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ROTTEN ISLAND 01

Publié par le 5 septembre 2020

 

Lecteur, ton appétence pour mes mémoires d’aventure m’inspire le plus époustouflant respect.
Dame, c’est elle qui paye mon rhum !

Alors, il me paraît courtois de te prévenir : il y a de l’amour dans ce qui suit. Attention, je dis bien : Amour. Du vrai, du dur, du grand. Du qui mord le cœur et fait hurler les dents. Mais si tu cherches des bons sentiments, des violons, des doudous, des flonflons, des gnangnans, un conseil : quitte cette page.

L’histoire que j’y narre date de l’alentour de mes trente ans.
A cet âge, je me satisfaisais d’être Haig le dur.
Haig le bagarreur.
Haig le sans-pitié.
Brute redoutée, je m’appliquais à tracer mon chemin en usant de la torgnole et du godillot, du couteau à l’occasion, semant sur mon passage gueules et os cassés, balafres de ci de là, partant du sain principe que, si je n’éprouvais pas de respect pour les tyranneaux, les tyrannisés ne m’en inspiraient guère plus.

(Quant à Pearl Mama, ma perle, ma belle cinglée, puisse un bon Diable choyer son âme chantante, dans le genre dure à cuire, elle n’était pas mal non plus !)

Quand cet important chapitre de ma turbulente existence a commencé, j’exploitais un gisement aurifère dans le Sarawak, la partie malaise de l’île de Bornéo.
Mon campement étalait sa fange sur quelques dizaines d’ares en bas des monts Kapuas, le long des berges d’une rivière, affluent d’un affluent d’un affluent du fleuve Batang.
J’ai oublié son nom. Si elle en avait un. Et si je l’ai jamais su.
J’étais bandit, putain de dieu, pas cartographe !

Autour de moi, la jungle.
Épaisse, la forêt. Fermée. Invivable.
Des troncs géants serrés les uns contre les autres, mur de mastodontes verdâtres avec entre eux des embrouillaminis de buissons aux épines géantes et des fatras de plantes gorgées de flotte.
Une végétation si vivace que, tous les deux ou trois jours, je devais désigner parmi mes hommes une corvée chargée de couper les pousses nouvelles qui tentaient de revenir bouffer les bords de notre cloaque.
Il pleuvait là-dessus comme vieille qui pisse.
Plusieurs heures par jour. Dru. Serré. A rafales claquantes sur les feuillages, les hommes et les âmes.
Détrempant tout. Moisissant ce qui pouvait l’être. Pourrissant les tissus et les vivres. Flétrissant les peaux.
D’après mon voisin le vieux Punan, il existait une saison sèche, entre novembre et février. Mais je ne suis pas resté assez longtemps pour le vérifier.
Fallait-il que la terre suintât l’or comme une plaie son pus pour que je m’attardasse dans cet enfer. Pour que même je hasardasse mes bottes en cette pénible contrée !

Je ne l’avais pas trouvé, mon gisement…
C’était un Hollandais qui s’en était chargé. Un type d’à peu près mon âge, une andouille, un fils de famille aisée, sorte de grand boy-scout qui voulait tutoyer Dame Aventure sans être taillé pour elle.
Il avait prospecté tout seul comme un grand, trouvé l’or, recruté deux costauds malais, défriché le coin, construit une cabane et commencé l’exploitation.
Brave Batave.
Je lui tombai sur la gueule par une approche du crépuscule, alors qu’en compagnie de ses deux aides il se délectait d’un rata de corned-beef et de fayots sous un auvent de toile tendu devant leur cagna.
Je me présentai d’une rafale de M16 dans la cloison et d’une autre à leurs pieds. Puis, comme un des deux balèzes m’attaquait, machette au poing, je lui infligeai une raclée à coups de pelle avant de lui enfoncer le canon de mon arme dans la bouche.
– And now what ?
Le trio débarrassa le plancher le soir même, le Hollandais soutenant son sbire amoché. Bon prince, je leur laissai emporter l’or qu’ils avaient récolté. L’un d’eux, sournois bâtard, profita de l’obscurité pour saboter le groupe électrogène qu’ils avaient monté jusqu’ici – à grand peine, sans nul doute.
J’attendis une dizaine de jours une tentative de reconquête de leur part. Ou au moins des représailles.
Rien ne vînt.
Concluant que mon planteur de tulipes avait abandonné son bien à mon profit, je déclarai le filon mien et fêtai l’évènement en vidant un cruchon de schiedam que ce beau petit pigeon avait oublié dans la cabane.

Bien qu’il n’y eût pas de ruée vers l’or à proprement parler, la nouvelle de la présence de métal jaune dans la région s’était répandue dans Bornéo, le reste de l’archipel et le monde.
La petite ville de Kapit, à une cinquantaine de kilomètres en aval de mon gisement, avait connu le brusque développement qui accompagne toujours ce genre de nouvelles.
En premier avaient rappliqué pour se disputer les quelques chambres de l’unique hôtel du bled des prospecteurs professionnels et des représentants de compagnies minières.
Ces gens-là ne me concernaient pas.
Il y avait aussi quatre ou cinq lascars de mon espèce, l’œil dur, le corps aux aguets, la castagne dans leur ombre.
D’eux non plus je n’avais rien à faire.
Avec ces pirates-là, il n’y avait que deux solutions : l’alliance, tope-là, à la vie à la mort, cochon qui s’en dédie, mais je n’étais pas d’humeur partageuse ; ou bien le duel, la bagarre de fauves, au plus pourri les mains pleines, mais j’avais plus envie de m’enrichir que de me battre.
Dans leur sillage était apparue l’habituelle smala des tenteurs de chance, tricards, bons à rien, fainéants, le plus souvent en bisbille avec la loi dans leur patelin d’origine, qui grenouillent toujours aux alentours du métal jaune.
Eux, ils m’intéressaient.
A coups de biftons glissés dans les paumes et de promesses que je n’avais pas l’intention de tenir, j’en recrutai quinze :
Trois maquereaux de Kuala Lumpur en cavale ; dix Indonésiens, la plupart javanais, qui traînaient illégalement en territoire malais ; et deux métis papous forts comme des bœufs et cons comme des ânes qui venaient d’Irian Jaya.

Disposant d’assez d’hommes à épuiser, je n’avais guère investi dans le matériel. Mon exploitation était rudimentaire, bricolée avec les ressources du coin, c’est-à-dire du bois, de la corde et du cœur à l’ouvrage.
Il s’agissait pour l’essentiel de deux canaux de planches montés sur des sortes de portiques que je faisais placer de chaque côté de la rivière, réglés de façon à ce que leur fond affleurât pile-poil à la surface de l’eau.
Une équipe armée de pelles puisait le gravier aurifère au fond de la baille et versait chacune des pelletées dans cette sorte de passerelle où elle s’écoulait, poussée par le courant. Deux ou trois autres types fouillant des deux mains dans ce flot boueux, triaient cailloux et éventuelles pépites, aidés en cela par des pans de moquette qui, fixés au fond des canaux, ralentissaient de leurs fibres le flux du gravier et retenaient les morceaux d’or.
Tout à l’huile de coude et au sang de pogne. Pas de mercure : j’étais exploiteur, pas pollueur.
Cette saleté de moquette avait été l’élément le plus difficile à trouver, dans ce coin perdu. Il m’avait fallu retourner à Kapit où je l’avais extorquée à coups de menaces de mauvais traitements assorties d’un gras paiement au docteur du bourg. Ce sympathique corniaud, que l’afflux de chercheurs d’or enrichissait, répondant aux exigences de sa femme, venait d’aménager sa maison à l’occidentale : climatisation, salon, cuisine équipée, papier peint aux murs et autres fadaises.
Bon et généreux toubib qui, depuis, devait recevoir ses hôtes dans un living-room au sol de ciment nu !

J’avais fait prolonger la cabane du Hollandais de deux préaux aux toits de palmes et sols de branches alignées bord à bord, avec nombre de piliers pour y tendre des hamacs.
Je n’irais pas jusqu’à dire que c’était confortable, mais au moins mes gars y étaient presque au sec.
De toutes façons, vu le régime que je leur imposais, des douze à quinze heures à pelleter de la rocaille en barbotant dans du limon furieux, ils étaient si crevés le soir qu’ils auraient dormi à même la boue s’il l’avait fallu.

Pour ma part, je logeais dans une cahute juchée à six mètres du sol, posée sur un plancher tendu entre deux arbres, auquel j’accédais au moyen d’une échelle de corde.
Celle-ci relevée, je me trouvai en sécurité, capable de faire face tant à une attaque extérieure qu’à une révolte, et pouvais, de mon perchoir, surveiller tout le reste du campement.
C’est là que j’entreposais mon M 16 et un vieux fusil de chasse acheté à Kapit, les munitions et une caissette d’acier fermée par deux cadenas, mon or en pépites et en paillettes serrées dans un vieux sac plastique.
C’est là aussi que je roupillais, au creux d’un hamac à moustiquaire tendu entre les deux murs. Là que je mangeais, la plupart du temps, sauf les soirs où je descendais partager la ragougnasse de mes bagnards. Là enfin que je tentais de tuer le temps en lisant El Ingenioso Hildago Don Quijote De La Mancha de Miguel de Cervantes, une édition en espagnol rapportée d’un récent séjour au Paraguay que l’humidité ambiante avait fait tripler de volume.

Malgré notre isolement, nous avions tout de même des voisins.
Les premiers, à moins de cinq cents mètres en amont, étaient une famille d’orangs-outangs : le père, un géant qui atteignait les deux mètres de haut ; une femelle, à peine moins imposante ; et un petit d’environ quatre-vingts centimètres, qu’on voyait le plus souvent lové dans les bras de sa maman.
Ils avaient leurs habitudes dans les hauts branchages d’un bosquet d’arbres gris au feuillage très serré, qui produisaient des sortes de petites baies noires dures comme du caillou. Parfois, ces messieurs-dames les primates venaient jusqu’aux abords du gisement et observaient longuement notre activité, à demi dissimulés dans les fougères, avant de tourner leur vaste dos et de disparaître dans l’épaisseur de la végétation.
A leur première visite, l’un des Javanais, apeuré, avait ramassé une pierre et levé le bras pour la lancer dans leur direction.
Une baffe suivie d’un coup de pied au cul de ma part l’en avait dissuadé et, depuis, j’avais interdit tout geste agressif envers eux.
Qu’on ne voie pas dans cette attitude de la sensiblerie animalière. J’étais chercheur d’or, pas protecteur des espèces. Si une quelconque emmerde nous avait réduit à la famine, j’aurais descendu sans sourciller toute la famille pour les transformer en kilos de singe miroton. Mais à proximité du bosquet gris qui leur servait d’habitat coulait un mince ruisseau alimenté par la seule source d’eau claire du coin. Si je voulais que l’équipe chargée de jerrycans que j’y envoyais chaque jour en revînt entière, j’avais intérêt à ce qu’on soit copains, papa orang-outang et nous.

Les autres voisins étaient une famille d’une douzaine de Punans qui occupaient une longue maison communautaire à un kilomètre en aval, en un endroit où, le terrain s’aplanissant en une terrasse naturelle, la rivière formait un étang d’un joli vert bilieux.
Le père et chef de cette petite tribu était un petit homme auquel je donnais entre cinquante et soixante ans, maigre et musculeux, qui, se foutant de la pluie comme de sa première fléchette empoisonnée, était éternellement vêtu d’un vieux short coupé dans un jean, laissant voir un torse recouvert de tatouages bleus tarabiscotés.
Son visage, très ridé, avec deux profondes crevasses aux côtés de la bouche, était affublé d’oreilles aux lobes très longs, déformés par des dizaines d’anneaux en argent qui y étaient suspendus.
Ce brave homme survivait des pièges qu’il posait avec ses fils, de la chasse qu’il pratiquait à la carabine, de l’élevage de deux ou trois cochons dans un enclos de bambous et des produits de deux petits champs de riz de forêt et de légumes attenants à sa baraque.
A quoi s’ajoutaient les maigres bénéfices qu’il se faisait en vendant aux rares touristes de Kapit des fausses sarbacanes et des coiffes prétendument traditionnelles que tissaient les femmes du logis : la mère, la femme et les deux filles.

Aux premiers jours, alors que je guettais encore une réaction du Hollandais, j’étais allé lui rendre visite, en bon voisin soucieux des usages ainsi qu’en bon flibustier désirant savoir si le gars d’à côté allait être un allié ou un problème.
Le vieux avait craché par terre et vitupéré en malais :
– Ptfiu ! Hollandais tak baïk, pas bon, ptfiu !
J’étais fixé : c’était un malin et un hypocrite, qui avait sûrement ciré les bottes du Batave avant, sachant sentir le sens du vent, d’entreprendre de lécher les miennes.
– T’as raison, mon vieux, fis-je. Maintenant, c’est moi le patron de l’or, là-haut, compris ?
Il m’avait gratifié d’un regard de faux cul par en dessous, soufflé au visage une bouffée d’un tabac noir puant comme cent charognes.
– Hati-hati, di sini mengara mati. Attention, ici, c’est le territoire des morts…
Il tenta de m’expliquer que le coin était sacré Ô combien, avec des âmes d’ancêtres qui dansaient la faridondaine, plus des dieux et des démons à qui il fallait faire des offrandes et que, comme ça se trouvait, il était justement sorcier, habilité à recevoir lesdites offrandes.
Je lui rétorquai que les âmes errantes constituaient un de mes petits-déjeuners favoris et qu’en outre, compatissant devant le poids qu’il trimballait au bout des oreilles, j’étais prêt à les lui couper ainsi que, accessoirement, à bouter le feu à son gourbi.
Il se récria :
– Toi pas compris ! Pas problème toi et moi…
– Pas compris ?
– Toi et moi bons amis, bons amis, bons amis…
– Bons amis, hein ?
– Très bons amis !

Cinq semaines avaient passé.
Je commençais à m’emmerder ferme.

A toi qui me lis, quelque part dans une civilisation quelconque, j’imagine qu’un mois et des poussières, ça ne te paraît pas si long.
Crois-moi : en jungle, ça l’est.
La boue dans laquelle tu patauges à longueur de jour a fini par imprégner tes bottes, tes chaussettes, tes fringues, ton calbar, tes cheveux et même ta peau.
Quand tu ne crapahutes pas sous la pluie battante, tu erres dans des brumes qui te trempent aussi rudement que la plus forte averse, ou bien, quand les nuages s’éloignent et que le soleil tape la clairière, tu nages dans un air poisseux, presque solide, qui t’enveloppe comme un cataplasme et te brûle la poitrine à chaque inspiration.
A tout moment, tu te coupes et te fais griffer aux tranchants des feuilles ou aux épines. Tes bras, tes joues, ta poitrine sont des entrelacs de fines plaies qui, dans cette atmosphère humide, mettent un temps infini à cicatriser, quand elles ne se mettent pas à suinter du jaunâtre.
Les moustiques sont gros comme des mouches, armés de dards de guêpes. Des cafards volants te mordent la face. Des chenilles géantes te choient dessus, t’infligeant des brûlures de méduses. Des insectes microscopiques et des vers s’incrustent entre tes orteils, derrière tes oreilles et sous tes couilles, rongeant ta chair, s’agglomérant en furoncles, te rendant fou.
Ajoute à ça que tu te nourris de dégueulasseries en conserve qui te font péter du pas soupçonnable, que tu ne dors que par intermittence et que des fièvres d’une sorte ou d’une autre t’abattent sur ton grabat au moins un jour par semaine.

Déjà, je n’avais plus que dix hommes.
Trois Javanais avaient déserté, et aussi les deux brutes d’Irian Jaya.
Le matin où j’avais constaté la disparition de ces derniers, les gars arboraient des sourires en coin et se poussaient du coude en ricanant sous cape.
– Qu’est-ce que vous avez à rigoler comme ça ?
– Rien, patron, rien…
– Si c’est comme ça, j’en prends un au hasard et je lui cogne dessus jusqu’à ce qu’il cause !
J’appris alors que les deux Papous me volaient des pépites à chaque fois qu’ils en avaient l’occasion, les avalaient et les récupéraient plus tard dans leurs excréments. Quand le pactole accumulé d’aussi élégante manière leur avait paru suffisant, ils avaient pris la poudre d’escampette.
Comme quoi ils n’étaient pas aussi cons qu’ils en avaient l’air !
De toi à moi : l’histoire me faisait plutôt marrer.
Je respectais la malice dont les voleurs avaient fait preuve et trouvais normal qu’on cherchât à filouter un dictateur de ma sorte. Mais je me lançai quand même dans une colère spectaculaire, frappant les arbres à coups de machette, distribuant des coups de poings dans les côtes et renversant du pied la gamelle du repas, tout en meuglant des insultes.
Tu me comprends, j’espère : il ne fallait pas que les corniauds qui me restaient s’avisassent d’imiter leurs copains gobeurs-cagueurs. À l’enfoiré que je me flattais d’être, le manque à gagner eût été insupportable.

– Mon vieux Haig, tu ferais mieux de lever l’ancre avant de te changer en statue de boue…
Voilà ce que je me disais, ce jour-là, assis à la trappe d’entrée de ma cabane, les pieds ballants dans le vide, surveillant les silhouettes rendues floues par la pluie de mes gaillards au boulot, mon Cervantes sur les cuisses, le M 16 posé à côté de moi.
– Dans la caisse, poursuivais-je intérieurement, il y a dans les trois kilos d’or, ce qui fait, bradés dans la première ville digne de ce nom, entre cinquante à soixante mille dollars, soit, si tu sais toujours compter, largement de quoi te mettre au soleil sur une plage avec de la bonne gnôle et des donzelles pas regardantes de la vertu…

J’en étais là de mes réflexions quand apparurent à l’orée de la clairière les Punans en file indienne qui apportaient, suivant l’accord que j’avais passé avec l’ancêtre, notre ravitaillement hebdomadaire.
Le pépère ouvrait la marche, à poils à part son short, avec ses plumes dans les cheveux et ses lobes d’oreilles qui battaient la mesure, son escopette de chasse au poing.
Derrière venaient trois de ses fils, l’un armé d’un arc, les autres de machettes.
Enfin l’épouse et les deux filles, chargées de mes marchandises, riz et fayots, pétrole pour les lampes, bonbonnes d’alcool de riz et autres douceurs, qu’elles trimballaient sur leur dos dans des hottes d’osier tenues par des sangles à leurs fronts, comme des sherpas de montagnes.

Ce jour-là, en plus des silhouettes familières, il y en avait deux autres : une petite ronde et une grande maigre, toutes deux recouvertes d’un poncho de plastique rose bonbon à capuche pointue.
– Qui c’est ces gugusses ? marmonnai-je.
J’attrapai mon fusil, l’armai, le levai, crosse à l’intérieur du coude.
Le père Punan s’approcha et me héla, la main levée :
– Tuan Haig, ada orang mau bahasa sama kamu (Seigneur Haig, il y a des gens qui demandent à te parler) !
Le plus grand de ces lutins roses s’approcha et se décoiffa, dévoilant une chevelure poivre et sel ébouriffée et un visage osseux traversé du menton au front d’une fine cicatrice sinueuse, blanche sur la peau bistre. Sa silhouette maigre et sa poitrine plate me firent croire que c’était un type, mais la voix étrangement flûtée et mélodieuse me détrompa aussitôt. C’était une femme.
(Chulo, comme je l’appris plus tard. Chulo la Cubaine. Chulo la lesbienne. Chulo l’amoureuse. Chulo la musicienne. Chulo la mère maquerelle !)
– C’est toi Haig ? demanda-t-elle.
– Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
La petite silhouette large s’approcha à son tour et rabattit sa capuche en arrière, découvrant un large visage couleur d’acajou, une crinière noire, avec au milieu de tout ça, tenus enfermés par deux trios de rides symétriques, une paire d’immenses yeux sombres qui avaient l’air de rigoler.
Une seconde femme, qui parût à mes yeux aussi gironde et plaisante que l’autre grande bringue sans nichons m’avait hérissé le poil au premier regard.
Elle sourit, découvrant tout un tas de grandes dents blanches solides et ce sourire-là me fit l’effet d’un rayon de soleil qui aurait traversé la grisaille, la pluie, la crasse et la boue pour venir se poser, chaud et gai, au sommet de mon coeur.
– On m’appelle P-P- Pearl Mama.
Je posai le M 16 en travers de mes cuisses.
– Pearl Mama, hein ?
– Pearl Mama. Je suis une chanteuse.
– Et alors ?
– Alors j’ai une idée folle à te p-p-proposer.

 

(À suivre)

 

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