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Kampuchea Songs – 26 : Les p’tits papiers

Publié par le 23 novembre 2015

 

Photos de Serge Corrieras
Texte de Thierry Poncet et Serge Corrieras



Ceremonie-001

 

Entre 1975 et 1979, les victimes de la folie Khmer Rouge les plus importantes, à tout point de vue, ont été les êtres humains.

Mais pas seulement.

Les partisans du socialisme total détruisirent aussi tous les objets représentatifs de la décadence bourgeoise et de son abject confort.
Les automobiles, les téléphones à fil.
Les ventilateurs, les réfrigérateurs.
Les télévisions, les disques microsillons…

Ils brûlèrent l’argent, en des grands bûchers de biftons, au milieu des villes évacuées…

Quant aux livres…
Des autodafés de Savonarole à ceux des nazis, de 1984 à Farenheit 451, on sait combien tout ce qui est dictateurs, bouffeurs d’âmes et aspirants gouverneurs de têtes les détestent.

Faut pas laisser parler les p’tits papiers.

 

Case-001

 

Les gars de Pol Pot les cramèrent haut et fort, les bouquins !
Et, parmi les ouvrages incinérés les premiers figurèrent en priorité les centaines, les milliers de livres, estampes, dessins, diagrammes et gravures réalisés par les savants européens.
Les explorateurs et scientifiques qui, depuis la venue dans le coin de Francis Garnier en 1866, s’étaient passionnés pour le Cambodge, son vécu, son histoire et ses temples.
Pardon, je voulais dire : « les vipérines sentinelles avancées de l’immonde colonialisme culturel occidental ».

 

Bonze-002

 

Mais il est un fait avéré – et les auteurs de la présente chronique s’en réjouissent hautement : les textes et images de papier ne disparaissent jamais tout à fait, si féroce que puisse être la machinerie d’état qui les prend en grippe.

Une partie de ses petits trésors historiques (une part infime, mais quand même…) nous est parvenue, planquée sous des dalles de pagodes, oubliées dans un fond de grenier, conservées en quelque cache par un courageux insensé…

 

Oiseau-002

 

Vers le milieu des années 90, j’avais acquis une certaine côte auprès des édiles de ce que nous conviendrons d’appeler la communauté française du Cambodge.

Palsembleu, n’étais-je point l’auteur de nombre de reportages de guerre (voir K-Songs n°08, Chemins de guerre), celui d’un scoop Paris-Matchesque sur le leader rouge Khieu Sampan (K-Songs n° 04) et, depuis peu, le réinventeur de la carte postale made in Cambodia (K-Songs n°22, Bizness is bizness) ?
Exploits qui faisaient de moi, en toute modestie, THE photographe français – pour causer en Molière !

C’est donc à moi que Son Excellence et par ailleurs excellent homme l’Ambassadeur de France Le Lidec commanda la matière d’une exposition de photos de documents anciens pour égayer l’inauguration prochaine de la pose d’une sculpture abstraite dans le hall de l’ambassade.
A quoi je mais-comment-donquai, à-votre-dispositionnai, c’est-un-honneurai et diligemment me mis à l’ouvrage.

 

Marchand-001

 

Un homme assura le succès de l’affaire.
Un « personnage », devrais-je plutôt écrire…

Philosophe, bardé de plus de diplômes et distinctions qu’un scout modèle de brevets, langues-z’orientaleux hors pair, spécialiste d’anciens manuscrits en langue Pali que six personnes et demi au monde parviennent à déchiffrer, Olivier de Bernon semblait déjà destiné à la grande carrière qui devait le mener jusqu’à la direction du musée Guimet de Paris – avant qu’il en démissionne avec fracas, poussé vers la sortie par Mme Filipetti, c’est dit.

O.de-Bernon_deaville_01_web

Olivier de Bernon était alors un jeune homme énergique dont la mise détonnait dans ce Phnom Penh torride où l’occidental vaquait volontiers dépenaillé. Leggings ou vaste short kaki au pli d’amidon, chemise du même métal boutonnée jusque haut, invariables hautes chaussettes laineuses d’officier anglais des Indes, épaisses para-boots de curé…

On l’aurait cru surgi tout droit d’un roman de Kipling, voire de Farrère. Ou même d’une œuvre de Hergé qui se fût appelée « Tintin En Indochine ». Et, en vérité, ce bougre de grand savant à l’insondable humour faisait tout pour ça.

 

Carte-001

 

Membre depuis peu de l’Ecole Française d’Extrême-Orient (EFEO), Olivier de Bernon avait pour mandat de poser les bases de la ré-implantation de cette prestigieuse institution au Cambodge, dont elle avait été chassée par les Rouges – voir plus haut.
Il était également en charge d’un organisme à l’acronyme barbare, FEMC, Fonds pour l’Edition des Manuscrits au Cambodge, qui se proposait, grosso-modo, de restaurer et relancer la Bibliothèque Royale ravagée en 1975 – voir plus haut.

 

Angkor-Wat-002

 

Et royalement je fus traité…

On m’alloua un vaste local dans l’enceinte du musée des Beaux-Arts, cette splendeur de pierre rouge au cœur de Phnom Penh.

Mit à ma disposition un statif de reproduction, le dispositif qui sert à ce genre de boulot, constitué d’une échelle graduée supportant un 24/36 avec optique 55 Macro (conçu pour éviter les déformations), et de deux bras symétriques à 45 °, coiffés d’éclairages permettant d’obtenir une lumière constante en tous points du champ.

Mettez en plus dans la balance un labo de développement sans égal – à part, peut-être, celui de la Conservation d’Angkor, à Siem Reap, et vous obtiendrez des conditions de travail inespérées dans un pays où, hors agences de presse, le moindre boulot photo relevait du marathon de bricolage.

Ajoutez encore l’attribution d’un jeune assistant cambodgien pour apporter les documents, s’occuper des petits réglages et aller chercher les cafés…

Bref, en échange d’une paye substantielle, je n’avais plus qu’à appuyer à l’instant idoine sur le déclencheur.

 

Page-004

Riviere-001

 

Rêves d’Indochine.
Sublimes autant que risibles.

Aussi naïfs qu’arrogants.

Voilà ce qui sort, planche après planche, les bords verdis par des années de planque sous le cellophane de protection, des quelques cartons à moi confiés par de Bernon.

Rêves d’hommes blancs.
Utopie dominatrice d’un autre temps.

Femmes qu’on veut lascives.
Peuples que l’on veut primitifs…

 

Vieillard-001

 

Colonisation.
Ces pauvres images rescapées des drames écrivaient toutes ton nom.
Ton projet fou, mégalo, qui mobilisa tant de talent, de justesse et d’érudition au service d’une cause sans justice !

 

Ruines-001

 

Rêves d’aventures.
Explorations hasardeuses. Dangers envoûtants. Découvertes fébriles, pour la gloire de l’homme blanc ou son démon d’argent.

Tout un imaginaire d’exotisme, grenier d’enfance où traînent pêle-mêle le costume de lin blanc, le casque de liège. La paire de brodequins de cuir haut lacés, qui blessent les pieds ensués du conquérant.
Le fusil Chassepot chargé, dans l’attente du tigre ou de la rébellion indigène.
Où flottent les parfums des absinthes sirotées en clairière de jungle, au porche de la toile de tente tendue par les porteurs…

 

Pont-001

 

Halte-001

 

Et quand le soir, après des heures de songes enchantés, de ces après midis de vagabondage immobile, comme on se promène parmi les tables d’exposition d’un très vieil antiquaire, de retour dans ma villa sans charme du boulevard Lenine, sous le ventilateur qui faisait danser la moustiquaire, c’étaient encore les beautés des esquisses de Georges Groslier, qui venaient, ondulantes ondines, danser sous mes paupières.

 

Esquisse-Groslier-001

 

Esquisse-Groslier-006

 

Esquisse-Groslier-010

 

Esquisse-Groslier-011

 

(A suivre)

 

4 Responses to Kampuchea Songs – 26 : Les p’tits papiers

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