Inspiré du roman « HAIG, Le sang Des Sirènes », Thierry Poncet, Editions Taurnada 2016.
INT Nuit, cheminée
Plan sur le feu crépitant. On entend la voix du gamin qui parle bas en arabe.
Ferraj (hors champ, ton sincèrement désolé) :
Ayayaïe, ces gens ils n’ont pas la chance…
INT Nuit, salon
Ferraj est répandu sur les coussins, pattes écartées, bouteille de gin au poing. Á côté de lui, le sac de fric et le flingue. Sur la table de cuivre, les reliefs d’un repas (soupe, pois chiches) que Haig, assis lui aussi sur le divan, termine de manger. Le gosse est accroupi devant les deux hommes.
Haig :
Comment il s’appelle.
Ferraj :
Zineb.
Celui-ci approuve.
Zineb :
Z’neb…
Ferraj :
Sa mère, c’est Zohra. La jolie fille, c’est Saïda…
Á chaque nom, Zineb approuve.
Ferraj s’allume une clope. Il en propose une à Zineb qui hésite puis accepte. Ferraj la lui allume. Le gosse tousse à la première bouffée. Visiblement, il ne sait pas fumer.
Ferraj (ponctuant ses propos de bouffées de fumée et de rasades d’alcool) :
Leur père c’était un vieux. Il a marié Zohra qu’elle était beaucoup plus jeune que lui. C’est souvent comme ça à la campagne. Les vieux ils cherchent des femmes qu’elles ont la vitalité, pour qu’elles travaillent dur… Et puis ce vieux là, un jour qu’il était en train de tondre un mouton, paf, comme ça le cœur il lui a fait… Il est mort que Zineb il était tout petit. Il ne savait pas encore marcher… Cet homme-là, le vieux, il avait un fils d’un premier mariage, seulement ce gars-là, à peine son père il est mort il est parti en Espagne. Il disait comme ça qu’il enverrait de l’argent mais il n’a plus jamais donné de nouvelles… Alors voilà ici la terre elle n’est pas bonne. Ils font pousser les légumes pour manger et puis ils élèvent des bêtes… Ils n’ont pas d’argent parce que toutes les années ils doivent rembourser le caïd, au village d’à côté, parce que ce type-là, il a le commerce et il fait crédit avec les intérêts très chers…
Ferraj, énervé, se saisit de son flingue, le brandit, canon en l’air, et crache dans le feu.
Ferraj (menaçant) :
Tout ça c’est la faute à la misère. Et la misère, tu sais de qui c’est la faute, toi, le Français ?
Haig :
Je sais. C’est la faute d’Hassan.
Il crache à son tour dans le feu.
Ferraj (se détendant) :
Heureusement que maintenant je suis là !… Je vais m’occuper de tout ça, moi, parole ! Ici, il n’y a plus de problèmes parce que Ferraj il est là et c’est Dieu qui a envoyé Ferraj, tu as compris ?
EXT Nuit, cour
Dans l’obscurité qui ne permet de distinguer qu’un fatras indistinct, Haig fume une cigarette. Un bruit liquide nous apprend qu’il en profite pour uriner.
Haig (soupirant) :
Dans quelle merde je me suis fourré, moi…
INT Nuit, salon
Haig entre, soulevant la tenture, pour trouver Ferraj couché, lampes et bougies éteintes. Celui-ci a empilé des coussins devant la cheminée, empêchant tout autre accès au feu et s’est approprié plusieurs couvertures. Á Haig, il n’a laissé qu’une courte peau de bouc.
Haig se déchausse, s’allonge sur le sol et, réprimant mal une moue exaspérée, essaie de se recouvrir de la peau de bouc.
Temps de silence troublé par les crépitements du feu. Puis un long pet sonore.
Ferraj (riant) :
Pardon mon ami. C’est les pois chiches. Je les digère mal, les pois chiches. Demain, on trouvera du meilleur pour manger…
Pour toute réponse, Haig se tourne avec humeur sous sa peau de bouc.
Ferraj :
Elle est jolie, hein, Saïda ?
Haig :
Hein ?
Ferraj :
Saïda. La fille. Me dis pas que tu l’as pas remarquée… Je vais me la faire. Je vais payer sa mère, elle va me la donner…
Haig (se redressant) :
T’es malade, elle a pas quinze ans !
Ferraj :
Tu es puceau, toi ou quoi ? C’est à cet âge-là qu’elles sont le meilleur.
Haig grogne.
Ferraj :
Bien sûr, il faut pas la baiser par devant. Ces filles-là, il faut que c’est vierge pour le mariage. Celle-là je fais le gentil : je la prends par le cul.
CUT
INT Nuit, salon
Dans le noir absolu, les deux hommes sont pris de quintes de toux. On distingue une ombre s’approcher de la cheminée où une poignée de braises est prête de s’éteindre, dégageant de la fumée.
Haig :
Bordel. T’es à côté du feu ! Tu peux pas le recharger ?
Ferraj, masse confuse de couvertures, répond d’un grognement que termine une toux.
Haig, toussant, jette un fagot dans le foyer, tisonne jusqu’à ce qu’une flamme naisse et regagne son grabat.
Haig :
Merde… Merde… Merde…
INT Aube, cuisine
Zohra, Saïda et Zineb s’échangent des chuchotements animés en arabe, tandis que les deux femmes préparent un plateau de petit déjeuner, thé et galettes.
Zineb est le plus énervé des trois. Alors que monte sa colère, il brandit un couteau et en donne des coups qu’on comprend destinés aux deux intrus.
Zohra lui pose la main sur l’épaule, ce qui suffit à le calmer complètement.
Alors que Saïda empoigne le plateau, s’apprêtant à le porter aux deux hommes, Zohra le lui prend des mains.
INT Aube, salon
Ferraj et Haig éveillés, tous les deux assis, frileusement recouverts de couvertures pour Ferraj, de la peau de bouc pour Haig. Tous deux toussent.
Zohra entre, porteuse du plateau qu’elle pose sur la table basse de cuivre.
Ferraj l’apostrophe en arabe, lui désignant la cheminée où le feu se meurt. Zohra répond négativement, avec un geste d’impuissance, et sort.
Ferraj (bougonnant) :
Y a même pas de bois dans cette baraque. Y z’ont rien, ma parole !
Haig (se servant du thé) :
Tu veux dire qu’ils nous ont donné leurs dernières réserves de bois…
Ferraj lui prend la théière des mains, se sert à son tour.
Ferraj :
Vendu ! Ils me l’ont vendu, le bois ! Plus cher que l’or ils me l’ont vendu !
Ext Jour, cour
Haig et Ferraj, fumant chacun une cigarette, explorent la cour. La caméra détaille le fatras aperçu pendant la nuit : vieux matériel agricole, une charrette cassée, cage à bestiaux désaffectée, pièces mécaniques.
Ferraj :
Misère… C’est la misère, ces gens !
Ils entrent dans la cuisine.
INT Jour, cuisine
Á la suite des deux hommes, on découvre la cuisine rudimentaire : un antique fourneau à bois, très peu de vaisselle, pratiquement pas de réserves.
Ferraj (examinant un récipient vide) :
Misère !…
Ext Jour, cour
Haig est dans la cour, d’où il écoute Ferraj sermonner en arabe la petite famille dans une des pièces.
Ferraj sort, l’air satisfait.
Haig :
Alors ? Qu’est-ce qu’on fait ?
Ferraj :
Qu’est-ce que tu crois qu’on fait ?
Haig (excédé) :
Si tu arrêtais de gueuler deux minutes !…
Ferraj (amusé) :
Relax, mon frère. Tranquille. Qu’est-ce que tu veux faire ? On va sortir de cette misère, voilà ce qu’on va faire.
Haig :
Ah ouais ?
Ferraj :
Oui. Je vais aller nous chercher tout ce qu’il faut pour manger et pour boire, des cigarettes, tout ce qu’il faut. Tu vas voir, on va être comme les rois, ici !
Haig :
Et moi, qu’est-ce que je fais ?
Ferraj :
Tu te branles !
Il mime le geste de la masturbation avec des grimaces obscènes, éclate de rire puis, sans transition, reprend un masque menaçant.
Ferraj :
Qu’est ce que tu fais ? Tu répares la voiture, voilà qu’est-ce que tu fais !
Haig :
J’y connais rien,moi. J’ai même pas d’outils.
Ferraj :
Eh, oh, c’est moi qui l’ai cassée, la voiture ?
Haig ne répond pas.
Ferraj (insistant) :
C’est moi ? C’est ma faute qu’elle est cassée ?
Haig (réticent) :
Non.
Ferraj :
Qui c’est ?
Haig :
C’est moi, d’accord ! Et alors, comment je fais ?
Ferraj :
Tu te démerdes. Vois ça avec Zineb, il va te donner le coup de main.
Ferraj s’éloigne. Haig secoue la tête, découragé.
(Á suivre)
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