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SERGIO

Publié par le 12 avril 2018

 

Dans ce blog existe une rubrique qui s’appelle « Kampuchea Songs », dont la matière première est de photographies que prit au Cambodge dans les années 90 / 2000 mon ami le reporter, l’imageux, le peintre en argentique, l’artiste, Serge « Sergio » Corrieras.

Un an durant, on a connu le plaisir immense de bosser ensemble, lui dans sa petite maison de Gironde pleine de livres et de disques de blues, moi dans ma chaumière des forêts de France Comté. On se téléphonait pendant des heures, la nuit le plus souvent, on sélectionnait les photos, il me parlait des instants où il avait appuyé sur le déclencheur, je lui évoquais les poèmes que j’allais en tirer.

L’affaire prenait du temps, imaginez : entre deux blagues on se racontait des souvenirs sans réel rapport avec le sujet, on s’écoutait une tranche de blues, on déclamait un passage de la Divine Comédie de Dante qu’il connaissait par cœur, en français comme en italien, ou bien un poème de Jehan-Rictus qu’il m’avait fait découvrir. Et puis, aux deux bouts de la ligne, derrière nos rires, résonnait le glouglou du cubi remplissant nos verres de ce bon vin rouge que nous aimions tant.

Bien sûr, de Kampuchea Songs, ce mêlé inventé de texte et d’images, nous espérions en tirer un jour un livre. Mais bast, les quelques éditeurs que nous avons réussi à contacter nous ont grimacé au nez, de haut toisés, ont ricané sous cape. Pensez : deux vétérans d’une guerre terminée, oubliée, barbus et ridés, ivrognes de surcroît, allons, messieurs, vous êtes bien sympas mais qui s’intéresserait à ça ?

Si ce livre rêvé vient un jour au jour, l’ami Sergio ne le verra pas.

Il est mort avant-hier, seul dans sa cour, d’un trop plein de souvenirs, de morts sur les trottoirs de Phnom Penh, de morts sur les bords des rizières, de morts, de morts de fous, de morts d’amis, d’un trop plein de rires, d’un trop, d’un trop, d’un trop plein d’amour, d’un trop plein de vie.

Il laisse sur cette sale vieille terre sa fille, Asia, le grand amour de son existence, ses parents, qui l’ont soutenu contre mauvais vents et méchantes marées, sans doute ce jour abasourdis de se retrouver soudain orphelins à l’envers, deux frères dont il ne parlait qu’avec des lumières dans la voix.

Des centaines de copains qui, du monde entier, envoient sur la toile leurs hommages éberlués.

Et moi, qui chiale.

Alors, s’il vous plait, si vous m’aimez un peu, cherchez dans le menu du haut de cette page la rubrique « Kampuchea Songs », cliquez, allez y faire un p’tit tour, prenez le temps de regarder, vraiment regarder, ne serait-ce qu’une parmi les centaines de belles images qui s’y trouvent, et comprenez combien Serge Corrieras, mon ami, était un grand photographe.

Sifflez entre vos dents. Secouez la main de haut en bas. Dites : « ouh là là, ça c’est du bon travail ».

Qui sait, peut-être qu’il vous entendra.

Ciao mon Sergio.

 

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