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Un grand poète

Publié par le 11 avril 2017

 

« Ainsi font, font, font
les petites baïonnettes
quand y a Grève ou Insurrection,
car ainsi font, font, font
deux p’tits trous…. et pis s’en vont. »

Fallait l’trouver, pas vrai ?

Un petit cadeau que nous envoie Serge « Sergio » Corrieras, (dont les fidèles de cet électronique lieu savent les « Kampuchea Songs »).
Des poèmes de Jehan-Rictus dont, bon pain comme j’sus, j’t’en a sélectionné trois.
Jehan-Rictus était clochard.
Il connut la gloire – la mince gloire des poètes, s’entend – dans les années 1900 en poétant dans la langue du pavé.
Pour en savoir plus, l’ami, clique Wikipedia. J’sus n’écrivain t’et canaille, point n’agrégé eud’lett’ !


L’Étrangleur

Je l’ai apaisée,
la Vieille, la Vieille,
et j’ai ratissé
son jaune et son blanc.
— « Toc toc ! Débouclez,
c’est h’un babillant
que vous a torché
votre jeune amant ! »

Cric, crac… J’ m’ai filé
dans l’appartement,
et hop ! j’ai serré
la Vieille lisant.

« Rrrâh !… » a veut r’nâcler !
— « Gueulez pas, Moman ! »
Mais all’ me gratigne
et me mord au sang.

Crott’ ! j’ai pus r’gardé,
j’ai foncé dedans,
et j’ vous l’ai emm’née
tout comme un bêlant.

Choppe un égledon,
Yi fous dans les dents,
et j’ m’allonge ed’ssus
un petit moment.

Ah ! la vieill’ carcasse,
ah ! le vieux carcan !
Comme y ressautait
son vieux Palpitant.

Riboule des châsses
la Vieille râlant
et pis… c’est gagné :
la v’là qui s’ détend.

Lardé les puciers
faussé les meublants,
riflé ses talbins
et ses frétillants.

Vrai, moi que j’ f’rais pas
d’tort à eun’ volaille,
c’était du travail
pour un débutant.

Tout ça pour ma largue ;
j’ suis pas regardant.
Bah ! y faut qu’un coup,
Charlot nous attend.

Pauv’ vieill’, pauv’ Mémée
a t’nait aux z’argents
et c’est, par le fait,
ma mistonne aimée
qui n’a ses limaces
et ses décorans.

Mais d’jà d’pis quéqu’ temps,
au fond d’ mon sommeil,
y m’ sonne à l’oreille
loin… comme eune enclume.

Alors, ça m’ réveille :
et j’arr’vois la Vieille,
la garce de Vieille,
la Vieill’ qui m’allume
avec ses yeux blancs.

À moi ! Ah !… j’étouffe,
j’ suis piqué, j’ suis loufe,
on veut m’ faire au quique ;
c’est chacun son tour.

Qu’il y vienne el’ mec
qu’en veut à ma tronche,
j’y f’rai avaler
un bout d’ ma rallonge,
chacun ses z’ognons
et moi mes amours.

Les garçons d’ mon poil
y leur faut d’ la cuisse
du treffe et du caire,
car c’est pas malin
de n’ pas d’venir pègre
quand qu’on a l’ ventr’ plein,
le morlingue au pèze,
et ça d’pis toujours.

 

Berceuse pour un Pas-de-Chance

Do mon pétiot ; do ma tototte….
Te viens d’ t’effondrer su’ l’ crottoir
comme un bestiau à l’abattoir
ou comme un qui s’rait en ribotte.

V’lan ! Nib de fieu ! Floc ! Never more !
Les passants caus’nt : « C’est h’yeun’ syncope,
faurait l’ poser chez l’ pharmacope ! »
Toi… tu caus’s pas, pisque t’es mort.

Un Mossieu qu’a un beau pardosse
dit : « J’ la connais c’est du chiqué ! »
Toi, tu t’ostin’s à fair’ la rosse
et tu t’ tais pisque t’es claqué.

Ton bloum pisseux roulé à terre,
ta p’lur’, tes tifs en escaïers,
tes sorlots qui montr’nt tes doigts d’ pieds
font croir’ qu’ t’es pas un meuyardaire.

Voyons un p’tit peu c’ qu’y t’a pris ;
on t’ lèv’, on ouvr’ ta requimpette,
v’là qu’on voit qu’ t’avais pus d’ liquette
et qu’ tes boïaux sont vert-de-gris.

Oh ! ça fait voir d’ quoi t’es crevé ;
chacun se z’yeute avec malaise,
le Mossieu lui… s’ tire à l’anglaise
du temps qu’on t’arr’couch’ su’ l’ pavé.

Do rataplan ! Do Mad’moiselle…
de loin, légers comm’ des gazelles
deux sergots s’amèn’nt essouflés,
la gueul’ pleine de « Circulez » !

T’as d’ la veine d’êt’ cuit, autrement
qué qu’on t’ pass’rait dans l’ genr’ mandales
pour t’apprendre à fair’ du scandale
et « causer des rassemblements » !

C’mment mon pauv’ vieux, en plein Paris,
à deux pas des chouatt’s devantures
t’es clamsé faute ed’ nourriture ?
Pas possib’, c’était h’un pari !

Tu sauras qu’ c’est pas comme y faut,
qu’ ça s’ fait pas en not’ « temps d’ lumière »
et qu’ les ceuss’ qui dis’nt el’ contraire,
c’est d’ la grain’ d’anars et « d’ Bonnots ».

T’as donc pas pu te mette huissier,
proprio, barbot, financier ?
T’as empoyé ton ézistence
à rester parmi les « Pas-d’-Chance » ?

Sûr qu’avant d’en arriver là
t’as dû t’ cogner à ben des seuils,
pus d’eun’ fois rester chocolat,
le ventre vide et l’ cœur en deuil.

C’est donc ça qu’ t’as pas l’air content,
qu’ t’as su’ la tronche un mauvais rire ;
en sombrant quoi c’est qu’ t’as pu t’ dire
si la Mort t’en a laissé l’ temps ?

Tu t’es p’têt ben revu p’tit gas
quand, au retour de l’atelier,
ton Pepa t’ prenait dans ses bras
en t’ disant : « Bonïour mon salé ? »

Au temps des preumières quenottes
où ta Moman se saoulait d’ toi
en t’app’lant : « Mon trésor, mon Roi,
mon cien-cien, mon loup, ma tototte ! »

Et pis t’ fesait dans les tétés
des papatt’s et des çatouillettes,
et t’inondait de baisouillettes,
du quiqui à la berdouillette
comme eun’ puïe d’orage en été.

Hein, si a t’ voyait là ta Vieille,
A lèv’rait ses pauv’s mains au ciel
en disant : « Moi que j’ l’ai nourri,
y n’est claqué d’ faim, mon petit ! »

Maint’nant t’as p’t-êt’ jamais rien eu
que la Solitude et la Peine,
t’as p’t-êt’ jamais tété, goulu,
que l’ téton mou de la Déveine !

Bah ! à présent, do ma filleule….
Quoi qu’ t’aye pleuré, quoi qu’ t’aye souffert,
te v’là sorti de not’ enfer,
t’es « arrivé », tu t’ fous d’ nos gueules.

Avec eun’ bonne grâce essquise,
les flics te lèv’nt à leur hauteur
et te balanc’nt comme eun’ marquise
d’autrefois, en chaise-à-porteurs.

Les mêm’s, qui t’emport’nt au p’tit trot,
t’auraient truffé d’ coups d’ bottes ou d’ giffes
si t’avais fait grève ou d’ la r’biffe
ou bouffé à l’œil chez Bistrot.

Les passants qui sont cor émus
s’en vont chacun à leu’ z’affaires ;
tout à l’heure y n’y pensaient guère,
à l’estant y n’y pens’ront pus.

Adieu mon p’tit, pars… pour la Morgue.
Tout l’ mond’ peut pas, évidemment,
s’ procurer pour son enterr’ment
les griftons, la grand Messe et l’orgue.

Mais si des fois tu vas aux Cieux
et qu’ tu t’y but’s dans l’ Fils de Dieu,
au nom de nos maigres remords
n’y racont’ pas comment qu’ t’es mort.

N’y dis pas : « J’arriv’ de Paris
moi Seigneur, qu’étais votre Image !
Voilà comme on vous rend hommage,
regardez mes boïaux pourris !

Le turbin a pris ma jeunesse
ma santé, ma joie, mes désirs ;
et vioque on m’a laissé moisir,
seul et nu devant la Richesse.

Et quand à ces gas économes
j’ai d’mandé un peu d’ pain ou d’ pèze ;
Y m’ont cité les “Droits de l’Homme”
et m’ont chanté “La Marseillaise”. »

 

Farandole des pauv’s ’tits fan-fans morts

Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,
les p’tits flaupés, les p’tits foutus
à qui qu’on flanqu’ sur le tutu :

les ceuss’ qu’on cuit, les ceuss’ qu’on bat,
les p’tits bibis, les p’tits bonshommes,
qu’a pas d’ bécots ni d’ suc’s de pomme,
mais qu’a l’ jus d’ triqu’ pour sirop d’ gomme
et qui pass’nt de beigne à tabac.

Les p’tits vannés, les p’tits vaneaux
qui flageol’nt su’ leurs tit’s échâsses
et d’ qui on jambonn’ dur les châsses :

les p’tits salauds, les p’tit’s vermines,
les p’tits sans-cœur, les p’tits sans-Dieu,
les chie-d’-partout, les pisse-au-pieu
qu’il faut ben que l’on esstermine.

Nous, on n’est pas des p’tits fifis,
des p’tits choyés, des p’tits bouffis
qui n’ font pipi qu’ dans d’ la dentelle,
dans d’ la soye ou dans du velours
et sur qui veill’nt deux sentinelles :
Maam’ la Mort et M’sieu l’Amour.

Nous, on nous truff’ tell’ment la peau
et not’ tit’ viande est si meurtrie
qu’alle en a les tons du grapeau,
les Trois Couleurs de not’ Patrie…

Qué veine y z’ont les z’Avortés !
Nous, quand on peut pus résister,
on va les retrouver sous terre
ousqu’on donne à bouffer aux vers.
Morts ou vivants c’est h’un mystère,
on est toujours asticotés !

Nous, pauv’s tits fan-fans d’assassins,
on s’ra jamais les fantassins
qui farfouillent dans les boïaux
ou les tiroirs des Maternelles
ousqu’y a des porichinelles !

Car, ainsi font, font, font
les petites baïonnettes
quand y a Grève ou Insurrection,
car ainsi font, font, font
deux p’tits trous…. et pis s’en vont.

Nous n’irons pas au Bois, non pus
aux bois d’ Justice… au bois tortu,
nous n’irons pas à la Roquette !

Et zon zon zon… pour rien au monde,
Et zon, zon, zon, pipi nous f’sons
et barytonnons d’ la mouquette
su’ la Misère et les Prisons.

Nous, pauv’s tits fan-fans, p’tits fantômes !
Nous irions ben en Paladis
si gn’en avait z’un pour les Mômes :

Eh ! là, yousqu’il est le royaume
des bonn’s Nounous à gros tétons
qui nous bis’ront et dorlott’ront ?

Car « P’tit Jésus » y n’en faut pus,
lui et son pat’lin transparent
ousqu’on r’trouv’rait nos bons parents,

(On am’rait mieux r’venir d’ son ciel
dans h’eun’ couveuse artificielle !)

Gn’y en a qui dis’nt que l’ Monde, un jour,
y s’ra comme un grand squar’ d’Amour,
et qu’ les Homm’s qui vivront dedans
s’ront d’ grands Fan-fans, des p’tits Fan-fans,
des gros, des beaux, des noirs, des blancs.

Chouatt’ ! Car sans ça les p’tits pleins-d’-giffes
pourraient ben la faire à la r’biffe ;
quoique après tout, on s’en-j’-m’en-fous
pisqu’on sait ben qu’un temps viendra
où qu’ Maam’ la Mort all’ mêm’ mourra
et qu’ pus personne y souffrira !

Mais en guettant c’te bonn’ nouvelle
sautez, dansez, nos p’tit’s cervelles ;
giclez, jutez, nos p’tits citrons.

Aign’ donc, cognez ! On s’ fout d’ la Vie
et d’ la Famill’ qui nous étrille,
et on s’en fout d’ la République
et des Électeurs alcooliques
qui sont nos dabs et nos darons.

Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,
les p’tits flaupés, les p’tits fourbus,
les p’tits fou-fous, les p’tits fantômes,
qui z’ont soupé du méquier d’ môme
qui n’en r’vienn’nt pas…

et r’viendront plus.

 

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