Il est là. Il est encore là. Il me remplace pour toute la période des fêtes, des faites-donc, des défaites, des refaits, des faits-ne-sont-plus-z’à-faire. Chaque lundi il sera là, l’Ami Olivier, le brindezingue de la dialoguerie démente. Accrochez-vous au touch-pad, Olivier enlève tout le reste !
Un baraqué barman (qui fait aussi le videur) dépose trois boissons sur la table :
– une pinte de lave sanguine en fusion pour Lucifer ;
– un cocktail à base de semence de taurillon et de purée de rognons confits pour Madame Claude ;
– un bol de stéroïdes en gelée noyés dans du calva pour Gandhi.
Lucifer :
À la mauvaise heure !
D’autorité, il se laisse tomber près de madame Claude sur le divan.
Madame Claude (sursautant) :
Oups !… Ça me rappelle le bon temps.
Lucifer lui jette un regard gourmand et sourit. Gandhi, qui a hérité du pouf de l’autre côté de la table basse, les observe l’un après l’autre.
Gandhi (après avoir haussé les épaules) :
Bon, on s’lance ? Les dames d’abord ?
Lucifer ne quitte pas des yeux sa voisine. Il la surveille comme une casserole de lait sur le feu (d’enfer). Il attend quelque chose, c’est sûr. Gandhi jette un coup d’œil sous la table.
Gandhi (se récriant) :
Bon ben si tu n’arrêtes pas de la tripoter, j’me casse. Tu crois que j’te vois pas ? Ramasse ton appendice vertébral, qu’elle arrête de glousser.
Le diablotin ré-enroule la longue queue rouge et fourchue autour de son cou.
Lucifer (renfrogné) :
Si on ne peut plus se faire ou faire plaisir …
Gandhi :
Merci. (Il se tourne vers sa voisine). Alors, parle nous d’toi. T’as fait quoi pour devenir une icône des maisons closes ?
Madame Claude (tirant sur sa jupe en se dandinant, ce qui n’est pas facile quand on est assise) :
Petite introduction avant de tout déballer, si vous le permettez. Figurez-vous que depuis toute petite j’ai voulu être bonne sœur. Alors, un jour que je visitais un couvent, histoire de prendre la température, j’ai piqué une tenue dans les vestiaires. Je me suis changée dans les toilettes publiques de la place des Batignolles et je suis allée voir les restos du cœur. Début de l’histoire. Et toi, mon Lulu, raconte, tu faisais quoi avant ?
Lucifer (après avoir reniflé les enivrants effluves du bout de sa queue) :
Vous n’allez pas le croire, mais j’ai commencé comme infirmier.
Madame Claude, Gandhi (en chœur) :
Naaaaaan !…
Lucifer :
Je soignais les anges blessés au combat et vous n’imaginez pas les trucs que les forces du mal sont capables de faire. J’en ai régulièrement gerbé mes quatre-heures. À force, on pense qu’on va s’y faire, mais que dalle… (Il soupire et s’envoie la moitié de son verre) À toi, Gandhi, dis-nous tout.
Gandhi :
Ben moi, pendant plus d’dix ans, j’ai été catcheur …
Lucifer (s’étranglant) :
Quoi ? Toi ?…
Il pousse des cris d’âne qu’on marque au fer rouge.
Lucifer :
T… T… Toi ? Catcheur ? Avec t… t… ton physique ? T… t… tu rigoles !
Gandhi (railleur) :
La Lucha Libre, tu connais, pingouin ? Pas b’soin d’être bodybuildé pour la pratiquer. Qu’on m’appelait « Le Léopard Volant ».
Madame Claude (croisant ses longues jambes gainées de soie) :
Ce n’est pas un peu violent le catch ? Je te voyais plutôt gardien de moutons…
Gandhi :
Tu dis cela rapport au côté baba cool d’ma deuxième période. La Lucha Libre n’est pas à proprement parler violente. C’est du spectacle. On fait des cabrioles. C’est réglé, synchronisé au p’tit poil…
Madame Claude (se tortillant de nouveau) :
Lucifer, merde, tu ne peux pas rester tranquille un moment ? Quand ce n’est pas ta queue, ce sont tes pieds de bouc. Arrête ça ! Dis-nous plutôt pourquoi tu n’es pas resté infirmier ?
Lucifer :
Déjà, aucune reconnaissance du travail accompli. Tu bosses, un point c’est tout. Deuxièmement, rafistoler des têtes coupées, des membres arrachés, des boyaux en veux-tu en voilà, y-a mieux dans la vie.
Madame Claude :
On dit pourtant que les bonnes actions sont toujours récompensées …
Lucifer (avec un ricanement, euh, diabolique) :
Que tu crois ma belle ! En haut, pas de congés payés, pas de primes, pas de tickets restaurant. Tu tires, euh, Moi par la queue.
(À ce dernier mot, Madame Claude pouffe, deux doigts sur les lèvres)
Lucifer :
Alors quand j’ai vu qu’il y avait un poste à pourvoir aux enfers, j’ai foncé.
Gandhi :
Mais enfin, c’est l’enfer !
Lucifer (dédaigneux) :
Pas pour moi. Avant, je rafistolais le boulot des autres. Maintenant, je torture à mon idée et les sujets se réparent tout seuls pour que je puisse recommencer après cicatrisation. C’est du gagnant-gagnant !
Madame Claude (pensive) :
Je suis d’accord avec toi. Je me rappelle que dans le temps, même quand je portais le voile, il y avait des mains baladeuses, des regards vicelards, des sous-entendus. J’ai vite compris que des bourses vidées rapportent plus que des ventres pleins. Après, dans mes maisons, je pratiquais les deux.
Lucifer (la queue raide) :
T’étais sûrement bonne en bonne-sœur. T’es toujours bonne en Madame Claude. Ça te dirais, un p’tit coup d’enfer ?
Madame Claude :
Oh mon Lulu… Tu me chauffes déjà, comment pourrais-je refuser ? Mais notre Léopard Volant ne nous a pas tout dit …
Gandhi :
C’est vrai, j’ai pas fini d’expliquer…
Lucifer (sortant de ses sales gonds) :
On s’en fout de toi et de ta non-violence de mes deux ! Moi, je ne peux pas piffer les glandus dans ton genre ! Dans la vie, faut pas tendre l’autre joue pour se prendre une deuxième beigne ! Et tes foutues marches pour la paix, eh ben elles font mal aux pieds !
Gandhi :
Mais …
Madame Claude :
Oooooh…
Lucifer fait apparaître un gouffre infernal au milieu de la table. Il prend madame Claude dans ses bras velus.
Lucifer :
Viens ma belle, on se casse. Laissons ce guignol, je suis chaud bouillant. Je vais ré-ouvrir ta maison close. Avec plein de déguisements. J’ai toujours rêver de goûter une religieuse en chair et en os.
Il saute dans le trou qui se referme avec un bruit de plaque d’égout.
Madame Claude (voix off qui s’éloigne dans les tréfonds) :
Lulu, grand fooooouuuuu !!!…
Gandhi (après quelques secondes d’ébahissement, regardant le plafond) :
Ben, et moi ? Alors là-haut, vous dites rien ?
Il finit son verre, hausse les épaules devant l’absence de réponse, se lève et se dirige vers la sortie.
(La séquence suivante se déroule au ralenti)
1er mouvement : le baraqué barman (qui fait aussi le videur) abat sa main sur l’épaule de Gandhi.
Le baraqué barman (la voix déformée par le ralenti) :
Eeeeeeeh… Ressssquiiiiiilleueueurrrrrr…. Eeeeeeet llll’aaaaddddiiition ?
2ème mouvement : Gandhi place sa main droite sur la main gauche du videur, en saisit le pouce et le retourne délicatement en reculant la jambe droite.
3ème mouvement : le baraqué barman (qui est aussi videur) grimace de souffrance. Il bascule irrésistiblement vers la gauche. Gandhi en profite pour l’aider à tomber puis à rouler sur son flanc.
4ème mouvement : Le petit homme garde en main le pouce tout en tournant sur lui-même. Cette rotation de 360 degrés lui permet de déboîter sans effort l’épaule du baraqué videur (qui est aussi barman).
(Fin du ralenti)
Le baraqué barman (gémissant) :
Gandhi, c’est ça que tu appelles la non-violence ?
Avec un sourire poignant de nostalgie, le Léopard Volant bondit vers la sortie.
(À suivre)