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Kampuchea Songs – 06 : Nations Unies

Publié par le 2 mars 2015

 

Photos de Serge Corrieras
Textes de Thierry Poncet et Serge Corrieras

Un ! Deux !… Un ! Deux !…
Gauche !… Gauche !…
Présentez vos armes, bordel !

V’là la cavalerie, les gars…

 UN 01 

Suite aux accords de Paris entre les différentes factions armées cambodgiennes (voir K-songs 04), Il fut décidé aux endroits où ces choses-là se décident que la communauté internationale, qui est bonne fille, au fond, allait déployer sur le territoire cambodgien une mission de rétablissement de la paix.

Retour au calme, à l’amour et la fraternité qu’on confia à des militaires. Ce sont, comme chacun sait, des spécialistes en ces matières.

La mission fut baptisée « UNTAC ».
United Nations Transitional Authorithy in Cambodia.
En bon français (qui est une des deux langues officielles des échanges intra-Nations Unies, ainsi le voulut De Gaulle), ça donne : Autorité PROvisoire des Nations Unies au Cambodge.
Soit : « APRONUC ».
Mais comme c’est une terminaison un rien malencontreuse en langue molièrienne, que d’aucuns ne manquaient d’ironiser en parlant de Monsieur-le-duc, Gazoduc et autres Trouduc, la plupart des gens sur place disait UNTAC.

Ça claque, ça, UNTAC !
Clac, tacatac, clac !…
Mitrailleuse. Martial. Viril, quoi, nom de d’ju !

La mission UNTAC, donc, avait trois objectifs principaux :
– désarmer les factions en conflit ;
– rapatrier les réfugiés qui campaient depuis des lustres sur la frontière Thaïlandaise.
– organiser des élections qui porteraient à la tête du Cambodge un gouvernement légitime.

Traduction du sabir diplomatique : « Les gars, ça fait des décennies que nos gusses casqués de bleu s’embourbent inutilement partout où on les envoie, quand ils ne se font pas massacrer comme au Liban, qu’on est partis pour se planter dans les grandes largeurs en Somalie, alors on vous file une petite guerre finissante dans un bled à la fois tout petit et connu du monde entier, merci les Khmers rouges, mettez le paquet, envoyez le bousin, démerdez-vous, j’attends vos rapports, merci messieurs, rompez ! ».

Et le bousin on envoya.

A ce point, je tiens à préciser, et même à affirmer fortement, et sans ironie aucune, que la mission O.N.U. au Cambodge compta dans ses effectifs nombre de gens extrêmement valables, de vrais soldats honnêtes, braves, acharnés à faire de leur mieux le boulot qu’on leur demandait, animés par une compassion sincère envers le Cambodge et les Cambodgiens.
Seulement, comme dit le proverbe par moi-même à l’instant inventé : A bord d’un rafiot troué, le meilleur des matelots ne peut qu’écoper.

Voici ce que le co-auteur de ces lignes, Thierry Poncet, écrivit à l’époque dans les colonnes du journal en français Le Mékong :
« … Avec eux les soldats de la paix apportent des milliers de voitures automobiles et des camions de transport diesels, des dizaines de milliers de computers électroniques avec tout plein d’Organisation dedans, des remorques et des remorques de groupes électrogènes pour faire marcher les computers électroniques et aussi les réfrigérateurs pour les boissons fraîches et le chocolat, et les climatiseurs et les systèmes de transmission radiophonique et les machines à crachoter du mauvais café.
Ils apportent aussi des bulldozers, des tronçonneuses, des véhicules blindés qui pèsent très lourds et aussi des sortes de camions qui peuvent rouler sur la neige mais ça va aller très bien pour la boue, des pompes à eau hydrauliques, des maisons de tôles à poser par terre, des hélicoptères, des cabinets de toilette en plastique pour s’asseoir dedans et des milliers, des millions, des milliards de kilomètres de papier hygiénique.
Et du matériel pour se soigner et des boîtes de boustifaille toute prête et des trillions de bouteilles de bière et d’alcool.
Dans leur sillage vont bientôt débarquer les compagnons habituels des troupes en armes, les chasseurs de fortune et de rêves, les as de l’import-export avec leurs mallettes en crocodile, les voleurs, les mercenaires, les renards, les chacals, les tricheurs et les putains.
Des poches de tout ce joli monde vont surgir des liasses d’un rectangle de papier vert qui, selon toute probabilité, va devenir  le nouveau roi du coin : le fameux dollar uhesse
… »

 

 

Sur ce pauvre petit pays rendu exsangue par vingt ans de guerre, sans infrastructures, peuplé de misère, ce confetti du bout de l’Asie du Sud-est, cette rustine au flanc du globe, déferlèrent quasiment d’un seul coup d’un seul quinze mille neuf cents (15 900) troufions et officiers venus du monde entier.

Des Français de la Légion Etrangère, dont c’était, disaient-ils, le grand retour en Indochine, et des « marsouins » de l’Infanterie de Marine, la bonne vieille Coloniale, déployés dans le sud, entre Kampong Som, Sre Ambel et Kampot.

Des gendarmes regroupés au sein de la « Civ. Pol. » censés apprendre aux policiers cambodgiens que la corruption, c’est pas bien.

Des Allemands qui faisaient les docteurs, des Japonais qui faisaient les ingénieurs.

Des Pakistanais et des Bangladeshis qui ne pouvaient pas se sentir, plus un saupoudrage de Sikhs, ça faisait joli les turbans bleus.

Des Hollandais qui occupaient le nord, vers Battambang, Sisophon et Poïpet et géraient le trafic aérien.

Des Indonésiens qu’on avait parqués au centre du pays, en plein bled, district de Kampong Thom, entre ciel blanc de chaleur et sol rouge pourri de mines.

Des Ghanéens chargés de la surveillance des entrepôts de matériel et de la sécurité dans les avions.

Des Uruguayens qui se la coulaient douce en buvant du maté dans des Algecos au bord du fleuve Mékong, dans la ville de Stung Treng.

Des Polonais mécanos qui buvaient comme des Polonais.

Des Ukrainiens pilotes d’hélicoptères qui se mettaient aux commandes de leurs vieux Mi 17 repeints en blanc après avoir passé la nuit avec les Polonais.

Des Marocains qui crevaient la dalle à Kampong Speu, leurs soldes étant versées aux officiers qui, disons, ne les répartissaient pas toujours.

Des Bulgares dont le gouvernement avait accepté l’enveloppe des Nations Unies, ouvert ses prisons et formé des régiments bidons de repris de justice qui trafiquaient des stupéfiants, rackettaient les commerçants, violaient les filles, assassinaient ceux qui n’étaient pas jouasses et jouaient à la roulette russe pour se distraire.

Et des Indiens. Et des Brésiliens. Et des Samoans…

Et je suis sûr que j’en oublie.

Tout ces valeureux guerriers à peu près incapables de se comprendre entre eux, largués parmi une population dont ils ignoraient à peu près tout, pour la plupart touchant double solde, voire triple, voire quadruple, par conséquent soumis à la tentation de vivre en seigneurs parmi les misérables le temps de leur mandat.

(A suivre)

 

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