Moi, les salons littéraires confitaires, ça me gonflotte.
Soit dit en passant, il y en avait un que ça burnebrisait encore plus que moi, c’était Zykë.
Rappel : Zykë L’Aventure, en vente partout, éditions Taurnada, 360 pages, 14,99 €.
https://www.taurnada.fr/
https://www.amazon.fr/Zyk%C3%AB-Laventure-Thierry-Poncet/dp/2372580345
https://www.amazon.fr/Zyk%C3%AB-laventure-Thierry-Poncet-ebook/dp/B074J95YS6
https://livre.fnac.com/a10793510/Thierry-Poncet-Zyke-l-aventure
Je me souviens qu’en une occasion, J.C. Lattès avait invité Zykë au salon du livre de Franckfort, avec au programme conférence de presse, cocktails et tout le tralala. On est restés à peu près sept minutes sur le stand avant de filer visiter les dames du quartier Banhofsviertel.
Bref.
Les salons, donc…
Tu te retrouves coincé dix heures de rang à un petit mètre carré de table, devant un défilé de baguenaudant badauds qui frôlent du regard tes couvertures d’ouvrages, te balancent un coup d’œil, histoire de voir la binette du phénomène, et, le plus souvent, passent au suivant.
Désagréablement surpris par toi-même, tu te fends de mesquines œillades d’envie quand l’un de tes voisins place un de ses bouquins – et, en retour, essuies des moues jalouses quand échoit ton tour de dédicacer.
Si par hasard tu échanges quelques mots avec les organisateurs et que, incidemment, l’air de rien, tu insinues que ta présence constitue un vrai travail et pourrait être rémunérée comme tel, on te eh-eh, quelle idée, ah-ah vous n’y pensez pas, uh-uh, tu l’as dans le… baba !
Heureusement, lesdits organisateurs sachant que la corporation écrivassière compte nombre de crève-la-soif, liqueurs et pinards y coulent d’abondance. Alors on s’arsouille jusqu’au pas convenable, à la tienne, à la mienne, à la littérature confiture, ih-ih, c’est toujours ça d’pris.
Il est pourtant un salounet auquel je me rends chaque année, pour les raisons suivantes :
– C’est en été, il y fait beau ;
– La plupart des participants sont des copains, écrivains en micro ou auto édition, pas snobs pour un rond ;
– J’y retrouve les gais compagnons de l’équipage Taurnada, Estelle Thareau, Florent Marotta, Mehdy Brunet et les autres ;
– L’organisatrice est une vraie passionnée de littérature populaire, encyclopédie sur jolies jambes du polar contemporain, au demeurant délicieuse ô combien à regarder, ça y fait.
J’y croisai ce juillet une dame que, pour les besoins de l’anecdote, par souci de discrétion, je baptiserai Naïvinne Plumasse.
C’est joli, non ?
Naïv…
Poursuivons.
La quarantaine un rien dépassée, le cheveu blond court à peine ébouriffé, le regard clair, la denture blanche.
Un jean propret, un chemisier itou, les pieds nus dans des mocassins d’homme à glands.
(Les tatanes à glands. Pas les hommes. Alors que si, en fait, mais passons, j’me comprends je me).
Un mari cadre dans les surgelés, deux adolescents blonds comme maman, un appartement dans une ville et une maisonnette près d’un océan.
Naïvinne a publié un roman policier dans une maison réputée que j’appellerais Debordel, on ne va pas risquer la pub clandestine non plus.
– Je leur ai envoyé le manuscrit sans y croire et finalement ils me l’ont pris et j’en ai vendu 1500 exemplaires, franchement je n’y croyais pas, je vis un rêve (rire modeste de la charmante).
Essaie un jour si tu veux te marrer : tu te rends dans un salon du livre, tu évites les vedettes, aussi les vieux briscards, repère l’inconnu souriant et engage la conversation. Le gars ou la fille te diront toujours :
– Ça a marché bien plus que je ne l’attendais, j’en ai vendu 1500.
Pourquoi ce nombre ?
Patience, on y arrive.
Je feuilletai d’un doigt poli l’ouvrage naïvinnesque. Y trouvai les fadaises habituelles d’un monde rebattu où les coeurs battent à la chamade ou à tout rompre, l’homme serre les poings, la fille trépigne d’indignation, et où les sourcils froncés expriment la stupeur, l’agacement, la réflexion et le tiens-qui-c’est-qui-sonne-à-la-porte.
Je m’y attendais, mais, quoi, on ne sait jamais.
Je reposai l’opuscule sur la pile, rassurait la proprette un rien effarée par mon allure de pirate embroussaillé d’un sourire poli, affirmai :
– Ça a l’air très bien.
Me dirigeai vers le fond de la salle, voir si la buvette était enfin ouverte, et elle l’était.
Nous y voilà : qu’est-ce qui a poussé la docte maison Debordel à imprimer les platitudes de cette mère de famille bonne sous tous rapports, y compris conjugaux, je suppute ?
Cette année-là, aux sommets de la hiérarchie du groupe Jachette, propriétaire des éditions Debordel, d’inhumains encostardés (prononcez : « commerciaux »), ayant épluché d’interminables colonnes de chiffres, ont décrété :
– Ça ne va pas chez Debordel, il faut booster.
– Il faut qu’ils fassent du polar.
– Oui, a dit l’un, 13,72% de polar en plus.
– Voire même 13,78%, a répondu l’autre.
– 13,78%, a convenu l’un, qui n’était pas contrariant.
Prévenus, les responsables de Debordel se sont grattés les têtes.
– 13,78 ! Ah les salauds !
Ils se sont grattés les nez, les culs.
– Bon, faut agir. Qui c’est qu’on a ?
D’abord, en priorité, les auteurs confirmés, s’il s’en trouve en écurie.
– Ben y’a Nino Norbert, il a la cote depuis que son dernier a été adapté au cinéma par Rochdy Luikjelem.
– Il nous a présenté quelque chose. ?
– Ouais, un 260 pages, Caniveau Sur Canapé, ça a pas l’air mal…
– Okay. Quoi d’autre ?
– Alors y a mon cousin (ou mon copain de fac, l’ex de ma copine, l’oncle à ma belle sœur…), il fait des supers bons polars.
– Banco. Et encore.
– Ben…
Ils se rendirent alors à la remise où sont entreposés les manuscrits reçus par la poste et consultèrent les post-it collés sur les enveloppes par les esclaves lecteurs : romance, suspense, polar…
– Voilà, Machin, polar… Puis tiens, Trucmuche, polar… Ah et puis voilà, Naïvinne Plumasse, polar. On est bons !
– 13,78%, on est bons !
Aussi, quand la jolie dame s’extasie :
– Je vis un rêve !
Il faut entendre, hélas :
– Je suis la proie d’un système qui, au lieu de respecter ma bonne volonté, repérer et développer mes qualités, m’apprendre à éviter mes travers, choyer mon talent, se sert de mon travail pour compléter une marge.
Voilà m’sieurs dames. Á la semaine proch…
Ah, oui, j’oubliais : les 1500.
Pour une maison de la taille et de la renommée de Debordel, au naturel, ça n’existe pas, un tirage à 1500.
Soit le bouquin se vautre et fait 50, la famille et les copains. Soit il se vend normalement, à la louche, dans les 5 à 6000.
Les FNAC, les Cultura, les réseaux type Mollat ou Plein Ciel, les sites de ventes en ligne, sans oublier les quelques 3000 bonnes vieilles librairies, tu y es vite.
Comme disait mon pote Ali, propriétaire d’un prospère bazar à Alexandrie :
– Tu mets à l’étalage, tu vends. Tu mets pas à l’étalage, tu vends pas…
Alors, me diras-tu, curieux comme t’es : pourquoi diable 1500 ?
Aux temps d’avant l’informatique, quand l’imprimerie était affaire de rotatives, tapis roulants, courroies, pignons, clavettes et tutti quanti, l’impression des livres représentaient un coût.
Modique. Mais un coût quand même.
L’intérêt de l’éditeur était alors de commander ses bouquins en gros. Le plus gros possible. Plus la commande était nombreuse, moins l’exemplaire coûtait cher, tu me suis ?
Il était donc bien obligé, Monsieur L’Éditeur, de s’encombrer d’auteurs bien costauds, du Kessel, du Troyat, du Clavel, capables de t’écouler du tirage à 150 000 et des.
Aujourd’hui, écrans, claviers et souris ont réduit le coût d’imprimerie à la pincée de centimes l’exemplaire.
Sur cette nouvelle donne, les encostardés cités plus haut ont calculé :
Auteur pas ou peu connu
+ genre populaire
+ couverture polychrome
+250 pages broché
= risque minimal, gains optimaux : 1500 exemplaires.
Et les éditeurs ont applaudi, tu penses !
Dame, un auteur qui tire à 150 000, il a l’entrecôte sur table tous les jours, il est indépendant, il a de la marge de manœuvre, il peut négocier, ergoter, renauder, exiger des à-valoir, faire chier.
Mais 100 p’tits auteurs à 1500 exemplaires chacun, qu’est-ce que tu veux qu’ils fassent, sinon humblement, pauvrement, larvement te picorer dans le creux de paume ?
Bon, c’est pas tout ça, mais j’ai des pages à z’écrire, moi…
(A suivre)