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Kampuchea Songs – 22 : Bizness iz bizness

Publié par le 24 août 2015

 

Photos de Serge Corrieras
Textes de Thierry Poncet et Serge Corrieras

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« Salut Sergio.
Un petit mot depuis ce Cambodge
enchanteur où je passe un séjour
absolument merveilleux.
Paysages sublimes.
Gens étonnants !
Je fais du fric et pense bien à toi.
Bises.
Signé : Sergio. »

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Sergio : Mais comment t’es venue l’idée. L’IDEE !?

Sergio : Wo, wo, wo… Rappelle-toi : en matière de cartes postales, je n’étais pas le perdreau de l’année. En France, j’avais bossé pour les fameuses cartes Combier. « Combier –  imprimeur à Mâcon ».

Sergio : Je m’en souviens. Des mois à sillonner la France en van aménagé pour shooter la cathédrale d’Auch, la citadelle de Besançon, le château de Saint-Machin, l’abbatiale de Locdu-sur-Yvette…

Sergio : Aucune créativité, mais ça apprenait les petits trucs du métier.

Sergio : Du genre ?

Sergio : Obtenir le cadrage voulu, jouer avec les ombres, dessiner les reliefs. Et aussi grimper sur un poteau pour éviter d’avoir le café-P.M.U. des Sports dans le cadre ou tenir une fleur à bout de bras pour cacher le pylône derrière l’église…

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Sergio : Au début des années 90, au Cambodge, on ne trouvait que des cartes postales tchécoslovaques : prises de vue sans intérêt et tirages immondes sur carton mal foutu.

Sergio : D’où l’idée !

Sergio : C’est ça. J’en parle à mon copain Jean-Marie Berton, le type qui a créé le café No Problem. Un endroit dingue, avec bouffe de qualité, beau mobilier et personnel en uniforme, le luxe de l’ancienne Indochine en plein milieu de Phnom Penh en ruines.

Sergio : Donc, il est plein aux as. Et donc, tu lui empruntes du blé. Combien, sans indiscrétion ?

Sergio : Cinq mille dollars.

Sergio : Et il te les file ?

Sergio : Il les pose sur la table, devant moi ! Je commence à lui dire : « je te les rendrai dans… ». Il me coupe : « M’emmerde pas, Sergio, tu me les rendras quand tu pourras ! ». Royal, le Jean-Marie…

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Sergio : A ce moment-là, j’ai déjà commencé à me faire une place dans le photo-reportage, mais je travaille encore pour une agence d’images de voyage, Explorer. Des vues du Cambodge, j’en ai des milliers !

Sergio : Bref aller et retour à Paris, des planches sous le bras. A ce moment-là, mon portrait de Khieu Sampan est paru (Voir K-Songs 04) et les mecs de Paris Match m’ont à la bonne. Je leur parle de mon projet.

Sergio : Un bon souvenir…

Sergio : Excellent, tu veux dire ! Ils se passionnent pour mon idée et ils m’aident à choisir dans mon stock. Du coup, je repars avec un editing de 24 photos, que je fais imprimer à Bangkok. Deux mille exemplaires de chaque…

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Sergio : Puis, retour à Phnom Penh ?

Sergio : Avec mes cartons. Je me mets à démarcher les quelques hôtels que je connais, le Cambodiana, le seul palace international de la ville, le Renakse, où j’ai habité longtemps, plus quelques autres.

Sergio : Ça marche ?

Sergio : Ça galope. Ils me sautent dessus. J’escomptais vaguement faire du dépôt-vente, mais rien du tout : ils m’achètent tout ma collection. Et ils payent ! Cash !

Sergio : Du coup, Jean-Marie…

Sergio : Je lui rends ses cinq mille talbins quinze jours après qu’il me les ait passés. Et je place des cartes dans son restau, bien sûr… Il faut dire que j’ai pris soin d’inclure dans la collection une image du No Problem. Un ascenseur, ça se renvoie !

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Sergio : Qu’est-ce que tu as fait, ensuite ?

Sergio : Pardi ! J’ai foncé à Bangkok pour m’en faire réimprimer une palanquée !

Sergio : La spirale du succès…

Sergio : D’autant plus qu’il s’en fallait de quelques semaines pour que débarquent les premiers contingents de l’O.N.U. Imagine : dix mille militaires qui, tous, envoient un mot à leur môman, leur gonzesse, leurs potes…

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Sergio : Comment tu te sentais ?

Sergio : Content. C’est toujours sympa de réussir son coup. En plus, j’appréciais la liberté que me permettait le truc, tu vois ce que je veux dire ?

Sergio : ???…

Sergio : En France, faire de la carte postale, c’est photographier ce qu’on te dit de photographier, avec angle et cadrage imposés. Là, chacune des séries que j’ai tirées, c’était MON Cambodge en vingt-quatre images.

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Sergio : Et c’est le jackpot !

Sergio : Wo, wo, wo… Sur les trois séries que j’ai éditées, toutes les images n’ont pas eu le même succès. Certaines ont même été des vrais bides…

Sergio : Lesquelles ?

Sergio : Les temples, d’abord. A ma grande surprise. J’avais pris bien soin de sélectionner des vues d’Angkor. Eh ben les gens ne se sont pas précipités dessus…

Sergio : Bizarre.

Sergio : Inexplicable. A moins que je ne sois totalement nul en temples (rires).

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Sergio : D’autres flops ?

Sergio : Une photo de pêcheur sur le Tonle Sap. J’aime bien le cliché, mais le mec est habillé en survêtement, pas typique pour un rond. Des boxeurs au combat : ils sont cambodgiens, mais pour tout le monde, la boxe, c’est la Thaïlande. Et puis une composition sur le thème « marché de nuit ». J’ai voulu faire l’artiste et, en fait, j’ai produit une image brouillée, pas compréhensible au premier coup d’œil, ça n’a pas pardonné…

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Sergio : Modeste, avec ça !… Parle-moi plutôt des succès.

Sergio : Il y a un vieux bonze qui se prépare à manger, avec son chat qui attend son tour derrière lui… Une petite fille coiffée d’une écorce de noix de coco… Des flics à un carrefour, entourés de cyclo-pousses et de mobylettes, à une époque où il n’y avait quasiment pas de voitures à Phnom Penh…

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Sergio : A quoi ça tient ?

Sergio : Je pense que ce sont des images sur lesquelles les gens peuvent imaginer une histoire. Coller inconsciemment leur propre légende sur la photo, si tu veux…

Sergio : Se les approprier, d’une certaine manière…

Sergio : Voilà. Et puis il y a mes best-sellers absolus : Une vendeuse de pain devant un tas de briques, avec une belle harmonie de couleurs, dans les beiges orangés. Et mon top du top : une bande de gamins qui jouent dans une rue inondée près du marché central. Celle-là, je l’ai tirée et re-tirée jusqu’au bout !

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Sergio : Sans compter que je me suis payé des vrais coups d’audace. Un cyclo-pousse qui lave son engin dans une flaque, avec en fond d’image le musée des Beaux-arts (Voir K-songs 21)… Un gosse qui tient un crâne de buffle, perché sur un tas d’ossements. Morbide, celle-là, à la limite de l’horrible… Et puis un Khmer rouge accroupi, en uniforme chinois, avec sa Kalachnikov. Sujet tabou, les Khmers rouges. Même mes collègues journalistes étaient surpris. Eh ben les trois modèles ont bien marché…

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Sergio : Allez, entrons dans le vif : T’en a vendu combien, en tout ?

Sergio : Ben… Tu sais… J’étais présent dans tous les hôtels et beaucoup de bars, avec des présentoirs que j’avais fait fabriquer, plus les quatre grands marchés de la ville, avec plusieurs échoppes dans chacun, en tout au moins soixante points de vente…

Sergio : Combien ?

Sergio : Dans les cent mille.

Sergio : Le pactole !

Sergio : Disons que ça m’a permis de bien vivre. Mais tu me connais (rires), la gestion et moi… Sic fricae transit… L’argent qui coule vite DANS les poches file aussi vite HORS des poches…

Sergio : Un proverbe Italo-Corse !

Sergio : Ou Corsico-Italien !

Sergio : Et vice-versa (rires) !

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(A suivre)

 

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