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Les Mystères du Sexe en Littérature (confiture) 11

Publié par le 23 novembre 2019

 

Aujourd’hui un auteur très oublié, mais qui fut une véritable star du roman européen dans les années 50 / 60. Vous allez voir, d’ailleurs, l’expression en est un peu désuète – ou bien est-ce l’effet de la traduction depuis la langue originale dont je ne me souviens plus… Indice : l’adaptation cinéma d’un autre des romans de cet auteur est un « classique » de la Nouvelle Vague. Deuxième indice, ledit film a été en grande partie tourné dans la villa de l’auteur de la semaine dernière…

La chambre était plongée dans l’ombre, sauf un peu de lumière sur la table de chevet, autour d’une petite lampe ceinte d’un abat-jour rouge. La pendulette marquait le quart après minuit. Dans quelques minutes, l’infirmière allait venir.

Alors, tandis qu’il regardait la chambre obscure et qu’il pensait à l’infirmière, il lui parut que sa faim, dans un élan d’impatience et d’avidité, dépassait d’un coup les limites du temps présent et celles du lieu où il se trouvait, et s’élançait dans le futur et dans l’espace environnant. Dans cette obscurité, il lui sembla voir apparaître la vie qu’il lui restait à vivre : les lieux, les visages, les mouvements, les rencontres. C’était une sensation bouleversante de liberté agressive, d’exploration illimitée, de vision éblouissante, comme si l’avenir, s’enflammant et brûlant au feu de son imagination, se fût consommé et accompli en un bref instant, tout entier, jusque dans les moindres détails. Il pensa que c’était là la vie, et que, désormais, il ne lui restait qu’à avoir de la patience pour la vivre jusqu’au bout. Ses yeux s’emplirent de larmes, cependant qu’une agitation insurmontable lui parcourait tout le corps. Il se mit à prononcer tout haut des paroles insensées, se tournant et se retournant dans son lit, les yeux braqués sur l’ombre, presque avec le désir de la rendre lumineuse et de la voir se déchirer sur les choses futures. Au comble de cette exaltation, il entendit la porte s’ouvrir.

C’était l’infirmière. Les plis d’une longue chemise de voile dépassaient sous le manteau bordé de fourrure qu’elle semblait avoir jeté en hâte sur ses épaules. Luca la vit qui, un doigt sur les lèvres, lui faisait un signe pour l’inviter au silence, cependant que ses yeux brillaient plus que jamais, lui illuminant, semblait-il, tout le visage, malgré l’ombre de la chambre. Elle ferma la porte avec précaution et fit très lentement tourner la clé dans la serrure ; ensuite de quoi, elle prit une serviette sur la table de nuit et l’enroula autour de la lampe. Elle agissait sans se presser, comme quelqu’un qui fait une chose qu’il a déjà faite mille fois dans sa vie, et Luca, la tête sur l’oreiller, les bras allongés sur le lit, la regardait sans trouble ni embarras, avec une curiosité qu’il sentait innocente, comme si cette femme n’eût pas apprêté ce lieu pour l’amour, mais qu’elle eût accompli les gestes d’un rite inconnu et qui lui était propre.

Les préparatifs achevés, elle s’approcha du lit et, droite et majestueuse, le regardant fixement dans les yeux de ses yeux étincelants, elle leva les deux mains, ôta son manteau de ses épaules et le posa sur une chaise. En faisant ce geste, elle se pencha de côté, laissant apparaître le côté massif et déformé de son corps : les hanches non point rondes mais carrées, aux larges coussinets de chair soulignés par le voile de la chemise ; le dos large et épais ; les bras mûrs. Elle resta un instant immobile, comme pour permettre à Luca de l’admirer à son aise, puis, avec un geste lourd d’impatience, elle leva les bras, faisant glisser sa chemise par-dessus sa tête. Toujours plus haut, rideau hésitant et bancal, le voile montait par à-coups, découvrant son spectacle : les jambes grosses mais droites, semblables à des tours de chair brune et congestionnée ; les cuisses, seule partie modeste et ombreuse de tout cet étalage de surabondances ; le ventre, débordant vaisseau de viscères goulus ; et enfin la poitrine resserrée entre les deux larges aisselles par ce geste des bras levés, tel un terrain sombre et montueux entre deux blanches routes désertes.

D’une dernière secousse, à la fois lente et pleine d’une impérieuse décision, elle se débarrassa complètement de sa chemise, la jetant par terre, et se présenta nue à Luca, avec son habituel air généreux, prometteur et magnanime. Elle agissait, pensa Luca, comme si elle eût été encore belle et jeune et que lui l’eût trouvée belle et jeune ; et cela lui plaisait, lui semblant une illusion aimable et féconde. Quand il lui parut que Luca l’avait assez regardée, elle ouvrit les couvertures et s’y introduisit avec majesté, s’étendant à côté de lui. Il eut alors l’impression non point d’une étreinte mais d’un naufrage de toute sa personne dans une chair immense. Et comme l’infirmière lui promenait sans hâte la main le long du corps, à la recherche de son sexe et, qu’ayant trouvé celui-ci, elle le saisissait à la base, comme si elle eût voulu l’arracher, et le faisait pénétrer dans le sien, il eut le sentiment très net qu’elle le prenait par la main et qu’elle l’introduisait, avec révérence, dans une mystérieuse caverne consacrée à un rite. Il pensa que c’était là la vie qu’il venait d’évoquer et que peu importait qu’elle se présentât à lui sous une dépouille automnale.

Plein de gratitude, il s’aperçut qu’il baisait ce visage maigre et brun, aux yeux mi-clos, immobile comme une effigie. Mais était-ce bien le visage de l’infirmière ou celui d’une divinité venue des entrailles de la terre pour se donner à lui ?

Il était évident que le frisson d’une vénération passait entre ses mains et ces membres étendus sous les siens. Cependant, la sensation de soulagement persistait et rachetait par sa fraîcheur et sa légèreté l’ardeur et le poids de cette étreinte.

(À suivre)

 

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