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De la littérature confiture – 06

Publié par le 31 octobre 2017

 

Sur la fin des eighties en pays françois, le mouvement des radios libres n’était pas tout à fait décédé. Certes, les grandes chaînes commerciales du type NRJ, Sud ou Ouï se mettaient en place, mais il restait encore ça et là quelques cinglé(e)s magnifique(e)s qui faisaient tonitruer les ondes depuis des cagibis.

Avec la complicité de Zykë…

Rappel : Zykë L’Aventure, en vente partout, éditions Taurnada, 360 pages, 14,99 €.

https://www.taurnada.fr/

https://www.amazon.fr/Zyk%C3%AB-Laventure-Thierry-Poncet/dp/2372580345

https://livre.fnac.com/a10793510/Thierry-Poncet-Zyke-l-aventure

… de Zykë, donc, je venais de publier mon beau, si beau roman Pigalle Blues quand je fus convoqué à causer d’icelui par une alternative antenne sise en faubourg de Montpellier qui avait pour nom Radio Discorde.

La fille qui m’entretint s’appelait Odile.
Classe, la fille. Rock. Speedée à point.
Cheveux noirs en brosse. Lunettes rondes miroir. Immenses lèvres beurrées de rouge. Mini jupe à grosses fleurs. Creepers sur bas résille déchirés.
Très classe.

J’ai longtemps gardé la cassette de l’entretien. Des années. Elle a fini par disparaître dans l’incendie de ma maison de Phnom Penh. Mais je me la suis tant de fois passée et j’ai tant cassecouillé mes potes en les forçant à l’entendre, que je peux te la recracher de mémoire.

Odile : Ça t’es venu comment ?
Moi : Ça m’est pas venu, je suis un écrivain-né.
O : Ben voyons !
M : C’est notre problème, à nous, les écrivains. Si il veut plaire à la gonzesse, le mec qui est doué musique, il n’a qu’à prendre une guitare.
O : Guitar-hero, hmmmm…
M : Le dessinateur-né, pareil. Il te griffonne un truc rapide et tu dis : « wah, doué le mec ! ».
O : Mouais. Je préfère quand même la guitare.
M : L’écrivain, avec ses brouillons de bouts de bouquins, il peut se la mettre sous le bras. Qu’est-ce que c’est, bien écrire ? Tous ceux qui sont passés par l’école savent aligner sujets, verbes et compléments. Pas d’exploit là-dedans. On remarque que tel ou tel passage est « mal » écrit, mais ce qui est « bien » écrit passe pour naturel.
O : Chers auditeurs, nous avons un théoricien. Son roman s’appelle Pigalle Blues, mais comme à Radio Discorde, on n’est pas trop blues, on va se contenter de rock. Ça, on en a.

S’ensuivent 4 mns 30 de I’m Waiting For The man, qu’Odile gueule en choeur. Très très classe, la fille.

Odile (essoufflée) : On va se la faire classique, hein ? Tes origines ?
Moi : J’ai grandi à Trou-du-Four, Oise. Un champ de betteraves à gauche. Un champ de patates à droite. Plus des vaches. Ça veut dire que c’était mal parti pour le prix Nobel de littérature. Après, j’ai habité la ville du coin, dans une ZUP. Mon adresse, c’était bâtiment C 8, escalier K, appartement 41, Beauvais, Oise.
O : Toujours mal barré pour le Nobel !
M : Grave mal barré. Quand ma famille a explosé, j’en ai profité pour prendre ma liberté. Ça a été Paris. Tous les boulots habituels, loufiat, grouillot, coursier et aussi figurant sur des tournages…
O : Ah ouais ? Dans des films ? Lesquels ?
M : Le plus connu, c’est Edith Et Marcel de Claude lelouch. Je suis reporter photo au pied du ring. J’avais aussi été groom d’ascenseur, j’ouvrais la grille à Jacques Villeret et Évelyne Bouix, mais le plan a été coupé au montage.
O : Et le reste du temps, tu écrivais.
M : Le reste du temps, j’étais à la dèche, surtout.
O : Dur ?
M : Ça ne me dérangeait pas. Quand tu as décidé d’être écrivain, la famine, ça fait partie du truc. Le paletot crevé de Rimbaud, tout ce folklore…
O : Bon, mais comment ça t’est venu, d’écrire ?
M : On demande toujours ça aux écrivains.
O : Ouais.
M : C’est une question à la con. On ne demande pas à un chanteur pourquoi il chante. Il chante parce qu’il chante juste et qu’il espère se faire une vie agréable avec ça. J’écris parce que je peux écrire. J’écris parce que j’écris juste.
O : Bon, alors, pour éviter les questions à la con, on va se passer un peu de musique, hein ? Allez, un coup de Trust, ça va nous remettre les idées en place.

Pendant Antisocial, tout en headbangant follement, Odile tire un pack de grandes Guiness de sous la table, s’en crève une boîte, me désigne les autres du menton. Décidément, je la trouve de plus en plus classe, cette gadji. Et sexy.

Odile : Radio Discorde, on est toujours avec Thierry Poncet et son roman Pigalle Blues aux éditions Ramsay, Thierry Poncet qui est un écrivain qui écrit juste et qui va nous dire comment il s’en est rendu compte.
Moi : Ouf. Longue histoire.
O : Hey, t’es en interview, là, je te signale !
M : Okay… Au collège, j’ai eu une prof de français de la vieille école qui notait les rédactions en fonction du nombre de citations d’écrivains qu’elle contenait. Moi, ça m’emmerdait de lire des pages et des pages du Lagarde et Michard pour chercher des phrases qui collaient à mon propos. Du coup, j’ai inventé des citations de Rabelais et de Montaigne, en employant des mots de vieux français, et j’ai récolté la meilleure note de la classe.
O : La prof n’a rien vu ?
M : Que dalle. Du coup, je me suis lancé dans une carrière de faussaire scolaire. J’ai imité les plus grands, Victor Hugo, Maupassant, Flaubert… Au fil de mes besoins. La plaisanterie a duré jusqu’au bac où cinq paragraphes prétendument extraits du Père Goriot de Balzac me valurent un dix-sept sur vingt.
O : Ah ben bravo !
M : Ça m’a montré que j’étais… comment dire… habile avec les phrases. Et qu’en plus ça me plaisait. C’est à ce moment-là que j’ai écrit ma première nouvelle, l’Ile aux Crabes, l’histoire de deux naufragés échoués sur une île recouverte de carcasses de crabes morts qui reprenaient vie pour dévorer les deux intrus.
O : Gore !
M : Ouais. Je lisais beaucoup de fantastique à l’époque. Il y avait une super collection chez Marabout, avec Stoker, Jean Ray, Lovecraft, des mecs comme ça. Je me voyais bien faire une carrière dans le roman d’horreur, mais malheureusement, Stephen King m’a piqué l’idée (rires).
O : Pigalles Blues, ce n’est pas du thriller.
M : Pas du tout. C’est un extraordinaire roman d’amour.
O : Qu’est-ce que tu peux nous en dire ?
M : Qu’il faut l’acheter.
O : Mais encore ?
M : Qu’on ne peut pas le lâcher. Tu lis les premières phrases, t’es foutue. Tu tournes la page, puis la suivante, et l’autre encore, tu vas jusqu’au bout et à la fin tu pleures (rires).
O : Sérieux ?
M : Garanti. Moi, le mot « écrivain », ça me gonfle un peu. Je me considère comme un lecturier.
O : Un quoi ?
M : Un lecturier. Un fabricant de lecture. La plupart des gusses, ils te vendent de l’écriture, au mieux, ou alors, au pire, de la posture d’écrivain. On est censés se dire : « Oh quel bon chapitre ! La vache, quelle belle phrase ! Quel bon écrivain, ce mec ! ».
O : Et toi, qu’est-ce que tu veux que les gens se disent ?
M : Mais rien ! Surtout rien ! Je veux que tu sois happée. Que tu plonges dans mon histoire. Que tu oublies tout le reste. Que tu rates ta station de bus. Que tu t’endormes trop tard et que tu sois crevée au boulot le lendemain. Á la limite, quand le lecteur se dit « Wah, c’est super bien écrit ! », j’ai perdu. J’ai frimé. J’ai cédé au narcissisme. Je t’ai distrait de ta lecture. Je t’ai fait sortir du rêve. Je me suis planté, quoi !
O : Eh ben en tous cas, ça nous fait un super mot de la fin !
M : Pour les mots, faites confiance à un pro !
O : Qu’est-ce qu’on s’écoute, pour terminer ?
M : Y a du Clash ?
O : On n’a que ça.

Sur les mesures de I Fought The Law, on quitte le placard qui sert de studio, laissant la place à un petit arabe rigolard qui anime une émission de rap.

Odile et moi avons passé le reste de l’après-midi ensemble, à picoler des tequilas dans des bars autour d’une grande place qu’ils ont là-bas, à Montpellier. Le soir, elle m’a invité à bouffer chez elle où attendait… son mec, un costaud rockabilly à banane.

Caramba, encore raté !

Bon, c’est pas tout ça, mais j’ai des pages à z’écrire, moi…

(A suivre)

 

 

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