CABANE
Les gosses mangent sans causer
Vite
Avec les mains
Le Hobo il a de la vodka
Des bières
Et pas trop faim
Drôle de baraque, le Hobo se dit.
Creusée dans le corps du vieux générateur,
Un terrier de ferraille,
Des senteurs de cambouis.
Au sol des nattes pas trop crevées,
Des cartons d’emballage aux murs,
Des photos de filles thaïs,
Dans un coin d’ombre, loin de la chandelle,
Un poster de Stallone, un flingue au poing.
Une vraie cabane à gamins,
Le Hobo il se dit.
Dans d’autres mondes,
Ça serait un coin secret pour les copains,
La cabane pour jouer aux Indiens
Sous les buissons du jardin.
Drôles de jeux, le Hobo se dit :
Des balles aux voleurs pointues,
Des chasses aux trésors d’ordures,
Et tous les jours, roulez jeunesse,
On joue aux gendarmes et aux malheurs…
Vite bouffé, le festin.
Un quart d’heure et c’est la fin.
Le Hobo il offre des cigarettes.
Muchacho boit une bière,
Lorgnant sur la vodka.
Le petit, le tout nu, lèche la graisse
Au fond des sacs plastiques.
Mom et le Hobo ils causent.
Le Hobo :
Elle est jolie ta maison…
Mom :
(Grimace, souffle la fumée, fronce le nez)
Pas jolie. C’est maison très petite,
Alors pas jolie.
Le Hobo :
Elle est jolie quand même…
Mom :
(Hausse les épaules, deux pointes d’os)
N’a pas d’eau, n’a pas de lumière,
Ça pas joli pour une maison !
(Agacée, si tu comprends pas ça, Etranger,
Alors toi vraiment très con)
Nous c’est rien mettre dans la maison
A cause des hommes coupés.
Le Hobo :
Les hommes d’en bas, les soldats ?
Mom :
Eux c’est pas soldats longtemps longtemps,
Eux c’est marcher sur la bombe en fer,
Eux c’est voleurs, toujours venir voler…
(Jette un regard vers l’entrée,
Montre les canines, crache)
La nuit aussi eux c’est venir, tourner
Faire du bruit,
Eux dire viens, toi sortir,
Moi c’est gentil gentil.
Le Hobo :
Ils viennent voler la nuit aussi ?
Mom :
Eux vouloir me baiser !
(L’évidence. Choquée.
Où donc t’es né, l’Etranger ?)
Eux dire viens la fille
Viens je te donne de l’argent,
Moi gentil gentil
Eux c’est même pleurer pour moi sortir.
(L’évidence. Vexée. Tu vois pas
Que je suis jolie, l’Etranger ?)
Le Nino s’est endormi,
Plié sur les sacs de bouffe vides.
Muchacho a repris une bière,
Rallume une cigarette,
Reluque toujours la bouteille de vodka.
En bas, en ville, pas loin, une radio couine
De la variété vietnamienne,
Du sirop de sanglots,
Une fille qui se lamente.
Mom :
Moi c’est acheter la charrette,
Aller au marché, porter les choses des gens,
Eux payer beaucoup d’argent.
Le Hobo :
(Il sourit)
C’est combien, la charrette comme tu dis ?
Mom :
Deux cents dollars !
Le Hobo il rigole fort
Il dit non non non,
C’est pas plus de cinquante.
Alors Mom elle rit aussi
Et elle dit oui,
L’Etranger il a quand même compris.
Le Hobo sort sa liasse,
Donne cinquante dollars.
Mom elle rit encore plus fort,
Les yeux heureux.
Le Hobo il dit :
Ça c’est pour le prix de ma nuit.
Okay, elle dit Mom,
Toi c’est dormir ici.
Le Hobo il étend les jambes.
Il ferme les yeux.
Avant de s’endormir,
La dernière chose qu’il voit
C’est Muchacho lui chiper sa vodka.