Inspiré du roman « HAIG, Le sang Des Sirènes », Thierry Poncet, Editions Taurnada 2016.
Écran noir
En crescendo, le bruit d’un moteur de petit avion de tourisme.
EXT Jour, avion
Un paysage verdoyant défile sous la carlingue. Depuis l’arrière de la cabine, le dos du pilote : une femme en foulard de couleur qu’on devine être Zohra. Mais elle tourne la tête et révèle les traits de Ferraj.
Ferraj (riant) :
Quand tu dis le nom d’Hassan, tu craches par terre où je les tue tous !
Haig, assis à l’arrière, lance de tous côtés des regards étonnés.
L’avion bascule et part en vrille. Le paysage tournoie. Le sol se rapproche. Le pilote, maintenant un flic au crâne ouvert par une balle, reste immobile. Affolé, Haig tend la main pour lui secouer l’épaule.
Sa main se referme sur les commandes. On reconnaît le volant et les leviers de la 504. Alors que le nez de l’avion est sur le point d’exploser au sol, Haig tourne désespérément le volant en se penchant sur le côté.
INT Nuit, grange
Dans l’obscurité, Haig tombe de sa couche sur le sol. Réveillé par le choc,il se redresse. Assis sur le sol, il inspire plusieurs fois à grandes goulées et reprend peu à peu ses esprits.
Passant la main autour de lui sur le sol, il le découvre recouvert de paille.
Haig :
Qu’est-ce que…
La caméra dévoile peu à peu les cloisons de planches dont les interstices laissent passer la clarté de la lune, la vache et le veau à la mangeoire et la silhouette de la 504 affaissée du côté de sa roue cassée.
Haig :
Merde, je suis dans la grange…
Il se lève. Ses pas produisent un son exagéré de paille déplacée. Le veau pousse des braiements sonores d’âne. On comprend que Haig est toujours dans un rêve.
Un grondement de bête fauve retentit depuis l’obscurité du fond de la grange. Haig se précipite vers un râtelier d’outils, s’empare du manche de l’un d’eux et tire mais rien ne vient : l’outil est bloqué.
Plan sur le visage de Haig paniqué.
Plan sur l’obscurité, au fond de laquelle on devine une forme mouvante dont montent les grondements de plus en plus forts. Deux yeux rougeoient comme des braises.
Plan sur la main de Haig qui tire sur un manche d’outil, puis un autre, sans succès.
De l’ombre surgit une bête qu’on identifie bientôt comme une hyène qui menace Haig de ses crocs.
Haig se campe sur ses pieds, jambes écartées, ramassé sur lui-même, en boxeur. Il ouvre et referme les mains dans le geste d’étrangler.
Haig (murmurant) :
Viens-là, salope de l’enfer…
La hyène bondit.
INT Nuit, chambre.
Haig se redresse en criant. Á nouveau il reprend son souffle en scrutant l’obscurité autour de lui.
On reconnaît la chambre. Dans la cheminée ne subsiste plus que deux braises qui ressemblent à une paire d’yeux diaboliques.
Haig s’essuie le visage couvert de sueur. S’étant recouvert les épaules de la couverture, il se lève te se dirige vers la porte.
EXT Nuit, patio
Au moment où il arrive dans le patio, celui-ci est arrosé par un violent orage, avec pluie battante, éclairs et coups de tonnerre.
Le portail est entrouvert. Par la fente s’insinue la lumière jaune d’une paire de phares. Grimaçant sous la flotte, Haig s’en approche. On distingue peu à peu le bruit d’un moteur au ralenti.
Haig ouvre le portail et découvre devant lui la R 12 de police sur le toit dans une mare d’éclats de verre. L’orage a disparu. Le moteur tourne dans le silence.
Par la fenêtre du conducteur se glisse le policier au crâne fracassé qu’on a vu piloter l’avion. Il vise Haig d’un pistolet. Au moment où il presse la détente, la lumière envahit l’écran.
INT Jour, chambre
La détonation éclate, suivie du miaulement d’une balle en ricochet.
Haig bondit sur ses pieds en hurlant.
On découvre Ferraj dans sa djellaba qui rigole, le flingue à la main, un joint allumé dans l’autre. Il y a un trou dans le dallage, à côté de la tête de la couche.
Haig :
Tu m… tu m… tu m’as tiré dessus, connard !
Rabaissant la main qu’il avait portée à son oreille, il la découvre sanglante.
Ferraj (rigolant) :
Ça réveille, hein, le Français ?
Haig se laisse retomber sur sa couche, la main contre l’oreille.
Haig :
Tu m’as bousillé l’oreille !
Ferraj lui tend le joint.
Ferraj :
Les militaires c’est réveil à la fanfare, avec Ferraj c’est réveil en pétard !
Il pousse plusieurs fois Haig du pied.
Ferraj :
C’est le réveil ! Je t’ai fait comprendre, pas vrai ? Hein, dis, je t’ai fait comprendre ?
Haig (dépassé) :
Ouais, ouais…
Ferraj :
Dis-le que c’est vrai que je t’ai fait comprendre !
Haig :
C’est vrai.
Ferraj se détourne, va à un gros appareil à cassettes, vieux et raccommodé au chatterton, posé par terre. Il appuie sur play. S’élève une chanson de Janis Joplin, volume à fond.
Ferraj avale une gélule. Un bref plan sur ses yeux nous fait comprendre qu’il est sous speeds.
Il se débarrasse de sa djellaba, se retrouve en slip, récupère le joint et se met à danser au rythme de la musique.
On est surpris par sa grâce de danseur.
Ferraj (dansant) :
J’ai ramené la musique, c’est important la musique… (il désigne l’appareil) c’était à l’épicier, il ne voulait pas me le vendre…
Il pose le flingue et s’habille tout en continuant à danser.
Ferraj :
Je lui ai fait comprendre… quand Ferraj il veut acheter quelque chose, il faut le vendre à Ferraj… c’est à mon frère, c’est à mon frère, il disait… je lui ai fait bien comprendre à lui comment c’est la vie… c’est la vie de dieu c’est comme ça… Je lui ai pris des cassettes, aussi… maintenant on a la musique aussi…
Il finit d’enfiler ses boots et récupère son flingue.
Ferraj (soudain sérieux) :
Arrête de pleurer, elle a rien ton oreille. Amène-toi, il y a du boulot…
EXT Jour, patio
Haig et Ferraj sortent, le premier les épaules basses, le second marchant d’un pas dansant.
Les deux femmes de la maison sont accroupies au seuil de la cuisine. Zohra a la tête baissée et ses épaules sont secouées de sanglots. Saïda tente de la consoler.
Au passage des deux hommes, Zohra relève la tête, révélant sur son visage les marques d’une sévère raclée.
Á leur hauteur, Ferraj s’arrête de danser. Par jeu, il se penche sur elles et brandit un poing, faisant mine de frapper. Zohra et Saïda se recroquevillent l’une contre l’autre en gémissant. Ferraj reprend sa danse en rigolant.
Ferraj :
La vieille a râlé parce que je me suis débarrassé du bourricot. Ma parole, une bête à moitié crevée ! Personne il en voulait, presque j’ai dû le donner !
Il s’arrête encore, lève une main menaçante vers les femmes et leur lance des imprécations en arabe. De nouveau les deux femmes se rencognent contre le chambranle en couinant de trouille.
Ferraj :
La salope, je lui ai fait comprendre…
Il entraîne Haig vers le portail.
EXT Jour, porche
Devant la maison attend un attelage composé d’une vieille mobylette et d’une remorque à roues de vélo contenant une montagne de vivres.
Ferraj :
Tu vois, Ferraj il ramène tout ce qu’il faut. Aide-moi…
Il pousse sur le guidon de la mobylette. Haig s’arc-boute derrière la charrette et pousse. Ils rentrent dans la maison.
EXT Jour, patio
Ferraj guide l’attelage vers la grange, dont il ouvre la porte d’un coup de botte.
Il s’immobilise, surpris.
Plan sur la 504, pitoyable, affaissée sur le côté.
Le regard de Ferraj se charge de colère.
(Á suivre)
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