GAMINE
Sous la lumière si dure
 Qu’elle mord
 Ce ciel immense
 Un ravage d’ordures
 Y courent y dansent
 Des nuées d’enfants morts
Le Hobo il gagne un passage entre deux immeubles.
 Dans le temps oui c’était une rue, sûrement
 Maintenant c’est une décharge, un tapis d’ordures
 D’un bon mètre épais
 En guise de chaussée.
Le Hobo il débouche sur un immeuble bas,
 Noir
 De crasse,
 Avec des traînées de moisissures
 Qui scintillent dans la lumière.
 Une pauvre bâtisse en U, en cul
 De sac,
 Autour d’un genre de square.
 Y’a vingt ans, il se dit le Hobo,
 C’était la Cité Du Travailleur Méritant
 Ou un truc comme ça.
Sur l’esplanade le tas d’ordure épaissit encore,
 S’élargit,
 Ondule,
 Mange le bas de l’immeuble / Pieuvre
 L’une des tentacules
 Atteint des trous de fenêtres du premier étage.
A même cette mer de merde pâle, décolorée
 Par le soleil qui la
 Frappe,
 Des sentiers serpentent,
 Faits de vieilles planches, de branches,
 De palmes sèches arrachées à des palmiers.
 Le Hobo il comprend :
 C’est des chemins pour les enfants
 Des passerelles,
 Drôle de jeu de marelle, le Hobo il pense.
Des gamins, y’en a partout.
 Des lutins de famine, beaucoup.
 Un sac crevé à l’épaule,
 Une tige de ferraille à la main,
 Fouillent, têtes penchées,
 Ramassent du métal, du verre, du carton,
 De la merde.
 Le Hobo il s’envoie un coup de vodka,
 Il se dit Jésus Jésus
 Faut vraiment être saoul
 Pour pas sentir cette puanteur.
Trrrriiiiiiiiiiiiiiiit !
 Un coup de sifflet à roulette.
 Y’a un vétéran mutilé qui va et vient.
 Il porte un treillis déchiré.
 Sa jambe gauche, c’est une pointe de ferraille,
 A la main il tient un vieux rétroviseur,
 Son sceptre, le Hobo comprend.
 Tous les trois pas il s’arrête,
 Porte le sifflet à sa bouche,
 Trrrrriiiiiiiiiiiiiiit !
 Brandit haut le rétro,
 Donne l’ordre à la voiture dans sa tête
 De s’arrêter immédiatement.
Une gamine s’approche.
 Elle a huit ans, dix ans, cent ans,
 Vêtue d’une veste de soldat,
 Un slip d’homme, des pattes d’araignée.
 A ses deux flancs se pressent
 Deux enfants,
 Un petit, un encore plus petit,
 Un en haillons, l’autre nu,
 Ses frères, sûrement,
 Le Hobo il se dit.
La fille l’observe.
 Deux grands yeux noirs
 Sous une frange
 Noire,
 Taillée de travers,
 Qui scrutent.
 Tu veux quelque chose ? le Hobo il dit,
 Le Khmer il le baragouine.
 Des dollars, la fille elle dit.
 Tu es étranger, qu’elle pense, un Blanc,
 Alors t’as beaucoup d’argent,
 Les gens de ta race, ils ont plein d’argent.
Le Hobo il s’envoie une rasade,
 Il dit : vends-moi quelque chose.
La gamine s’avance.
 D’une poche elle sort un livre, le tend.
 Ses yeux comme des lignes d’encre
 Où est écrit :
 Je te tue si tu refuses, le Blanc.
 Le Hobo il rigole,
 Le Hobo il les connaît ces yeux là,
 Alors il tend la main.
 C’est un bouquin de contes pour enfants
 En français.
 Un très vieux livre pour l’école,
 De 1961,
 La couverture jaune en lambeaux.
 C’est bien, il dit le Hobo, ça m’intéresse,
 Combien tu veux pour ça ?
 Dix dollars !
 Ça gicle, ça jaillit d’elle.
 C’est craché à son visage, au Hobo,
 C’est dix dollars, l’étranger,
 Dix ! Dix ! Dix ! 
 Ses yeux toujours ils disent
 Je te tues si tu veux pas.
Le Hobo il sort une liasse,
 Des dollars il en a plein les fouilles,
 Y’a pas quinze jours
 Qu’il a bossé pour Charlie Wang.
Il prend un billet de dix, demande :
 Comment tu t’appelles ?
 Mom, la fille elle dit.
 Le Hobo il tend le billet, il dit :
 Content de faire affaire avec toi, Mom.
Mom elle plonge.
 Le billet n’est plus dans la main du Hobo.
 Mom elle est déjà loin.
 Elle court dans les ordures en
 Hurlant
 De joie.
 Ses deux frangins cavalent derrière,
 Gueulant aussi.
 Entendant ça, tous les autres gamins rient,
 Voilée de moineaux qui s’écrient.
Et leurs rires il bondissent
 En échos,
 Contre les angles du bâtiment.
 
                