les gabelous ne sont pas pointilleux. Il vaut mieux pour eux : des Wallisiens immenses commencent à remuer au sortir de l’avion. Certains sont en costume traditionnel. Paréos tout de velours faits tenus à la taille par une ceinture de fibre de coco. Chemises à fleurs vastes comme des bâches. Pieds nus.
Eh, ça ne rigole pas. Les guerriers sont de retour au pays. La fenua. La mère patrie. La terre nourricière volcanique que beaucoup veulent quitter tout en y restant.
Un fonctionnaire me fait signe de passer. Aucune inspection? Rien ! Nada ! Zou !
D’accord, je ne demande pas mon reste.

Dehors, une foule compacte attend un ami, un frère, un mari, des cousins, une épouse, à l’échelle d’un quai de gare paumé aux confins d’une province perdue.
Une bonne centaine de personnes, sûrement plus, ce qui n’est pas rien.
Ambiance relax. Des rires, beaucoup. Des cris d’appel.
Forte odeur de colliers de fleurs. Robes et chemises bariolées. Une jeune fille à la face orangée de curcuma étreint un gars que je comprends être son frère militaire enfin revenu.
Sourires sur toutes les lèvres, suspendus à tous les visages.
J’ai quitté Papeete, la Babylone du Pacifique insulaire, pour atterrir dans la campagne profonde et velue d’un pays de nulle-part.
Douche écossaise !
Je me dis qu’il doit quand même se cacher quelque chose d’excitant dans un recoin de l’esprit des habitants ou peut-être dans un fond de vallée. J’ai confiance. Je le sens venir à grands pas. L’espoir fait vivre !

Je crame un clope et fends la foule, le sac sur l’épaule.

Un type me fait signe. Facile de me reconnaître : j’ai le teint pâle, je suis encore jeune et je suis seul, vu que personne n’est accouru pour me sauter au cou ni même me serrer la main.

Je cadre le mec.
Rien de bon. Rien qui vaille.
Yeux de fouine derrière des verres ovales, lèvres épaisses et joues creuses. Le gars est monté sur ressorts bien qu’il veuille se donner l’air relax. Il suit le code vestimentaire des Blancs qui veulent se fondre dans la masse, un uniforme composé d’une paire de tongs, d’un bermuda et de l’obligatoire t-shirt de surfeur, arborant, comble du bon goût, une tortue stylisée.
Je le classe illico : le type est un pète-sec qui cache son jeu, peut-être avec talent.

Animosité réciproque, à l’évidence. Je le sens gêné aux entournures.
Je n’ai aucune carte de rechange, ni lui d’ailleurs (et j’en jouerai, patience…). J’ai choisi, j’encaisse. Je vais devoir tirer des bords.
– Kons.
– Kiko.
Les chiens se sentent.
– C’est le diminutif de Fallakiko, François en wallisien.
– Ravi de l’apprendre…
Après les brèves salutations d’usage, on se fraye un chemin entre les voitures et on quitte le parking de l’aéroport dans un 4×4 Suzuki bien nerveux.

Ce que j’ai observé du ciel est confirmé par ce que je vois au ras du sol. Un relief accidenté par endroits, dénué cependant des à-pics impressionnants des îles hautes du Pacifique. Ici, ils ont été érodés par le vent, le ruissellement et l’enfoncement de l’ancien volcan qui sert de base à cette terre de toute évidence difficile.
Tout est vert, tropiques obligent, mais la végétation se fait éparse en nombre d’endroits.
J’aperçois un bout de lagon.
Impression générale, c’est calme. Très calme. Des gens paisibles nous saluent d’un signe nonchalant de la main. Visiblement, tout le monde se connaît. Normal, vu l’étroitesse du bled. 80 km2 tout habillé.
Dans des millions d’années ne restera qu’une bande de corail qui autorisera l’homme à avoir les pieds au sec pour simplement y survivre, comme tout atoll qui se respecte.

Une main me secoue l’épaule.
J’essaie de décoller la tête de la vitre. Extraction pénible d’un sommeil profond et sans rêves dans lequel j’avais trouvé refuge.
Kiko continue de me remuer.
– Eh, Kons !
Je n’apprécie pas sa familiarité, ai envie de lui dire de me ficher la paix.
Je viens de prendre le type en grippe. Je suis le roi des cons. M’arrachant un genre de sourire, je me convaincs de calmer le jeu.
Promis.
Promis, putain. Juré. Craché.

(À suivre)

 

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