browser icon
You are using an insecure version of your web browser. Please update your browser!
Using an outdated browser makes your computer unsafe. For a safer, faster, more enjoyable user experience, please update your browser today or try a newer browser.

De la littérature confiture – 10

Publié par le 28 novembre 2017

 

Qu’on s’amusit, qu’on s’éclatut, qu’on se fenda la pêche, Zykë pis moi…

Rappel : Zykë L’Aventure, en vente partout, éditions Taurnada, 360 pages, 14,99 €.

https://www.taurnada.fr/

https://livre.fnac.com/a10793510/Thierry-Poncet-Zyke-l-aventure

https://www.babelio.com/livres/Poncet-Zyk-laventure/962158

https://www.amazon.fr/Zyk%C3%AB-Laventure-Thierry-Poncet/dp/2372580345

Zykë et moi, donc, on s’amusèrent fort à l’écriture de Paranoïa, pour nous première salve d’une offensive qui devait – pauvres de nous ! – redonner son lustre d’antan à une littérature authentiquement populaire, libre et forte, à la fois aisée d’accès et de qualité.

Ça tombut juste à l’époque où Hachette, sous la houlette de Jean-Claude Lattès, fondassa une nouvelle société destinée à publier les gros vendeurs du groupe, autrement dit les auteurs à best-sellers, autrement dit les deux seuls champions poids lourds de la baraque : Paul-Loup Sulitzer et, donc, Cizia Zykë.
Cette neuve société fut baptisée « Edition n°1 », on bombardit un quelconque commercial à sa tête, on acquisa des jolis bureaux dans le VIIIème arrondissement de Paris, derrière les Champs-Élysées, faut ce qu’il faut, et on affichit dans le hall les portraits des deux bourrins de l’écurie, Zykë à gauche en entrant et Sulitzer en face.
Ne manquait plus au gros Paul-Loup (huit collaborateurs, documentalistes, scénaristes et dialoguistes dirigés par le chef d’équipe, Loup Durand) et à Zykë (Un collaborateur : m’sieu Poncet) d’apporter leurs manuscrits. Ce que nous faisâmes : L’Impératrice pour le camp Sulitzer, Paranoïa pour nous z’autres.

Le héros et narrateur de Paranoïa est Fernand Duclos, jeune écrivain faible de caractère que sa boite d’édition, « Les Éditions françaises » exploite à l’os. Las d’écrire des romans de gare à la chaîne, Fernand se révolte et impose son manuscrit, un roman d’amour intitulé La Rose Des Vents à l’éditeur en chef, Jean-Michel Pettas.
(Prononcer « péta » ou bien « pétasse », quand j’vous disais qu’on se poilât bien…)

« – Une dernière chose, mon bon Duflot…
– Non, monsieur Pettas ! Je me nomme Duclos, Fernand Duclos !
– Excusez-moi, cher ami… comprenez… tant d’auteurs… écoutez-moi, mon cher Duclos : vous avez un style original, d’une grande force, mais très nouveau pour nos lecteurs. Vous savez que nous avons toujours recours à des stratagèmes…
– Stratagèmes ?
– Nous allons publier votre manuscrit sous une autre identité, afin que le public s’habitue à votre patte si particulière, à votre talent si nouveau… »

Ainsi La Rose Des Vents, renommée Le Prix De L’Hibiscus (c’est plus vendeur) débarque-t-il dans les librairies signé d’un autre auteur de la maison qui a le mérite, lui, d’être déjà célèbre.
Celui-là, je l’avais appelé Renard Renaudler. Renard en référence à « Loup » et Renaudler forgé à partir du prix Renaudot, comme Sulitzer venait du prix Pulitzer – personne dans la vraie vie ne s’appelle Sulitzer, vous pensez bien, et encore moins Paul-Loup !
Le boss d’Edition n°1 renâcla devant ce pseudonyme dont j’étais fort fier : c’était l’autre auteur de la maison, ça constituait une attaque directe, il allait se vexer, ça ne se faisait pas et patati et patata…
Nous cédûmes.
L’appelîmes finalement Racine Ronsard, ce qui avait pour avantage de conserver les initiales initiales : R.R.

Le soir prévu de la première interview télé de, donc, Racine Ronsard à propos du Prix De l’Hibiscus, dans l’émission littéraire de la fameuse Héloïse Perrin, ancienne présentatrice météo devenue critique littéraire, Jean-Michel Pettas invite Fernand Duclos à y assister chez lui.

« – Vous allez voir, exultait Pettas, il est fabuleux en télé, un don qu’il a, il perce l’écran !
Héloïse Perrin salua et embraya :
– Je ne vous présenterai pas Racine Ronsard…
La caméra se fixa sur lui, un gros bonhomme au nez fort comme un bec, aux lèvres courtes et grasses, éternellement retroussées en un sourire avenant, qui évoquaient l’arrière-train d’une volaille. Il portait une veste de velours. De la poche gonflée de celle-ci dépassait une boîte de camembert.
Racine Ronsard, au lieu de vendre son nom à une quelconque marque de luxe, avait préféré associer son nom à celui du plus fameux fromage de notre pays.
– Il perce l’écran ! s’enthousiasma Pettas, il perce lit-té-ra-le-ment l’écran !
– Je ne saurais trop recommander la lecture du Prix De L’Hibiscus, minaudait Héloïse Perrin. « R.R. » a réussi une merveilleuse histoire d’amour tout en restant dans son domaine favori : le désormais célèbre roman d’argent.
Racine Ronsard bondit aussitôt.
– C’est un roman d’argent, lança-t-il. On ne peut mieux, ma chère Héloïse, analyser cette œuvre, c’est un roman d’argent, un excellent roman d’argent.
– Quelle force, hurla Jean-Michel Pettas. Voilà du commercial ! Voilà du message de vente ! Ro-man-d’ar-gent, quelle trouvaille ! Aaaaaah, il perce l’écran !
Je m’abstins de lui faire remarquer que ce monsieur Ronsard pondait un de ses fameux romans d’argent chaque été depuis quinze ans et qu’en fait de trouvaille…
Mais Héloïse Perrin avait ouvert le livre et enlisait un passage, le poème que j’avais glissé à la page 56. Émerveillé d’entendre mes propres mots à la télévision, je les prononçai à voix basse en même temps qu’elle :
– Et je te parlerai des tristesses / Comme un arbre déraciné / Des larmes je te montrerai les tendresses / Et l’Amour / Reverra le jour / Comme un tison calciné…
– Que c’est beau, s’exclama-t-elle en refermant le livre, on ne vous connaissait pas cette veine poétique, R.R. !
L’homme agita modestement mes doigts et répondit :
– C’est un roman d’argent poètique.
Il se tourna vers la caméra, le regard vers les téléspectateurs, et son sourire s’accentua :
– C’est un très beau roman d’argent poètique. Voyez-vous, ma chère Héloïse, le roman d’argent…
J’oubliai d’écouter la tirade qui suivit, occupé que j’étais à compter sur mes doigts. Racine Ronsard prononça « roman d’argent » encore neuf fois avant la fin de l’émission.
– C’est gagné, hulula Pettas, c’est le succès ! »

Et effectivement, c’est le succès, auquel Fernand Duclos, dans les jours qui suivent, ne peut qu’assister.

« Le Prix De L’Hibiscus était dans toutes les vitrines des librairies et figurait en piles de quinze ou vingt à l’intérieur. Dans les kiosques des gares, c’étaient cinquante exemplaires qui disparaissaient chaque jour.
R.R. triomphait.
L’Évènement du Jeudi jugea Le Prix De L’Hibiscus « bien ficelé ». Le Figaro Littéraire lui consacra une rubrique « Lectures pour Tous ». Paris Match appuya à fond, donnant à Racine Ronsard la une et cinq pages de la rubrique « Les Gens », sous le titre : R.R. chez lui, la solitude du créateur, dans l’univers secret du romancier d’argent. On le découvrait au bord de sa piscine, puis devant sa collection de boîtes de camembert, enfin assis à son bureau d’écrivain, faisant semblant de rédiger une page. Une dernière photo le montrait brandissant dans une main une tartine de camembert, dans l’autre un recueil de Paul Verlaine. La légende disait : il s’est plongé dans l’études des grands poètes pour faire entrer la poésie dans le roman d’argent. »

Le 14 juillet, Fernand Duclos regarde le défilé militaire à la télévision :

« Á la fin, après le passage très applaudi des pompiers, il y eut l’habituel plan d’ensemble de la tribune officielle où président, ministres et généraux s’étaient levés pour une vibrante Marseillaise. Et qui vis-je, en même temps que des millions d’autres téléspectateurs, dans l’extrême coin gauche des gradins, à l’écart mais exactement dans l’axe de la caméra ? Lui. Racine Ronsard, un camembert à la main, trois rangs de médailles pendant à son veston, ses grosses lèvres prononçant visiblement les paroles de notre hymne national.
Le journal de 13 heures consistait en un direct spécial depuis l’Élysée, dans les jardins duquel le président de la République donnait sa traditionnelle réception. Pendant une interview du ministre de la Culture, je le vis en arrière-plan, R.R., un toast au camembert dans une main, la couverture bleue du Prix De L’Hibiscus dépassant de la poche de sa veste.
Les 15, 16, 18 et 20 juillet, il fut l’invité de sept shows télévisés. Aux émissions de variétés, il dévalait sur le plateau en brandissant Le Prix De L’Hibiscus, précisait au micro que c’était un roman d’argent et, sur les instances du présentateur, déclamait le poème qui avait tant plus chez Héloïse Perrin :
Et je te parlerai des tristesses,
Comme un arbre déraciné…
Lors d’une émission féminine de l’après-midi, au milieu d’un plateau d’admiratrices émues aux larmes, il déclara :
– Je suis un écrivain populaire et je n’en éprouve aucune honte. Je sais rester, malgré mon immense succès et celui de mes romans d’argent, près de mon lectorat. J’ai décidé de dédicacer mes ouvrages dans tous les supermarchés de France !
Les dames du plateau se récrièrent.
– Oh, monsieur Ronsard…
– Tous les supermarchés ? intervint la journaliste. Mais vous n’aurez jamais le temps !
– Rassurez-vous, quand je dis « tous », j’entends les supermarchés de la chaîne Aussan-Lebert qui ont bien voulu m’organiser une tournée. Ainsi je serai demain à 9 H 30 au supermarché Aussan-Lebert d’Orléans. Á 11 H 00 au supermarché Aussan-Lebert de Chartres et à 13 H 00 au centre commercial Aussan-Lebert de Tours… »

Ah, c’est pas pour dire, les aminches, mais qu’est-ce qu’on rigolassait, des fois, avec Zykë !

Bon, c’est pas tout ça, mais j’ai des (nouvelles) pages à z’écrire, moi…

(A suivre)

 

 

One Response to De la littérature confiture – 10

Laisser un commentaire