Mon avant-bras reposant en travers de cent, mille, trois mille comptoirs, cent, mille, trois mille poivrots m’ont demandé :
– Et ta, t’es écrivain, alors, ta ?
– Je suis secrétaire d’un écrivain.
– Ah, t’es son nègre ?
– Son se-cré-tai-reu.
Car, comme je le raconte dans Zykë L’Aventure (360 pages, éditions Taurnada, https://www.taurnada.fr/), Zykë savait exactement ce qu’il voulait voir sur la page et l’exigeait ligne à ligne : une phrase raccourcie là, un dur dialogue ici, une rupture ci-après…
Nègre, je le fus pour d’autres, demi-sels de la chanson et du cinoche, plus quelques animateurs de médias. Il s’agissait alors, à partir d’une pincée d’entretiens ou de l’écoute sur cassette d’un maigre bouquet de souvenirs, de pondre à la place du quidam deux cent cinquante feuillets qui se tenaient à peu près.
Nègre, quoi.
D’aucuns, ces jours, préfèrent l’expression anglo-saxonne, ghostwriter, écrivain-fantôme.
Pas moi.
Ça me plaît d’avoir été nègre. Négro. Banania. Mal blanchi.
Au cours d’un emmerdant cocktail, ponctuation d’un suant salon littéraire, je lançai à Alain Mabanckou, originaire du Congo :
– Tu sais, moi aussi, je suis un nègre !
Il se renfrogna (je n’ose écrire « se rembrunit »). Car, sous ses airs de tropicalité affable et ses pseudo francs rires, cet estimable écrivain possède autant le sens de l’humour que, au pif, la triste Christine Angot.
De nos jours, il est de plus en plus courant que le nom du nègre apparaisse sur la couverture du livre – en plus petit que celui de l’auteur officiel, cela va de soi ! – ou bien en page de garde : l’auteur tient à remercier Tartempion, sans qui ce livre blabli blabla…
En mon jeune temps, macache. On était prié de se faire bien invisible et la générosité de la paye récompensait autant notre discrétion que notre labeur de dactylographe.
Des négros dans mon genre, il y en eut foison, au cours de l’histoire de la littérature confiture.
Le plus fameux est sans doute Auguste Maquet, qui marnait sous la houlette d’Alexandre Dumas.
Cher Guguste ! Je ne peux penser à lui sans une certaine émotion. Le pauvre, esclave d’un tonitruant tyran. Pensez donc, Alexandre Dumas, l’obèse. Le bourreau de labeur. L’ogre des lettres. L’insatiable prolifique !
Il a dû passer par des heures difficiles, m’sieu Maquet. Des pages et des pages et des pages… Et tout ça à noirci à l’encre et à la plume d’oie !
Chapeau l’artiste.
Son seul défaut, à Auguste, c’est d’avoir fini par cafter.
– C’est moi qui ait écrit ci et ça dans Le Comte de Monte-Cristo, sans moi, y’aurait pas eu de Mousquetaires et patati et patata…
Un défaut de loyauté, à mon sens.
C’est vrai, quoi : soit tu refuses, car tu peux toujours refuser, soit tu prends le fric pour la fermer et tu la fermes.
Moi-même, quelques trente ans après mes périodes de négritude, on peut toujours me passer les arpions au barbecue, je ne lâcherais pas une initiale.
Un grand consommateur de bamboulas de plume fut le sieur Alphonse Daudet. Il en employa toute sa vie et, sur ses vieux jours, fît même travailler à sa place sa toute jeune épouse de vingt-cinq ans, une certaine Sylvia.
Les œuvres des écrivains passent dans le domaine public soixante-quinze ans après leur décès, délai au-delà duquel les héritiers cessent de percevoir des droits sur les publications de leur notoire ancêtre.
Arrivés à cette date fatidique, les descendants de Daudet firent valoir en justice que les derniers écrits d’Alphonse étaient de la main de la fameuse Sylvia. Laquelle, de quarante plus jeune que son illustre époux, était morte bien plus tard, ce qui permettait donc de compter les soixante-quinze ans à partir de sa disparition à elle, et non de celle de l’auteur des Tartarins.
Á ma connaissance le seul cas où, pour continuer à toucher du pognon, on clama officiellement que certaines œuvres d’un auteur célèbre n’étaient pas de lui.
Mais la mascarade la plus fameuse du sieur Daudet concerne son œuvre la plus connue – et toujours à ce jour l’une des meilleures ventes du Livre de Poche, pas loin derrière Le Grand Meaulnes du grand Alain-Fournier – les célébrissimes Lettres De Mon Moulin.
L’affaire me fut dévoilée par un historien de la littérature, Mr Jean-Jacques Lefrère, des travaux duquel les épastouillantes informations qui suivent sont extraites.
En quatorze mots comme en cent : les Lettres De Mon Moulin les plus fameuses ne sont pas d’Alphonse Daudet.
Ni La Chèvre De Monsieur Seguin, ni Les Trois Messes Basses, pas plus que L’Elixir Du Révérend Père Gaucher ou L’Arlésienne et encore moins les poétiques Les Vieux et autres Curé de Cucugnan.
Voici les faits.
En 1866 fut demandée au sieur Daudet, alors foutrement célèbre, une série de chroniques pour agrémenter les colonnes d’un périodique nouvellement créé.
Titre : L’Évènement.
Afin d’honorer cette commande mineure mais lucrative, Alphonse recruta une façon de poète fou et inspiré, buveur et panier percé, originaire de Provence, du nom de Paul Arène. Il fut convenu entre les deux hommes que les textes seraient signés d’un pseudonyme – Marie-Gaston, nom d’un personnage de Balzac – que Fonfonse toucherait le fric et en reverserait une partie à Paul Arène.
Les chroniques, intitulées Lettres De Mon Moulin, connurent un succès immédiat. Tant et si bien que, dès le sixième numéro, Alphonse Daudet exigea de les signer de son seul nom.
En 1883, dans son journal polémiste Grimaces, Octave Mirbeau écrivit : « Ce qui prouve que Mr Paul Arène est le véritable auteur des Lettres De Mon Moulin, c’est la langue dans laquelle ces nouvelles sont écrites, une langue claire, pittoresque, pétrie d’azur et de soleil, qu’on retrouve partout dans les plus menues œuvres de Mr Arène et qu’on chercherait vainement dans celles de Mr Daudet ».
Et comme c’est vrai ! Crois-moi, si jamais tu trouves en bouquinerie, estimé lecteur, des pensums larmoyants d’Alphonse Daudet tels que L’Évangéliste, Roi En Exil ou Soutien De Famille, passe vite ton chemin.
Toute sa vie, Paul Arène resta pauvre, ses courts romans, La Chèvre D’Or ou Le Tambour De Roquevaire ne lui rapportant guère.
Mais le plus rigolo de l’histoire, c’est qu’au lieu de revendiquer haut et fort la paternité d’une des œuvres majeures de la littérature française, il préféra subsister aux crochets d’Alphonse Daudet, s’invitant à sa table, l’obligeant à régler ses ardoises de bistrots et lui tapant régulièrement de l’argent.
Anatole France rapporte : « Lors d’un déjeuner chez Daudet dans sa propriété de Champrosay, comme on retirait le vin de la portée de Paul Arène, déjà passablement ivre, celui-ci lança :
– Prends bien garde, Daudet, si je n’ai pas de quoi boire, je raconterai à tous comment tu m’as chipé La Mule Du Pape !… »
Bon, c’est pas tout ça, mais j’ai des pages à z’écrire, moi…
(A suivre)
4 Responses to De la littérature confiture – 02