– Les soi-disant grands éditeurs parisiens ne sont que des vils maquereaux, estimait à voix haute, à tout propos et à qui voulait l’entendre le grand Cizia Zykë.
Rappel : Zykë L’Aventure, par Thierry Poncet, 360 pages, 14,99 €, en vente partout dès le 12 octobre.
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Il est vrai qu’entre Zykë, l’autodidacte de génie, franc, brutal, dangereux, Cyrano moderne, chantre de la noblesse de l’Écrivain, et les petits marquis de l’édition germanopratine, les relations furent pour le moins tempétutorgnoleuses.
Comme ces gensses le prenaient ouvertement pour une brute épaisse, il prenait un malin plaisir à se comporter comme tel, rapetissant ces messieurs derrière leurs marquetés burlingues et faisant galoper, couinant d’angoisse, les attachées de presse le long des couloirs marbrés.
Il était comme ça, Zykë : facétieux.
Quand il estima que les dirigeants de Hachette Littérature (confiture) cherchaient à l’escroquer, il le prit comme une autorisation d’entourloupe.
– C’est eux qu’ont commencé, déclara-t-il.
Et comme il était bien plus fort qu’eux au jeu du tu-m’as-pas-vu-j’t’embrouille, il les fit saigner du portefeuille.
Grave saigner.
Il était comme ça, Zykë : joueur.
– Des chèvres ! gueulait-il. Des ânes ! Des rats !…
– Tu exagères, disais-je.
Il me fusillait alors d’un regard de fauve agacé.
– Toi, m’sieu Poncet, tu leur conserves ton respect parce que tu as été éduqué à les considérer comme des gens valables. On t’a inculqué que ces gens-là aiment la littérature, mais c’est du flan.
– Ce ne sont pas des épiciers, tout de même !
– Pire. Ils sont plus pourris que des dealers. Tu verras, quand tu auras affaire à eux.
Effectivement, quand sonna pour moi l’heure du tu-verras, je vis. Ô misère, Ô funérailles, Ô illusions pulvérisées, je vis.
Zykë et moi passâmes le mois de juillet 1989, en notre fortifiée ferme de Bini Pati Nou, Menorca, Baléares, à écrire un épastouillant roman-farce, Buffet Campagnard.
Dans l’heure d’après que j’en eusse tapé le mot « fin », il me fit savoir que nous allions écrire dans la foulée un autre best-seller, pour moi cette fois-ci, signé Thierry Poncet.
– Comme ça, expliqua-t-il, ce ne seront plus un patron et un secrétaire, mais deux écrivains qui bossent ensemble.
Il était comme ça, Zykë : loyal.
Le mois d’août fut donc consacré à l’écriture d’un roman plein de gouaille, de nuits chaudes et d’amour intitulé Pigalle Blues.
Signé Thierry Poncet, je ne m’en lasse pas.
Et à la mi-septembre, alors qu’en Europe orientale les pics du capitalisme commençaient à s’abattre sur le mur de Berlin, nous nous retrouvâmes rue du Cherche-Midi, dans le bureau directorial des éditions Ramsay, lesquelles venaient d’être rachetées, suite à une embrouillette dont elle avait le secret, par la fameuse romancière et poétesse Régine Desforges.
Voici donc, côté visiteurs : moi, exultant intérieurement, bandouillant sous braguette, sur le seuil de mes plus grandes espérances ; Zykë, monumental, paume ouverte, se roulant sans vergogne un cône haschichin.
Voilà donc, côté réception, Régine Desforges, décatie lionne à la crinière rousse, le bas des yeux pochés pur malt ; son fils, Frank Spengler, dandy vêtu et coiffé comme un musicien de Cure, qu’elle avait propulsé à la tête de Ramsay ; et leur assistant, un vieil homme de lettres nommé Émile Kopferman.
La mère Desforges secoua sa chevelure carotte et s’écria d’une voix de cantatrice nicotinée :
– Ciziâââ, j’ai ââbsolument dé-vo-ré ton Buffet Campagnâârd, c’est un roman géniââââl.
Son fils prit le relais, rejetant en arrière la mèche qui lui dégoulinait sur le front.
– Buffet Campagnard, tu vois, c’est du génie, tu vois, qwa.
Et le vieux Kopferman de renchérir, levant un doigt osseux :
– Buffet Campagnard est génialissime !
– Je vous remercie, fit Zykë, léchant le bord gommé de l’OCB grand format.
– Une verve, une truculence, reprit la Desforges, chaque scène m’âââ faite mourrrrrrir de rire.
– De la pure rigolade, t’vois, insista le fils.
– Rigolissime ! ajouta le vieux.
– Je vous remercie, souffla Zykë dans un nuage de fumée parfumée d’Arabie.
– C’est écrrrrit dans un style éblouissant, (Régine).
– Du pur éblouissement, qwa, (le fiston, Franck).
– Eblouissantissime ! (le vieillard, Émile).
– Je vous remercie, (Zykë, de derrière un odorifèrant brouillard).
Chacun sirota un chouille de sa boisson chaude, puis Kopferman m’attaqua, index accusateur, voix chevrotante et pourtant tranchante :
– Nous avons aussi lu Pigalle Blues et c’est un des romans les plus nuls qui me soient jamais passés entre les mains.
– Une pure nullité, me banderilla Franck Spengler.
– Nullissime, m’estoqua Régine Desforges.
Je suis un type modeste. J’aurais été prêt à admettre qu’on trouvât Pigalle Blues moins intéressant que Buffet Campagnard. Qu’on préférât la farce au roman d’amour. Ou même que le roman griffé Thierry Poncet fût de qualité un rien moindre que celui signé Cizia Zykë.
Mais que, de deux textes écrits par le même duo, dans les mêmes conditions, à un mois d’intervalle, l’un fût parfait et l’autre nul… C’était tout bonnement impossible.
Ces gens, réputés constituer l’élite de la littérature française, ne savaient tout bonnement pas lire.
Leur capacité de jugement n’allait pas au-delà du hit-parade. Le bouquin signé par un gros vendeur était bon, celui d’un inconnu à chier.
– Je… hum… excus… mais j… enfin… je n’peux pas vous laisser dire ça ! parvenus-je à bafouillir .
– Ça suffit, jeune homme, coupa le vieux, avec le mépris de l’agrégé au balayeur, votre manuscrit est un torchon mal présenté, mal tapé et bourré de fautes d’orthographe. Et en plus, vous n’avez pas pris la peine de mettre des accents !
J’en restai tu sais quoi ?
Oui : baba.
Bouche tu sais qué :
Oui : bée. Bouche bée au carré !
J’avais tapé Buffet Campagnard et Pigalle Blues sur la même machine, une Brother électronique achetée à Singapour, à clavier anglais – c’est-à-dire sans accents pour les « é » –, sur du papier tiré de la même rame, et je doutais d’avoir été plus mauvais en orthographe en août qu’en juillet !
Un silence.
Puis Zykë décida de me tirer d’affaire.
Il envoya d’une pichenette de l’auriculaire un cylindre de cendre sur le tapis et laissa tomber, d’une voix de tigre grognant :
– Pigalle Blues est un excellent roman. Si vous ne le publiez pas, je ne signerais pas avec vous.
Il n’irait pas jusqu’à dire « ce gars-là est mon assistant depuis la fin d’Oro, il a fait plus pour les ventes de livres que bien des gens fameux, alors vous pourriez lui monter un peu plus de respect… »
Non.
Il était comme ça, Zykë : mégalo.
Mais j’eus tout de même droit à la jubilation interne de voir les regards se ternir, les commissures des lèvres tomber et, dans un trio de pantomime, s’affaisser trois paires d’épaules de la crème éditoriale française.
– Si tu vois les choses comme çâââ…
– Si on va par là, t’vois…
– En ce cas…
Un peu plus tard, au comptoir du lounge de l’hôtel Lutétia voisin, ayant soigné ma colère avec trois doubles rhums cul sec, je soupirai :
– Quelle incompétence, tout de même !
Zykë rigola.
– Je t’avais prévenu : ce sont des guignols.
Il était comme ça, Zykë : clairvoyant.
Note : Dans Zykë L’Aventure (rappel : en vente partout le 12 octobre, https://www.taurnada.fr/), j’ai passé sous silence la saynette ci-dessus.
Pourquoi?
Pour des raisons d’équilibre du récit. Aussi parce que je n’avais ni envie de me plaindre publiquement, ni désir d’encombrer un texte dont je suis heureux du portrait de ce triste brelan. Et puis, si Franck Spengler continue à sévir, éditeur de romans érotiques à prétentions, ni sa mère ni Kopferman ne sont plus de ce monde. N’accablons pas la mémoire des disparus. Qu’un dieu miséricordieux prenne soin de leur âme…
N’empêche… Rien que d’y penser, j’enrage encore.
Bon, c’est pas tout ça, mais j’ai des pages à z’écrire, moi…
(A suivre)
5 Responses to De la littérature confiture – 03