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Le Sang des Sirènes – 01 : Le malheur des uns…

Publié par le 19 juillet 2015

 

Il était une fois moi à la frontière du royaume chérifien…


Le douanier marocain a une casquette de maréchal qui lui tombe bas sur le front, des moustaches et une bonne tête de couille.

J’ai le trac en lui tendant le passeport, le permis de conduire et la carte verte de l’assurance de ma Peugeot 504.
Faux, les papelards. Total falsifiés. Aussi trafiqués qu’un pinard en bouteille plastoc.
Passeport et permis m’ont été vendus par un pote, petit truand de cité de Malakoff, en région parisienne. Ils portent le nom d’un Tartempion quelconque qui, à l’heure qu’il est, doit attendre leur renouvellement par la préfecture des Hauts-de-Seine.

Le trac, oui. Le traczir. La trouille. La frousse au cul.
C’est que, tu vois, Tartempion a vingt-trois ans.
J’en ai seize.
Et demi, mais quand même…
Je suis grand et balèze pour mon âge. Les trois poils de barbe que je laisse pousser depuis quinze jours me vieillissent un peu la face. Mais quand même…

La carte verte, je l’ai extorquée du côté de Toulouse à un vieil assureur véreux, qui toussait et crachait toutes les trois minutes, poumons rongés et doigts jaunis par la Gitane sans filtre.
Deux billets de cent balles.
Un premier versement.
Le solde, j’aime autant vous dire qu’il va l’attendre longtemps, le catarrheux…

Le maréchal à moustaches étudie alternativement :
– un, mes documents ;
– deux, ma voiture arrêtée devant la barrière ;
– et trois, moi.
Un ballet du regard bien connu : celui de l’autorité qui cherche la noise.
Avant, il m’a fait ouvrir mon coffre. La fouille a été d’autant plus rapide qu’il est vide.
Déjà que je ne possédais pas grand-chose… Mes deux calbars et trois chaussettes de rechange sont restés dans ma chambre d’hôtel minable de Pithiviers, là où j’ai acheté la 504.

Enfin, achetée… J’ai fait un premier versement, quoi.

Après, le départ a été, disons… précipité.
Mes seuls bagages, ce sont les trois tomes d’une vieille édition de poche des Misérables de Victor Hugo, piquées chez un bouquiniste pendant une brève halte à Montpellier, et une bouteille de gin espagnol que j’ai machinalement enfouie sous mon blouson dans une épicerie je ne sais plus où sur la route.

Intérieurement, je me passe une chanson. Un bon truc pour garder l’air innocent. Gaffe à ne pas fredonner ni à se balancer en rythme, sinon le képi pense qu’on se fout de lui. C’est Police And Thieves, version Clash, en me faisant la-la-la… pour les chorus de basse.

Derrière moi, c’est Ceuta. L’enclave hispanique. Des murailles grises de forteresse. Des rues bien décapées. Des églises à l’espagnole. Des maisons tuilées de rose, avec arcades et patios fleuris. Des pubs à l’anglaise (on est en face de Gibraltar)…

Devant, au-delà de la barrière rayée blanc et rouge, c’est déjà l’Afrique.
A perte de vue, des voitures garées en désordre. Des vieilles Mercedes, principalement, mais aussi des vieux camions et des guimbardes hors d’âge rafistolées au fil de fer. Une foule de types, certains en djellaba, capuche dressée. Des ânes au bât chargé. Des chèvres…

Sur la droite, à une cinquantaine de mètres, le long de la pente d’un gros rocher rouge qui plonge dans la mer, une douzaine de gamins vêtus de guenilles.
Misérables, les gosses. Têtes rasées en prévention des poux. Membres maigres. Grand yeux noirs en alerte.

Je sais ce qu’ils font.
Un copain marocain me l’a raconté, à Paris.
Ils ont un bout de haschich planqué dans leur culotte. Au moindre instant d’inattention des douaniers, l’un ou l’autre se précipite pour passer la frontière d’un coup de sprint.
S’ils se font prendre, à leur âge, ils s’en tirent avec une engueulade, un étirement d’oreille et un coup de godillot aux fesses.
S’ils passent… eh bien le haschich à Ceuta s’achète déjà trois fois plus cher qu’au Maroc.

Depuis une poignée de secondes, le douanier me dévisage, immobile, les sourcils touffus en oblique, la bouche en accent circonflexe.
Attitude bien connue : celle de l’autorité qui soupçonne.
Aussitôt, je cesse de chanter. J’étais passé à I Can’t Get No des Stones, la-la-la-la-la. Et j’entreprends d’inventer la série de mensonges destinés à me tirer de l’embrouille.

Heureusement, le dieu des jeunes crapules qui veille sur moi depuis que j’ai brûlé ma mère m’accorde encore une de ses faveurs.…

–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Des cris.
Ça fait :
– Iya, iya, iya !…
– Ouil, ouil, ouil !…

(A peu près. Exceptés les deux ou trois mots adoptés par l’argot des faubourgs, je ne comprend pas l’arabe)

– Ti bouges pas !
– Ti mets li mains en l’air ! Li mains en l’air tout d’suite !…

Ça s’est mis à beugler de partout, soudain !

Je me retourne.
La voiture rangée derrière la mienne, c’est une berline neuve immatriculée en Suède. Elle appartient à un couple de quinquagénaires. L’homme en costard léger, chemise ouverte sur les poils de poitrine, lunettes de marque sur le nez. La femme teinte en blond platine, maquillée à fond, bijoutée à mort, en robe à motifs de feuillages et escarpins dorés.
Visiblement des Marocains qui ont réussi leur émigration, là-haut, dans les terres scandinaves, et qui entendent que ça se sache.
Du coin de l’œil et de l’oreille, je les ai vus et entendus écraser de leur condescendance le douanier, un petit type nageant dans son uniforme, qui a eu le malheur de tomber sur eux.
A présent, ils sont à l’intérieur du poste, où un fonctionnaire tamponne leurs passeports.

C’est à la voiture d’après que ça se passe. Une vieille DS Citroën grise immatriculée en Espagne.
Tout autour, il y a une cantine et une demi-douzaine de sacs béants sur le sol, signes manifestes d’une fouille en règle.
Hurlant, un douanier brandit sa trouvaille : un fusil de chasse à deux canons superposés à moitié dépiauté de sa housse.
Deux de ses collègues pointent leurs pistolets sur le chauffeur de la DS.
Celui-ci, un type d’une trentaine d’année à la dégaine de rocker – les cheveux en banane et le blouson perfecto – a planté ses deux mains dans le ciel et répète, affolé :
– Tranquillo, hombres, esta un regalo por un amigo, solamente un regalo ! (Tranquille, les gars, c’est seulement un cadeau pour un ami !)

Ce bordel !

Des quatre coins du paysage, d’autres uniformes rappliquent en courant.

Sur le rocher rouge, les gamins passeurs de shit ont déjà réagi. En bons apprentis voyous, ils savent que tout désordre peut être profitable. D’un même réflexe, ils ont bondi sur leurs pieds et courent vers la ligne de frontière, marquée par des vieux fûts de gasoil alignés tous les dix mètres. De leur cavalcade s’échappe une clameur joyeuse de cour de récré.
Du côté marocain, depuis les groupes d’hommes assemblés autour des étals de vente de boissons et de fruits, jaillissent des rires qui saluent cette envolée.

Un des douaniers fait volte-face, amorce quelques pas de poursuite en direction des enfants, puis, réalisant qu’il est déjà trop tard pour espérer les rattraper, tape du pied de dépit, lève sa longue matraque en jurant et reprend sa course vers la DS.

C’est la mêlée, maintenant.
Une ronde désordonnée qui soulève un nuage de poussière. Il y a des coups de poings. Des gourdins qui s’abattent.
L’Espagnol rendu furieux rend coup sur coup.
La face ensanglantée, il hurle :
– Cabrones ! Puercos ! Hijos de puta !… (Enculés ! Porcs ! Fils de pute !…)

Mon gabelou à moustaches a perdu tout intérêt pour ma pomme.
Il me fourre les papiers dans les mains et m’indique d’un mouvement sec du menton l’intérieur du poste. Puis il remonte son ceinturon de cuir sur son bide et se dirige vers l’échauffourée, d’un pas lent et déterminé d’officier supérieur.

Sur le seuil de la casemate de béton, je croise le couple de richards. Madame, la main sur la poitrine, les talons claquant sur le mauvais dallage, pépie en arabe sur un ton affolé. Monsieur la presse d’une main dans le dos, l’air indifférent, cigare au bec.

A l’intérieur, un jeune type en chemisette kaki, attablé à ce qui semble être un ancien pupitre d’école, tamponne mon passeport sans même le regarder, occupé qu’il est à tendre le cou pour regarder la baston par la fenêtre.

Pas la peine de s’attarder, pas vrai ?
Une seconde après, je suis dehors.
Encore une moitié d’instant et je suis au volant de ma 504.

Du coin de l’œil, j’ai vu que l’espagnol avait disparu. Le troupeau des douaniers tourne dans la poussière, levant et rabattant les pieds en cadence. Inutile de se demander dans quoi ils shootent. Le chef à moustaches, un peu à l’écart, les deux mains levées, semble appeler ses hommes au calme, mais n’obtient aucun succès.

Par la fenêtre ouverte, je fais signe au planton posté près de la barrière de la lever.
Lui aussi passionné par la bagarre, il m’obéit.

Je démarre et franchis la frontière, en rigolant de ma chance.

Eh, toi, l’Espagnol, si jamais tu lis ces lignes et te reconnais, sache que j’espère que tu t’en es tiré sans trop de bobo.
Et que je te remercie du fond du cœur.

 

(A suivre)

Le Sang des Sirènes - 04 : Cavale

10 Responses to Le Sang des Sirènes – 01 : Le malheur des uns…

  1. Herry

    fait le bonheur des autres…

    Je sens un été bien fourni!

  2. Herry

    Une petite suite pour le hobo avec toi et clément en vidéo??

  3. Thierry Poncet

    Ce serait avec plaisir, Herry, mais l’ami Clément est très occupé à… Comment dire… Disons qu’elle est intelligente, ravissante et charmante. Alors, les vieux poètes au fond de leur forêt, hein, bon…

  4. Herry

    Un ancien m’a dit un jour que les vieux poètes (conteurs) valaient tous les vierges du monde…
    Il disait : « Une mémoire d’une vie vaut toujours plus que celle d’un jour ».)

    J’en suis toujours sur le matin et jamais sur le soir!

    Qu’il en profite!

  5. Oliv'

    Moi quand j’étais plus jeune avec mes potes et qu’on revenait d’une virée à Amsterdam histoire d’aller se la raconter un week-end au Bulldog, on avait un truc qui nous a fait rigoler une paire de fois…
    Alors le but était d’arriver à la douane franco belge – encore existante mais quasi moribonde – avec le dernier bout de joint encore incandescent de façon à avoir la voiture pleine de fumée bien odorante.
    Au moment ou le douanier s’approchait pour demander les papiers – généralement de nuit – la descente du carreau ( avec la manivelle c’était une 304 vert foncée .. ) laissait échapper un nuage de fumée âcre qui ne laissait aucun doute, sur fond de « I wanna Jammin’ with you de Bob Marley  » disons que les présomptions d’innocence étaient réduites, surtout à regarder nos visages défaits et hilares… Et bien vous me croirez si vous voulez mais une seule fois on s’est fait fouiller voiture et bagages, les quelques autres fois le douanier nous regardait d’un air assez dépité et méprisant et nous faisait signe de ciculer, la provocation était si évidente qu’il préfèrait sans doute éviter une fouille vaine – nos maigres bagages étant vides de toute denrée illicite bien entendu.
    Voilà les souvenirs qui me sont revenus en lisant ton récit Thierry, désolé pour « l’élargissement » – à propos j’aimerais « hachement » trouver Amsterdam Zombies… Salut à tous les Mohicans !

  6. Thierry Poncet

    Salut Herry. Pour Tuan Charlie, deux versions. La première, l’originale, chez Media 1000, une officine de Hachette créée pour occuper le créneau du roman « de série ». La seconde, un peu plus soft, en édulcorant le personnage de Little Bitch, parue en recueil : « Tuan », au livre de poche. A noter que le compagnon de Tuan Charlie s’appelle Jules N’Guyen Leprêtre, Leprêtre étant le nom de famille de mes voisins – dont un des membres était allé combattre en Indochine – dans mon village d’enfance, à quelques sauts de bottes de la petite ville de Saint-Just-En-Chaussée, dans l’Oise profonde.
    Pour adventures-books… Ce ne sont pas mes copains. Je ne peux pas, naturellement, vous recommander de ne rien acheter chez eux, mais, bon… Pas des copains.
    Lire à ce propos ma chronique « Zykë et le Sexe Saharien », demain matin.

  7. Herry

    Salut Thierry,

    Je suis tombé sur la version Média1000. Little Bitch y est décrite dans toute sa splendeur!
    Douce, délicate, sensible et humaine… Une femme comme on les aime!.)

    J’attends avec impatience la livraison de Dust( dans quelques jours chez moi) pour m’y plonger à « tombeau fermé »

    Désolé pour Adventure-books ( n’hésite surtout pas à retirer mon commentaire précédent, faut pas faire de la « pub » si c’est pas des potes).

  8. Oliv'

    Sahara je l’ai perdu… je reste inconsolable. De quand je l’avais lu – 2 ou 3 fois je crois , avec les 2 graisseurs one et two… j’ai dù faire 5 déménagements je pense, et du coup, volatilisé le bouquin. Aujourd’hui pour situer je suis à 1132 Km de Saint Just en Chaussée, mais je tiens à préciser que mon Pépé Dédé  » La Goupille  » était né à Noyon en 1906… voilà voilà, moi aussi j’ai des Racines dans l’Oise Môôôssieur !

    PS : Merci Herry pour les indications mais… non je préfère attendre de le retrouver chez un bouquiniste en France, comme j’ai fait pour Oro que j’ai retrouvé à Rouen sous la cathédrale, et que je me suis re-dévoré il y a quelques mois !

  9. eddy

    Thierry je pars 2 semaines en Corse mi septembre et je compte bien sur Haig pour m accompagner ! Qu est ce que je fais? Je lis les prochains épisodes ou je me les mets de côté à défaut de pouvoir lire ton prochain e-book sur l’épopée complète du jeune homme ci dessus? Zyke l aventure paraîtra en même temps !!!!! Nickel ! Tu me met au top là tu sais !

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