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LA MACHINE À BROUILLARD, par TITO DESFORGES 13, et FIN

Publié par le 29 janvier 2022

 

Tito Desforges est un type avec lequel je me sens des affinités. Tito Desforges est né le 31 décembre 1960. Comme moi. À Fournival, Oise intérieure. Moi aussi. Tito Desforges a beaucoup bourlingué. Moi c’est pareil. Tito Desforges est un putain d’écrivain. Ben ça aussi c’est comme moi !

 

S’il survient que certains êtres à la psyché malade se transforment en monstres de la société, que dire d’un homme devenu le monstre de lui-même ?
Jonathan Jovic.

Enregistrement filmé de l’entretien Zimmers / Forman réalisé le 20 janvier 2019 au Centre de (Confidentiel Défense). Prises de son et de vue, moi, docteur Jovic, assistant du docteur Zimmers. Les commentaires sont de ma main, avec l’approbation du docteur Zimmers.

Le patient Forman a de nouveau traversé une crise violente après la rédaction de son dernier chapitre. Trois hommes de la sécurité ont été nécessaires pour le maîtriser. L’un de ces hommes a été blessé à l’œil droit. Le patient a été fortement sédaté mais, par précaution supplémentaire, les hommes de la sécurité l’ont entravé sur son fauteuil, poignets et chevilles. À notre entrée, le patient semble indifférent, presque absent.

Le patient :
Tiens, v’là le docteur Fletcher et son toutou…

Docteur Zimmers :
Non, pas Fletcher. Pas cette fois. Plus maintenant.

Patient :
Vous savez que ta cravate est à chier ?

Docteur :
Je suis le docteur Zimmers. (Il épelle) Z.I.M.M.E.R.S. Fletcher est le nom de famille de l’actrice qui interprétait l’infirmière Mildred Ratched dans le film Vol Au Dessus D’Un Nid De Coucou, réalisé par votre presque homonyme Milos Forman. Par ailleurs le prénom de Mme Fletcher était Louise, cela vous évoque-t-il quelque chose ?

Patient :
C’est marrant le nombre de gens qui me parlent de ce film… Louise, hein ? Comme ma petite fille. Vous allez me ramener ma fille maintenant que j’ai marché bien sagement dans votre combine ?

Docteur (ignorant la question) :
Un film dont le héros se nomme Mac Murphy, Randall Mac Murphy, joué par l’acteur Jack Nicholson, avec lequel vous présentez quelque ressemblance, ce qui a certainement favorisé votre…

Patient :
Nicholson, ouais ! Plein de gens le disent plein plein plein même le shérif là-bas à Grosvenore-Mine je l’ai écrit écrit écrit bien spécifique dans votre foutu rapport, ce gros alcoolique de marshal Bromden…

Docteur (doucement, avec une sorte de compassion dans la voix) :
Bromden est le nom du compagnon de Mac Murphy dans le film, un Indien géant qui passe son temps à balayer, d’où son surnom dérivé de « broom », c’est-à-dire « balai ». Le shérif que vous avez assassiné à Grosvenore-Mine s’appelait Culpert. Ulrich Culpert.

Patient (ricanant) :
Vous croyez avoir réponse à tout, hein ? Moi je vous dis trois choses, trois, trois, trois : rendez-moi ma fille, foutez votre cravate en l’air et foutez-vous y aussi, VOUS, tant que vous y êtes !

Docteur. :
Monsieur Forman…

Patient :
Mac Murphy. Randy Mac Murphy !

Docteur (insistant) :
Forman. Nicholas Forman. Tous les noms dont vous avez baptisés vos victimes à Grosvenore-Mine sont ceux de personnages de Vol Au Dessus D’Un Nid De Coucou : William Bibbit, Chesswick, miss Pilbow…

Le docteur Zimmers tourne la tête vers moi et m’adresse un léger hochement de menton. J’extrais du dossier la liste des citoyens de Grosvenore-Mine.

Moi :
Le gérant du supermarché s’appelait en réalité Jimmy Kariakis, un nom d’origine grecque. Le gérant du restaurant Harper. Meredick Harper. Vous l’avez affublé du nom, approchant il est vrai, de Hap Arlich, un patient catatonique dans le film. Le jeune mécanicien répondait au nom de Richardson, dit « Rich ». Quant à la dame que vous appelez Mildred, elle est réellement infirmière diplômée mais se nomme Maria Odyssea Kariakis, cousine du précédent…

Patient :
Toujours prêt à réciter n’importe quoi, hein, sale petit roquet !

Docteur :
Inutile de vous montrer agressif, monsieur Forman…

Patient :
Je m’appelle Mac Murp… Ah, croyez ce que tu veux, toubib, je m’en tape !

Docteur :
Calmez vous, je vous en prie… Vous avez couché votre récit sur papier. Fort bien. Nous allons laisser les pages que vous avez écrites à votre disposition. Relisez-les. Autant de fois qu’il le faudra. Corrigez certains détails, même, si cela vous paraît nécessaire. Nous vous laisserons également la liste des habitants de Grovesnore-Mine, afin que vous puissiez comparer les vrais noms avec ceux que vous leur avez choisis…

Il rapproche sa chaise du patient et se penche vers lui. Son visage reste inexpressif, pourtant je ne peux m’empêcher de penser, à cet instant, que le docteur Zimmers éprouve une réelle affection pour ce pauvre Nicholas Forman.

Docteur (poursuivant) :
Mais le plus important, désormais, c’est que vous vous consacriez à comprendre ce qui motive cette confusion en vous. Votre version des évènements est une fiction…

Patient :
Vous tu me traites de menteur ?

Docteur :
Non, pour un être perdu dans une fantasmagorie et pour un homme qui mérite de sortir de celle-ci. À part le fait que vous portez le même nom que le réalisateur, pourquoi avez-vous choisi précisément Vol Au Dessus D’Un Nid De Coucou pour…

Patient :
Je n’ai rien choisi du tout.

Zimmers se redresse. Il ôte ses lunettes et se pince le haut du nez, puis il extrait de sa poche un chiffon de soie et essuie lentement les verres.

Docteur (la voix encore plus douce) :
Forman, je vous supplie d’examiner la réalité. Vous avez effectivement été un agent de nos services parallèles. Jovic ?

Moi (tirant les pièces du dossier) :
De remarquables états de service. Vous êtes un héros, monsieur Forman.

Docteur :
En 1974, vous avez effectivement été affecté à la base secrète de Chu Mom Raï en territoire cambodgien, dont vous fûtes le seul survivant après l’attaque d’un détachement vietminh.

Patient :
Oui, à cause de cette foutue machine à brouillard !

Docteur :
Non. Par un matin brumeux comme ils sont fréquents dans cette région, et tout ce qu’il y a de plus naturel. Croyez-moi, nous nous sommes livrés à des recherches scrupuleuses et nous en sommes arrivés à une conclusion irréfutable…

À nouveau, Zimmers se tourne vers moi.

Moi :
Il n’y pas de machine à brouillard. L’armée australienne n’a jamais utilisé un tel matériel.

Patient (un rictus lui découvrant les dents) :
La voix de son maître, hein ?

Docteur :
La Machine à Brouillard fut le titre de travail dont servit l’écrivain américain Ken Kesey pour écrire le roman qui est finalement paru sous le titre de… Jovic ?

Moi :
Vol Au Dessus D’Un Nid De Coucou, docteur. Dans le roman, l’un des personnages principaux – l’Indien Bromden, justement – est persuadé que des ennemis déclenchent contre lui une machine à brouillard destinée à lui obscurcir l’esprit.

Forman reste un long moment silencieux, nous dévisageant l’un et l’autre. Quand ses yeux bleus acier se plantent dans les miens, j’ai la sensation physique d’une incursion, comme si cet homme avait le pouvoir de fouiller jusqu’au fond de mon âme. Quelle intelligence puissante ! Je comprends de mieux en mieux l’intérêt que Zimmers porte à ce cas. D’un discret geste de la main, le docteur m’invite à poursuivre.

Moi :
Dans les mois qui ont suivi le décès accidentel de votre fille Joannie…

Patient (aboyant) :
Ta gueule !

Moi (continuant, essayant de garder un ton égal) :
Vous avez présenté des signes croissants de confusion mentale. Une erreur de votre part à fait échouer une mission sur le terrain sur laquelle nous ne nous étendrons pas. Votre superviseur, le colonel Tharrew a alors demandé et obtenu votre mise en disponibilité.

Patient :
Petit blond de merde ! Je vais t’ouvrir le bide !

Docteur :
Le soir du réveillon de 1993, vous avez violemment agressé un compagnon de beuverie, un touriste italien rencontré par hasard dont le seul tort était de se nommer Carmine Martini.

Moi :
Martini. Ce qui est le nom d’un personnage de Vol…

Patient (me coupant) :
Au Dessus D’Un Nid De Coucou. Par dieu, quand arrêterez-vous de me les casser, avec ce maudit film ?

Moi :
À la suite de cette agression, vous avez été interné au centre de soins de (Confidentiel Défense). Vous y avez été un patient modèle pendant plus de dix ans, avant de vous en évader pour disparaître dans la nature durant près de deux années…

Docteur :
Deux années que nous explorerons ultérieurement, dans un nouvel exercice de Chemin-Mémoire…

Le patient nous dévisage tour à tour. Derrière son expression furieuse, nous percevons un certain désarroi.

Patient (sans conviction) :
Vous pouvez toujours courir…

Moi :
Vous avez réapparu à Grosvenore-Mine à bord d’un 4 x 4 de location, pourvu de papiers d’identité au nom de Randall Mac Murphy dont nous ignorons encore la provenance.

Patient :
Pourquoi vous me racontez toutes ces conneries, tous les deux ?

Zimmers et moi échangeons un bref coup d’œil, rien de plus qu’un cillement, mais qui suffit à nous comprendre. Même si le ton de Forman reste agressif, il est passé au mode interrogatif. C’est la preuve que nous progressons. D’une nouvelle mimique, Zimmers me fait comprendre que nous pouvons passer à la suite. Je sors la photo et la tends au docteur qui la présente devant les yeux de Forman. Le cliché montre une scène d’enterrement au cimetière Rookwood de Sydney. Il pleut et la maigre assistance qui assiste aux obsèques s’abrite sous des parapluies noirs. Près de la tombe ouverte, on peut voir Nicholas Forman, beaucoup plus jeune qu’à présent, aux côtés d’une jeune femme asiatique.

Docteur :
Regardez ce cliché. Il est daté du 16 mars 1986. Il s’agit de l’enterrement de votre fille, dont le vrai prénom était Joannie, décédée dans l’incendie de la cinémathèque Memorial sur Pitt street à Sydney alors qu’elle assistait à une projection – débat de Vol Au Dessus D’Un Nid De Coucou. Votre fille appartenait au ciné-club…

Patient :
Foutaises !

Je m’approche et fais défiler devant les yeux du patient les coupures de presse qui relatent le sinistre. Je le laisse s’attarder plus longuement sur la liste des victimes publiée à l’époque par le Sydney Post, liste dans laquelle figure le nom de Joannie Forman, âgée de treize ans au moment des faits.

Patient :
Je… Je… Je lui avais interdit d’y aller.

Je sens le docteur Zimmers frémir à côté de moi. Pour la première fois, une faille s’ouvre dans la fiction obstinée du patient. Pour la première fois, il parvient à évoquer la réalité.

Patient :
Je lui disais qu’elle était trop jeune, mais ses amies voulaient y aller, elles elles elles étaient toutes folles de cinéma et… et… et elle s’est enfuie de l’appartement. Mon dieu, comme j’étais furieux contre elle quand je m’en suis aperçu. Si elle était revenue, je crois que je l’aurais…

Il baisse la tête. Plusieurs minutes passent. Il reste prostré tandis que Zimmers et moi retenons notre souffle. Tout son corps est tendu. Les muscles de ses avant-bras emplissent le mince espace que leur laissent les sangles. L’expression « cri silencieux » me vient à l’esprit. Quand Forman se redresse, il porte sur son visage une détresse telle que je n’en ai jamais observée chez aucun être humain. Il conserve le silence encore un moment, regardant Zimmers. Une larme unique coule de son œil droit, glisse lentement le long de sa joue puis au creux de la cicatrice parallèle à sa courbe de menton.

Patient :
Qu’est-ce que j’ai ?

Docteur :
Je sais que vous n’aimez pas les grands mots (bref sourire). En termes médicaux, nous appelons cela une psychose hallucinatoire. Plus simplement : une distorsion de votre mental vous fait voir, sentir, toucher des choses qui n’existent pas.

Patient :
Mais… Mais… Mais (il s’étrangle)…

Docteur :
Monsieur Forman ?

Patient :
Mais elle était avec moi dans le village ! Tout le monde l’a vue !

Zimmers secoue lentement la tête. Il a l’air aussi triste que son patient.

Docteur :
Un employé de la Grosvenore Mining Company qui était présent dans le restaurant a témoigné que vous y êtes entré seul et avez commandé un repas pour deux personnes. Apparemment, votre carrure et vos manières, disons… brutales, ont dissuadé les personnes présentes de vous détromper. De même, madame Kariakis, l’infirmière a déclaré que vous êtes sorti de l’église en flammes en faisant mine de porter un enfant dans le creux de votre bras droit. En faisant mine, monsieur Forman, seulement en faisant mine…

Moi :
Une hallucination, monsieur Forman. Tout au long. Je suis déso…

Patient :
Mais ils l’avaient déshabillée ! J’avais trouvé son tee shirt ! Je le portais autour de mon cou !

Zimmers m’adresse un regard désolé. Sans un mot, je sors de ma serviette un sac plastique transparent, de ceux que la police utilise pour conserver les pièces à conviction. Il contient un linge grisâtre tavelé de marques sombres. Je veux parler mais l’émotion me serre la gorge.

Moi :
C’est… hum… un simple… hum… Ce n’est qu’un tablier de boucher, monsieur Forman, un simple tablier de boucher sale.

Pendant un long, très long moment, le patient contemple le paquet que je lui présente, le visage vide de toute expression.

À nouveau il baisse la nuque. Longtemps. Son grand corps tremble. Des larmes tombent droit de ses yeux sur le sol de ciment où elles s’écrasent, lourdes comme les premières gouttes d’une pluie d’orage.

Que contemple-t-il ainsi, ce géant abattu ?
Quelles images irregardables s’imposent-elles à lui ?
Les yeux déments de Kariakis, alias « Bibbit », le patron du supermarché, alors que son assassin tenait enfoncé dans sa gorge le canon de son fusil-mitrailleur ?
Le visage sans vie du petit mécanicien marginal après qu’il lui eût sans raison aucune enfoncé la mèche d’une perceuse dans l’œil ?
Celui de cette jeune femme blonde, mariée depuis trois semaines, de retour la veille de son voyage de noces à Alice Springs, disparaissant sous le capot de son camion ?
Toutes ces existences annihilées, dont les possesseurs n’avaient d’autre tort que celui d’avoir rencontré la folie de Nicholas Forman, alias Nicholson Mac Murphy ?
Des êtres réels condamnés pour le crime d’être devenus, dans la cervelle d’un dément, des personnages inventés par un écrivain hippie, les protagonistes d’un livre qu’ils n’avaient probablement pas lus, les figures d’un chef d’œuvre du cinéma dont ils n’avaient peut-être jamais entendu parler.
Des vies immolées sur l’autel d’une hallucination nommée Louise.

Le docteur Zimmers s’était penché en avant, les coudes sur les genoux, observant avec passion la statue du remord qu’était son patient. Un Rodin colossal dont chaque parcelle de granit criait la douleur de l’âme, le regret, l’horreur.
La terrible solitude du déviant.
Et je savais qu’à cet instant, les pensées de Zimmers suivaient le même cours que les miennes.
Butaient contre la même question.
Si certains êtres à a psyché malade se transforment en monstres de la société, que dire d’un homme devenu monstre de lui-même ?

Le patient se redresse lentement, pierre, rocher, matière minérale reprenant vie. Il relève la tête. Le docteur Zimmers et moi nous penchons encore plus, cherchant ses yeux.
Vainement.
Il a les paupières closes.
– NON !
Il crie et secoue la tête de droite à gauche, violemment, son menton venant cogner son épaule.
– NON ! NON ! NON !

Les commissures de ses lèvres remontent. Un sourire lui dévoile les dents comme des babines révèlent des crocs. Il ouvre les yeux d’un seul coup, brusquement, braquant sur nous un regard enflammé de diable, tandis qu’il éclate d’un rire aux accents atrocement métalliques.

Patient :
Alors là, vous deux ! Ah ah, j’ai déjà connu des menteurs, mais alors des comme vous, ah ah, alors là, des comme vous !…

Le patient continue de rire alors que Zimmers et moi, ayant échangé un regard désolé, rassemblons les pièces du dossier et quittons la cellule.

Dans le couloir, alors que l’officier de sécurité referme la porte de la cellule, nous entendons le patient hurler de toute la force de ses poumons.

Patient :
RENDEZ-MOI MA FILLE, SALOPARDS ! JE SORTIRAI D’ICI ET JE LA RETROUVERAI ! TE VOUS ENTENDEZ : JE LA RETROUVERAI !

Fin de l’enregistrement

 

En annexe : retranscription document d’une page manuscrite du patient Forman, vainement cachée sous son matelas, d’une écriture extrêmement perturbée, difficilement lisible.

« Je tuerai tous ceux

Plus de seringue plus de gélules oh dieu le gouffre oh dieu cet obscur de ma mémoire oh dieu est-ce donc la mort cette obscurité de mon histoire ? La mort ou bien une vie sans pareille, une existence qui ne peut porter que le nom de cauchemar…

Je ne sais plus ce que je dis, ma petite fille, je ne sais plus ce que j’écris, ton pauvre papa ne sait plus d’où proviennent ces feuilles de papier et cet étrange crayon gras mais s’ils sont ici, dans cette cellule, à quoi pourraient-ils bien servir d’autre qu’à t’écrire ?

T’écrire, toi le seul grand et vrai amour de ma vie toi le seul soleil, toi dont les tortionnaires qui me détiennent veulent me faire oublier le nom.
Douter de ton nom, mon amour.
Louise ou Joannie ou qui que tu t’appelles, je jure punirai tuerai punirai jure annihilerai écraserai punirai…

Menteurs, menteurs, menteurs, je refuse l’écheveau la jungle de vos mensonges le dédale la jungle de vos pièges la jungle de vos infâmes cerveaux sournois !

Plus de seringue et plus de gélules où es tu toi ma fille ?
Je t’appelle toi ma fille moi qui ne sais moi qui ne sais ma fille moi qui ne sais au vrai comment tu t’appelles.

Et mon âme de pur de se tordre et de se perdre…
Oh ces mots qui se bousculent et se chiffonnent !
Mon âme de père à la torture amère.
Ces mots qui fusent et s’échappent !
Mon amour de toi, moi qui ne sais qui tu te nommes.
Mon amour mord mon âme hurle à la mort, moi qui en ton absence ne suis plus rien que ce père perdu, cet être muet aux mots qui se bousculent, cet idiot aux pensées balbutiantes.

Non.
Non, non, non…
Ils disent que mais je ne pas croire.
Louise ou qui que tu t’appelles.
Combien elles vivent en mes profondeurs toutes les images de toi, combien chacun des sourires de toi en ma mémoire est à lui seul plus fort que toutes les folies, combien chaque souvenir brûle en un soleil auquel n’a pu, ne peut, ne pourra jamais résister même la plus laide des nuits.
Jamais, car tu es ma fille et je suis ton père, toi ou qui que tu t’appelles, et l’amour qui nous unit n’est rien d’autre qu’éternel.

Oh ta chevelure d’huile noire, tes cheveux d’ombre !
Oh tes membres graciles ! La joie qui les anime quand, criant mon nom, tu cours vers moi !
Oh la grâce sombre de tes yeux sombres, et la sombre grandeur de leur amour quand tu les posais sur moi.
La mort sur tout cela ?
Oh non.
Ils disent que mais je ne pas croire.
Pas croire.
Pas croire.
Ta mort impossible, ma fille sans nom.
Ta mort impossible.
Ta mort impensable.

Je te retrouverai je jure Louise.
Je viendrai.
Ton papa viendra.
Il s’évadera de tous les centres, tous les hôpitaux, toutes les prisons, franchira toutes les portes, escaladera toutes les grilles, tuera tous les insensés qui oseront se dresser en travers de sa route et il surgira pour te saisir dans ses bras, cet homme que je suis, cet homme qui a pour seul nom Papa.

Louise ou qui que tu t’appelles Louise ou qui que comment ils disent je trouverai je jure en quelle prison en quel trou en quelle cave ils te tiennent en quel fond de cour affublée de chaînes je viendrai Louise ou qui que comment tu t’appelles.

Je viendrai.
Ton papa viendra, m’entends-tu ?
Je jaillirai des grilles où ils me maintiennent, trouverai et détruirai les murailles qui te détiennent. Nul sang, nulle terreur dans des yeux, nulles entrailles s’arrachant d’une plaie béante ne feront naître ma pitié. Pour toi, mon enfant, ma fille, mon amour, je deviendrai encore une fois ce géant que n’effraie ni gouffre ni montagne, cette force hurlante que lance à l’assaut la colère, cet être sculpté de rage devant qui tout devra se soumettre et plier.
Oui, ma petite fille, ma chérie, mon cœur, pour toi je deviendrai encore une fois cet homme qui tue.

Louise ou qui que tu t’appelles…

Oh plus jamais de gélules plus de seringues
Oh ce gouffre si noir
Où je ne sais rien.

J’en sortirai, ma petite fille, mon amour
Et je viendrai
Je te le jure
Je viendrai

Papa. »

 

FIN

 

La Machine À Brouillard, par Tito Desforges, éditions Taurnada, 213 pages en version papier, 9,99 €, est disponible autant dans les librairies réelles que celles en ligne.

 

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