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LA MARIE-BARJO – Épisode 09

Publié par le 28 mai 2022

 

D’après Le Secret Des Monts Rouges, roman paru aux éditions Taurnada.

 

INT Jour, timonerie

GP sur le bouton de démarrage orange, surmonté d’idéogrammes chinois à demi effacés.

L’index de Haig presse le bouton. On entend le moteur tousser une fois et s’éteindre.

 

INT Jour, timonerie

Plan large. Les vitres et hublots de la timonerie sont aspergées de pluie battante. Au-delà, dans le brouillard d’eau, on aperçoit la massive silhouette de Bang occupé à consolider l’amarrage de caisses de marchandises.

Bozo vient de se hisser à travers la trappe, un quart de café à la main. Il se plaque la main sur le front, l’air catastrophé.

Haig presse une nouvelle fois le bouton orange : rien.

Bozo (gémissant) :
C’est pas possible, j’ai passé des heures à le démonter, ce système !

Haig (appuyant plusieurs fois sur le fameux bouton) :
Ouais, ben on pourrait aussi bien danser des claquettes.

Bozo jette de toutes ses forces son quart de café sur le mur.

Bozo :
Meeeeeeeerde !

 

INT Jour, timonerie

GP sur le visage de Bozo devenu blême, couleur d’endive, déformé par une terrible grimace.

GP sur le visage de Haig qui, abandonnant aussitôt son ton rigolard, prend très au sérieux le désarroi – pourtant disproportionné – de Bozo.

Bozo (tremblant et hurlant) :
Marre de cette putain de péniche ! Rivière de merde ! Je l’encule, le démarreur ! J’t’encule ! J’vous encule ! Tous !

Haig s’est précipité et tente de l’enlacer. Bozo lui échappe, se jette contre une des cloisons et s’écorche la peau des poings en cognant sur le métal.
Haig parvient à lui immobiliser les bras.

Haig :
Relax, Bozo ! relax ! Écoute-moi. C’est rien. On va démarrer à la main, ce ne sera pas la première fois !

Bozo se calme, reste un instant immobile, le regard éperdu, puis ses épaules se mettent à tressauter et des larmes jaillissent de ses yeux.

Bozo (plaintif) :
Je l’ai démonté, Haig. Je l’ai démonté et puis je l’ai remonté…

Haig :
Calme-toi. Fonce en bas et donne un coup de main à Bang pour la manivelle, ça te détendra.

Bozo hoche lentement la tête et gagne la trappe. Tandis qu’il descend le long de l’échelle, on s’attarde sur le visage de Haig qui le regarde disparaître, l’air soucieux.

 

INT Jour, salle du moteur.

Bozo allume une lampe baladeuse suspendue à la paroi. Bang se faufile par l’écoutille, ruisselant de pluie. Il sourit.

Bang :
Pas moyen démarreur ?

Bozo (excédé) :
Ah, ta gueule, hein!

Bang (sans se formaliser) :
Hi, hi, pas moyen démarreur…

Il se saisit d’une grande et lourde manivelle qu’il enclenche sur le bloc moteur.

 

EXT Jour, confluent, vue aérienne

Le confluent apparaît comme un vaste lac d’eau limoneuse que prolonge d’un côté le Mékong, large, et de l’autre la rivière Lon-Stung, plus étroite. Autour, la forêt parsemée de clairières et de maisons aux toits de tôles rouillées.

 

EXT Jour, confluent

À la surface. L’eau est agitée comme une mer tempétueuse, balayée de hautes vagues que couronnent des flots de bave jaune. On observe des vagues qui s’écrasent sur les pilotis des baraques riveraines. On suit un sampan heurté à tout moment par des courants contraires et des tourbillons, confronté à des déferlantes soudaines, surgies de nulle part, barré à l’arrière par un homme à la peine.

 

INT jour, timonerie

Haig à la barre, à l’aise, joyeux, un cigarillo fiché au coin de la bouche, la casquette en arrière, épousant des hanches le mouvement de la houle.

Marisol se hisse par la trappe et vient le rejoindre, la démarche mal assurée.

Marisol :
C’est fort les secousses. Je ne peux pas cuisiner…

Haig :
T’inquiète pas. Ce sera bientôt passé. C’est le confluent. En cette saison, c’est un vrai chantier.

Marisol :
Si ?

Haig :
Ouais. Il y a l’eau du Mékong gonflé à bloc, et celle de la Lon-Stung qui dévale de la forêt. Genre furieuse. La rencontre, ça fait boum !

Marisol :
C’est dangereux ?

Haig (tranquille macho) :
Bof. Sur des petits bateaux, ouais. Il y a des tas d’histoires de pirogues disparues avec familles, chiens, corps et biens, avalées tout cru. Mais nous, on a 64 tonnes de cargaison. Ça nous colle à la verticale. Et puis 380 chevaux au cul. La Marie-Barjo, c’est un vrai camion !

 

CUT

 

EXT Jour, rivière Lon-Stung

Calme.

La Marie-Barjo glisse sur une eau toujours aussi limoneuse mais plane. La rivière est large d’une trentaine de mètres, frayant son chemin au travers d’une forêt épaisse. Le temps est couvert, le ciel bas et sinistre.

 

EXT jour, lisière de la forêt inondée, vue aérienne

La Marie-Barjo est immobile. En face d’elle, la Lon-Stung s’élargit, formant un vaste lac parsemé d’épais bosquets.

 

EXT Jour, pont de la Marie-Barjo

Haig et Marisol observent le paysage en face d’eux : d’innombrables massifs d’arbres qui émergent du flot boueux. La plupart sont des hauts palétuviers aux troncs livides et tordus, au feuillage en bouquets serrés, d’un vert très sombre. On remarque aussi des lataniers constitués de dizaine de lianes. Ceux-là, déformés à force de subir le courant, affectent des formes de voile de bateau. Le courant est fort et bouillonne autour de chaque tronc. Des îlots flottants de lotus entremêlés se baladent là-dedans, heurtant parfois des arbres et les contournant avant de reprendre leur course.

Haig :
La forêt inondée.

Marisol :
C’est beau !

Haig (bougon) :
Ouais. Une vraie carte postale. Un rêve de touristes. L’emmerdant pour nous, c’est qu’on doit la traverser…

Bang surgit à la trappe du gaillard d’avant, traîne une caisse à la proue, s’assoit dessus et fait signe à Haig qu’il est prêt, poing levé, pouce dressé.

Haig :
Allez, on y va.

 

INT Jour, timonerie

Haig, Marisol et Kim. Haig est à la barre, le regard aux aguets. La main sur le levier moteur, il ne cesse d’accélérer et de ralentir.

Kim observe le paysage aux jumelles.

 

Ext Jour, proue

Assis en tailleur comme un bouddha monumental frôlé par les feuillages des arbres que la péniche dépasse, Bang adresse des signes au pilote.
Poing droit levé : « en avant-toute, ça baigne ».
Les deux bras écartés : « ralentir ».
Mains croisées au-dessus de la tête : « stop ! »…
Il ponctue ses gestes de longs et forts coups de sifflet.

 

INT Jour, timonerie

Haig :
C’est nouveau, ça, le sifflet !

Kim :
C’est un truc publicitaire. Un cadeau du Coréen des tronçonneuses.

Haig :
Si ça lui fait plaisir…

 

Banc-titre :

C’était coton de naviguer dans ce bordel.
Les massifs d’arbres noyés constituaient un véritable archipel. Un labyrinthe.
Rien n’était plus facile que de s’engager dans un faux chenal, un bras mort ou un cul-de sac.

 

EXT Jour, forêt

Plans de la Marie-Barjo qui se fraye un passage entre les groupes d’arbres, dans le grondement irrégulier du moteur.

 

INT Jour, timonerie

On entend un fort raclement. Haig pousse précipitamment les gaz. La péniche accélère. Le frottement s’amplifie puis cesse. Haig se détend et ralentit.

Marisol :
Qu’est-ce qui se passe ?

Kim :
Il y a des buissons sous la flotte. Certains très gros, des centaines de branches toutes enchevêtrées. Plus des arbres plus petits que ceux-là. On ne dirait pas, mail il y a une vraie jungle en dessous de nous.

Marisol :
C’est dangereux ?

Haig :
Plutôt, oui.

Kim :
Dans un premier temps, la coque de la péniche repousse les branchages. Alors il faut aller très vite. S’ils se redressent, ça fait comme une nasse. Surchargés comme on est, on n’en sortirait plus jamais.

Haig (tendu à la barre, ricanant) :
À moins d’avoir du matériel de scaphandrier et des tronçonneuses amphibies…

 

EXT Jour, forêt

L’avant de la Marie-Barjo qui progresse le long d’un chenal droit, avec Bang en figure de proue.

Soudain, les yeux de celui-ci s’écarquillent et il se met à souffler comme un dingue dans son sifflet.

 

INT Jour, timonerie

Les coups de sifflets ont alertés toute le monde. Haig jure en regardant ce qui s’amène.

 

EXT Jour, forêt

Un tronc flottant, gigantesque, massif et rapide comme une locomotive, fonce droit sur la péniche.

 

INT Jour, timonerie

Plans rapides sur les mains de Haig qui inverse les gaz d’une gifle et tourne la barre comme un fou.

Marisol hurle.

La décélération soudaine fait perdre l’équilibre à Kim.

Haig :
Bordel, on y a droit !…

 

EXT Jour, pont

Bozo est accouru à la rescousse, Bang et lui se saisissent de deux gaffes.

 

EXT Jour, forêt

Le tronc est à 10 mètres de la péniche. Un mastodonte noir, poussant une vague bouillonnante devant lui, hérissé de moignons de branches comme autant d’épieux, dont pendent des charpies de vase.

 

INT Jour, timonerie

Plan court de Haig qui tourne frénétiquement la barre, d’une main,l’autre appuyant inutilement le levier moteur déjà bloqué au maximum en position « marche arrière ».

Le moteur ne cesse de rugir, assourdissant.

 

EXT Jour, forêt

Le tronc n’est plus qu’à 3 mètres.
2 mètres.
Rien.

Il se soulève de l’avant, comme une bête qui se cabre pour frapper. Haut comme une porte d’église. Bardé d’échardes de cauchemar.

 

EXT Jour, pont

Bang et Bozo brandissent chacun une perche, comme des pygmées armés de lances dérisoires.

La perche de Bang se brise. Bozo lâche la sienne. Les deux héros se retournent d’un même élan et sautent dans la cale.

 

INT Jour, timonerie

Haig crispé à la barre.

Haig :
Ça passe, ça passe, ça passe…

Choc.

Un coup de marteau géant sur une énorme enclume qui secoue toute la péniche. Haig vole contre la porte de la timonerie, s’ouvrant la pommette.

Un raclement horrible, aigu, de métal qu’on force et qu’on tord, tandis que le tronc râpe le flanc droit du bateau.

 

EXT jour, forêt

Le tronc dépasse la Marie-Barjo et continue sa route.

 

INT Jour, timonerie.

Calme revenu. On aurait pu croire que rien de tout cela n’a existé. Haig ralentit les gaz. La Marie-Barjo reprend sa course docile au travers de l’eau jaunâtre.

Sur le pont, Bang et Bozo sortent de la cale et font signe que tout va bien.

Marisol a les deux mains pressées sur sa poitrine, la bouche grande ouverte, les yeux effarés.

Marisol :
Qu’est-ce que c’était, por dios ?

Haig (faussement tranquille, dissimulant la trouille qu’il a ressentie) :
Quoi, ça ? Oh, rien… Un tronc d’arbre mort porté par le courant.

Marisol :
Il a failli nous rentrer dedans, no ?

Haig essuie d’un revers négligent de l’index le sang qui coule de sa pommette écorchée. Kim rigole, soulagé.

Haig :
Ouais… On peut dire comme ça.

Marisol :
On aurait pu couler ?

Haig (pur macho) :
Ouais, oh, bof… La Marie est solide… Et maintenant, si tu allais nous préparer un petit café, hein ?

 

(A suivre)

 

 

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