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IMPASSE KAMPUCHEA (2)

Publié par le 10 mai 2014

AU-DESSUS DES HOMMES

 

Les Gavroches
C’est toujours né par terre
La faute à ta mère

Trrrriiiiiiiiiiit, sifflet.
Trriiiit, fait le vieux soldat fou, en bas.
C’est comme ça qu’il salue le crépuscule,
Le Hobo il se dit.

Il est avec Mom, la grandette en treillis,
Son calbard,
Ses jambes maigres,
Noires,
Son lance-pierres fiché dans une poche,
Plus ses deux frères.
Le moyen, Muchacho, il l’a baptisé le Hobo.
Le petit, le tout nu, c’est Nino.

Merveille !
Débouchant sur le toit, derrière ses trois petits potes,
Le soleil,
Cinq minutes avant le grand sommeil :
Un disque de braise dure,
Minérale.
Prêt à sombrer, couvé
Par un nuage à deux cornes.
Deux ailes.
Un oiseau dragon posé sur le plateau des toits
Avec son ventre en duvets de
Feu.

Le Hobo il regarde.
Les trois mioches ils attendent.
Au bout des bars, ils ont des sacs qui fument bon.
La bouffe du soir, la surprise.
C’est le Hobo qui invite.
Que du costaud, du fameux, du bien chaud.
Barbaques laquées, deux kilos de riz,
Travers de porc, quoi encore ?
Plein de légumes frits.
Sen foutent, Mom, Muchacho et Nino,
Du paysage.
Le soleil se couche, c’est sûr.
L’a déjà fait hier.
Quasi sûr, il le fera demain.

Le Hobo il grogne :
C’est encore loin votre maison, les mioches ?
Mom elle lève le bras.
A son poignet elle a un bracelet de plastique
Vert fluo – il en manque un bout.
Encore aller au-dessus des hommes,
Mom elle dit.

Ils se glissent par une brèche.
Se retrouvent sur une corniche,
Bande de ciment moisi
Qui saille sur le vide.
Dessous, une terrasse.
Sur la terrasse il y a des gens.
Des silhouettes dans l’ombre bleue
Qui s’étend.

Les hommes.

Les deux loupiots se serrent – La peur.
Mom touche le lance-pierres.
Elle aussi, la frousse.
Mom elle regarde le Hobo.
Ces hommes c’est danger, elle souffle,
Nous pas s’arrêter.

Le Muchacho pose une question, très vite.
Mom elle dit :
Lui demander si toi armé ?
Le Hobo il répond oui
Il sort son flingue du creux de ses reins.
Muchacho éclate de rire.
Un rire joyeux et clair.
Un fruit, le Hobo il se dit.
Si les fruits riaient,
Ils riraient comme ce marmot.

Juste sous le Hobo, à trois mètres,
Y’a un braséro fait d’un vieux seau.
Trois types autour, en vestes de soldats.
C’est des mendiants, le Hobo il comprend,
Des mendiants mutilés qui sont réfugiés là.

Au-dessus du brasero y’a un masque
Monstre
Eclairé par les braises
Comme un démon.
Une cicatrice lui barre la face.
Le Hobo il voit ses dents dans le
Trou
De sa joue.
Le démon il pleure des larmes jaunes,
Comme une viande au feu
Suinte sa graisse.

Y’a un homme grenouille, un
Ver
Un tronc et quatre moignons,
Une casquette à étoile rouge sur la tête.
Son copain plié sur une béquille
Lui fait téter une cigarette
Qui rougeoie.

Un long squelette nu, en tailleur
Se balance d’avant en arrière, psalmodiant.
Il prie, le Hobo il comprend.
Le gars il a les deux bras tendus,
Geste de prière,
Comme joignant les mains,
Mais y’a pas de mains.

Ils sont bien trente, sur la terrasse.
Trente détruits qui prennent l’air du soir.
Cette terrasse, il se dit le Hobo,
C’est le toit des miracles.

Les gueules se lèvent
Vers le Hobo et les gosses.
Silence.
Mais regards qui s’attachent à leurs pas.
Menace.
Y’a le chuchotement du type en prières :
Pss,  tt, ch, pss, pss…
Y’a le masque de cauchemar
Qui laisse couler son pus dans la braise :
Pssssshhhhh…

Un autre trou dans le mur.
Qu’est-ce qui pue comme ça ? il se dit le Hobo.
Les gosses et lui ils dévalent
Une passerelle de béton
Hérissée de ferrailles
Qui plonge dans un noir
Puant.
Ça sent la merde, le Hobo il comprend.
Le Hobo il rote de dégoût.
Le Muchacho ricane.
Son rire rebondit dans le noir,
Dessine une vaste salle.
C’est là que les hommes venir chier,
Elle lance Mom,
Sentir mauvais, hein ?

Ils traversent.
Des étrons en semis, des journaux froissés.
Dans un coin, une brèche au plafond,
Dessous un bac en zinc rouillé,
Dedans de l’eau de pluie verdie.
Des étrons encore.
Dix. Trente. Sept cent cinquante.
La puanteur solide, dure,
Fait de chaque souffle
Un coup.

A l’autre bout de la fosse,
Une échelle de bois et de bambou.
Le Hobo et les gosses débouchent sur le toit.
Devant eux, la masse rouillée
D’un vieux générateur.
Mom elle lève les yeux – sourit :
Nous c’est arrivés, Mom elle dit,
Dans la caisse c’est maison moi.

 

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