Inspiré du roman « HAIG, Le sang Des Sirènes », Thierry Poncet, Editions Taurnada 2016
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INT Jour, P.M.U.
Des chevaux de trot attelé en course. En son la voix monocorde du commentateur.
La caméra s’éloigne, on se rend compte qu’il s’agit d’images sur un écran. Le champ s’élargit encore pour montrer l’ensemble d’un P.M.U. « courses par courses » occupé par un grand nombre de parieurs.
Close-up sur plusieurs joueurs aux gueules caractéristiques : un retraité au petit chapeau, un voyou aux allures de maque, une femme alcoolique, un Maghrébin habillé pauvrement…
Plan sur Haig penché sur ses journaux de pronostics, l’air très concentré. On remarque qu’une ombre de moustaches se dessine au-dessus de sa lèvre. Sa consommation est innocente, genre diabolo.
Retour à l’écran où les chevaux passent la ligne d’arrivée. Son : exclamations de joie ou de dépit des parieurs.
INT Jour, P.M.U.
Haig est à la caisse. La caissière, une jeune femme aguicheuse, lui remet ses gains, billet par billet.
La caissière (jouant du décolleté) :
Encore gagné. Vous êtes un vrai joueur, vous !
Haig (indifférent) :
Ouais.
Vexée par ce manque d’intérêt, la caissière hausse les épaules et commence à compter les gains de Haig.
INT Jour, P.M.U.
Sur l’écran, des chevaux passent la ligne d’arrivée.
Haig à la caisse. La caissière hausse des sourcils surpris, compte des billets dans la caisse et les aligne sur son comptoir.
La caissière :
Ben vous, alors…
INT Jour, P.M.U.
Des chevaux en course.
Les mains de la caissière posent des billets sur le comptoir. Les mains de Haig les prennent.
EXT Nuit, square.
Haig étale un grand carton derrière un buisson, s’y étend et se recroqueville en chien de fusil.
EXT Jour, square
Assis sur un banc, Haig mange du pain et du chocolat.
EXT Jour, rue
Il pleut. Haig court sous l’averse et s’engouffre dans le P.M.U.
INT Jour, P.M.U.
Alternance de plans : arrivée de course sur l’écran, la caissière qui paye Haig. Arrivée de course, la caissière, etc…
EXT Nuit, square
Assis sur son carton derrière le buisson, une lampe entre les dents, Haig étudie les pronostics de Paris-Turf.
INT Jour, P.M.U.
Champ-contrechamp, la caissière / Haig.
La caissière :
Alors là, c’est le gros lot, hein ?
Haig :
C’était un outsider. Les grosses cotes, forcément ça rapporte.
La caissière :
Oui, mais quand même !…
Haig :
Ça fait combien ? Dans les trois mille ?
La caissière :
Plus, même !
Elle engage le ticket de paris dans la machine, lit le résultat.
La caissière :
Trois mille deux cent soixante trois !
INT Nuit, resto
Isolé à une table de boui-boui, Haig mange un kebab tout en étudiant le Paris-Turf déplié devant lui.
INT Jour, P.M.U.
Sur l’écran, un canasson passe la ligne d’arrivée. En son : des exclamations de joie de parieurs.
Plan sur deux joueurs, un Maghrébin joyeux et un autre type écoeuré.
Le Maghrébin (exultant, ticket brandi) :
Tu vois ? Tu vois ? J’t’avais dit qu’il faut jouer comme ce mec !
Haig quitte sa table et se dirige vers la caisse.
Le Maghrébin (vers Haig) :
Bravo, mon frère ! J’lui avais dit qu’il faut jouer comme toi. Tu es le champion number one toutes les catégories !
Acquiesçant poliment, Haig arrive à la caisse, devant la quelle il se fige, découvrant à côté de la caissière habituelle un gros type en costard : le patron.
La caissière :
Ah ben il va vous falloir une carte de fidélité !
Son rire se coince dans sa gorge quand elle s’aperçoit que son patron ne rit pas. Baissant la tête, elle se met à compter les gains de Haig. En arrière-son, on entend la voix du Maghrébin.
Le Maghrébin :
Toutes les catégories, j’te jure, toutes les catégories !…
Le patron :
Vous gagnez beaucoup.
Haig :
J’y travaille beaucoup.
Le patron :
Vous êtes un peu jeune pour passer vos après midis aux courses.
Haig :
Je suis majeur.
Le patron :
Vous pouvez le prouver ?
Haig :
Ouais.
Il porte la main à la poche de son blouson, sort la carte d’identité volée, la tend. Le patron l’inspecte, regardant tour à tour la photo et le visage de Haig. Lui redonne sa carte à regret.
Le patron :
C’est bon.
Plan sur ses yeux suspicieux. Plan sur les yeux de Haig qui ne cillent pas.
EXT Nuit, route
Un camion passe devant Haig qui fait de l’auto-stop. Le camion ralentit, met son clignotant et s’arrête. Haig court jusqu’à la cabine.
EXT Jour, casse auto
Un berger allemand furieux aboie, tirant sur sa chaîne. Le plan s’élargit, montrant des monceaux de voitures accidentées empilées les unes sur les autres ou sur cales. D’un vieux mobil home surgit un homme en bleu et chandail crado, l’air maladif des junkies, un trousseau de clés à la main.
L’homme :
Voilà, voilà… (au chien) Tu vas la fermer ta gueule, oui ?
Arrivé à sa grille et la chaîne cadenassée qui la ferme, il lève le trousseau de clés, s’apprêtant à ouvrir, observe un instant Haig de l’autre côté et se ravise.
L’homme :
Qu’est-ce que tu veux, gamin ?
Haig :
Je veux acheter une voiture.
L’homme :
Une voiture ? Pour toi ?
Haig :
Une vieille voiture. Une vieille caisse pourrie et pas chère. Genre une vieille 504.
L’homme :
T’es trop jeune pour conduire.
Haig :
J’ai un permis. Tu veux le voir, Ducon ?
Il porte la main à la poche de son blouson, mais l’homme l’interrompt.
L’homme :
Laisse tomber. T’as de l’argent ?
Haig acquiesce, poursuit son geste et sort une liasse de billets de sa poche.
L’homme ouvre le cadenas.
L’homme (au chien) :
J’t’ai dit de la fermer, toi !
INT Jour, mobil home
Un désordre invraisemblable de meubles cassés, de pièces mécaniques et de bouteilles. Il y a aussi des cartons emplis de vieux livres. Assis de part et d’autre d’une table basse, l’homme et Haig. Haig compte des billets qu’il empile sur un coin de la table. L’homme l’observe en se grattant les avant-bras. Tous deux ont un quart de café fumant devant eux. On remarque du côté de l’homme un nécessaire à shoot.
Haig :
Pour ce prix-là, tu me mets deux roues de secours.
L’homme :
T’es un fortiche, toi, hein ?
Haig :
Ouais.
Pendant que l’homme compte les billets et les enfourne dans sa poche, avec les gestes lents du junkie qui attend sa dose, Haig fouille dans les cartons de livres et en sort un à un les trois tomes des Misérables de Victor Hugo en vieux Livre de Poche.
Haig :
Je te pique ça, aussi.
L’homme (ricanant) :
Ben tiens… Te gène pas, surtout, caïd.
Haig finit son café d’une lampée, se lève et se dirige vers la porte, les trois gros bouquins sous le bras. L’homme tripote un instant la cuiller et la seringue, soupire et relève la tête.
L’homme :
Tu sais quoi, gamin ? Tu devrais pas jouer au dur comme ça.
Haig :
Si tu le dis…
L’homme :
Les petits mecs dans ton genre qui foncent droit devant eux en prenant tous les autres pour de la merde, ils finissent toujours par tomber sur un vrai méchant. Et là, tu sais ce qui leur arrive ?
Haig hausse les épaules.
L’homme :
Ils se font enculer. Salement enculer.
Haig :
Tu continues la philo ou tu me files mes roues de secours ?
EXT Jour, rue
Une 504 cabossée, trouée et rouillée est garée devant une petite et vieillotte boutique d’assureur.
La caméra s’approche de la porte entrouverte et la franchit.
INT Jour, bureau
Haig est assis dans un bureau d’assureur qui semble surgi des années soixante, avec désordre de dossiers, poussière et mauvaises lithos aux murs, dont les affaires sont visiblement peu florissantes. L’assureur est un vieil homme malade qui ne cesse de tousser, un mouchoir devant la bouche.
On doit remarquer, sur le bureau, un éventail de billets qu’y a posé Haig.
Haig :
Ce n’est pas ce que je vous demande. Je veux juste ce putain de papier vert.
L’assureur :
Et bien, kof kof, soucrivez, kof kof, souscrivez une assurance.
Haig :
Je vais pas payer une assurance complète. J’en ai besoin pour trois jours, le temps d’entrer au Maroc.
L’assureur :
C’est illégal.
Haig soupire, se tape les cuisses et ramasse les billets.
Haig :
Bon… Pas ma faute si t’es con.
L’assureur :
At… At …kof kof… At… kof… Attendez.
Haig repose les billets sur le bureau.
EXT jour, route.
La 504 s’éloigne sur une route qui file au travers d’un décor de garrigue vers le soleil couchant.
(A suivre)
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