Inspiré du roman « HAIG, Le sang Des Sirènes », Thierry Poncet, Editions Taurnada 2016.
INT Jour, cuisine.
Zohra et Saïda s’affairent à nettoyer la cuisine tandis que les plats continuent à mijoter sur le fourneau. Cette ambiance laborieuse semble plaire à Ferraj qui s’épanouit.
Ferraj :
Au travail, les femmes, c’est bien !
Alors que Zohra passe à sa proximité, porteuse d’une bassine d’eau, il lui découche un coup de pied aux fesses. Zohra titube et manque de renverser un paquet de flotte.
Ferraj l’apostrophe en arabe. Au ton, on comprend qu’il s’agit d’une question. Y revient le nom « Zineb ».
Zohra répond docilement, yeux baissés.
Ferraj (à Haig) :
Le gamin il est couché. Il fait semblant d’être malade, ce bâtard, je le sais. C’est des ruses pour pas me parler.
Haig :
Il est sérieusement blessé…
Ferraj :
Tu te tais quand je parle.
Haig :
Je dis juste…
Ferraj :
Ferme ta gueule. Viens avec moi, on va lui faire la visite…
EXT Jour, patio
Crépuscule.
Ferraj s’amuse à effrayer une poule en la poursuivant et en lui décochant des coups de pieds. La bestiole se réfugie dans la caisse grillagée qui sert de basse-cour.
Ferraj (joyeusement) :
Alors, la poule ? Tu sais ce que tu vas devenir ? Un bon tajine pour Ferraj avec beaucoup des bons légumes…
Il se pourlèche et se frotte le ventre en rigolant puis, pris d’un de ses accès de rage, se met à taper à coups de pieds sur la cage en poussant des jurons en arabe.
Un de ses coups de pied le déséquilibre. Il part en arrière, mouline des bras, se rattrape de justesse à un pilier.
Ferraj :
Malheur de Dieu, qu’est-ce qui arrive ?
GP sur son visage déformé par la peur. Une sueur étrangement abondante coule sur son visage. Ses mains tremblent.
Ferraj (plaintif) :
Qu’est-ce qui m’arrive ?
Haig (indifférent) :
C’est normal, t’arrêtes pas de picoler et de te défoncer.
Ferraj :
Tais-toi ! Qu’est-ce que tu es, toi, maintenant, mon père ?
Il reste un moment silencieux, s’essuyant le visage et prenant de profondes inspirations. Soudain, il se raidit.
Ferraj (criant) :
Eh, toi, là-bas !
Il dégaine son colt.
Ferraj :
Eh, là-bas ! (à Haig) Tu l’as vu ?
Haig :
Quoi ?
Ferraj :
Le type, là, tu l’as vu ?
Haig :
T’hallucines, j’ai vu personne.
Ferraj :
Il y a un mec, je te dis !
Haig :
Où ça ?
Ferraj :
Il est entré dans la grange… Il veut nous surprendre, le fils de putain ! Viens avec moi, vite !
EXT Jour, patio
Les deux hommes plantés devant la porte de la grange, béante sur l’obscurité. Ferraj a le flingue au poing, canon levé au ciel.
Ferraj (vers l’intérieur de la grange) :
Eh, toi, sors de là tout de suite !
Haig :
Tu délires.
Ferraj, scrutant toujours l’obscurité, lui tend son briquet.
Ferraj (bouche en coin, chuchotant) :
Fais la grosse flamme, donne-moi la lumière au maximum.
D’un léger mouvement de tête, il invite Haig à le suivre, se coule à l’intérieur, jambes fléchies, colt pointé à deux mains comme un héros de série télé.
Ferraj :
EH !
Haig règle la mollette du Bic au maximum et entre à son tour.
INT Nuit, grange
Dans la lueur vacillante du briquet apparaît la vache, qui tourne vers les deux hommes un mufle indifférent.
On distingue les râteliers vides. Les outils agricoles appuyés têtes en haut contre le mur. Les fétus de paille épars au sol. La 504. Des taches d’huile laissées par des engins disparus…
La flamme brûle les doigts de Haig.
Haig :
Aïe !
Il éteint. Dans le noir, on entend distinctement le souffle malade, pénible de la vache.
Ferraj :
Allume !
Haig :
C’est chaud.
Ferraj :
Allume, mort de Dieu !
Haig obéit. Lumière. Ferraj est à deux pas devant lui. Lentement, il commence à s’enfoncer dans le noir absolu du fond de la grange. Les semelles de ses bottes font crisser la paille du sol.
On distingue des tas de cageots. Une caisse de bois emplie de vieux tissus, aux angles voilés de toiles d’araignées. Une balance romaine au fléau rouillé, pendue à une chaîne qui tombe du plafond. Les ventres poussiéreux d’un trio de jarres alignées.
La flamme s’éteint.
Ferraj :
Rallume !
Haig :
J’me brûle les doigts, merde !
Ferraj :
Fais comme je dis !
Un frottement bien distinct se fait entendre dans l’ombre.
Un crissement, accompagné d’un léger froissement de paille.
Un mouvement.
Ferraj :
Chut !
On devine sa silhouette, les bras tendus, flingue visant à l’aveuglette dans le noir d’encre.
Haig actionne la molette du briquet, sans succès, ne produisant que des étincelles. Une fois. Deux fois. Trois…
Haig :
Putain !…
Un nouveau froissement de paille dans la nuit.
Ferraj (chuchotant) :
Tu entends ?
Haig (idem) :
Oui.
Ferraj :
Tu vois qu’il y a un mec. Fais la lumière !
Haig tâtonne, mais le briquet lui échappe. On l’entend tomber par terre.
Ferraj jure en arabe.
Haig se jette à quatre pattes, tâte le sol autour de lui.
Ferraj :
Haig, qu’est-ce que tu fous ?
Les doigts de Haig rencontrent un corps dur.
Haig :
Je l’ai !… Ah non, c’est un caillou…
Fébrilement, il balaye les alentours du plat des deux mains, trouve le briquet, actionne la molette. La flamme jaune jaillit.
Devant eux, il y a une plate-forme surélevée d’un petit mètre au-dessus du sol. Une pièce à part, séparée du reste de la grange par une sorte de cloisons de minces planches irrégulières, très espacées.
C’est de là, derrière les planches, que vient le bruit.
Ferraj s’avance, jambes écartées, un pied après l’autre.
Ferraj :
EH !
Un chat contourne la cloison.
Le chat :
Miaou…
EXT Nuit, patio
Ferraj se tient devant la porte de la grange, épaules basses, bras ballants, flingue pendant, visage hagard.
Ferraj :
J’ai vu un mec, je suis sûr que je l’ai vu…
Haig :
La défonce… T’as halluciné…
Ferraj lui jette un regard torve, range le flingue dans sa ceinture.
Ferraj :
Qu’est-ce qu’on allait foutre, déjà ?
Haig :
Zineb.
Ferraj :
Ah ouais, le gamin…
Ferraj jette un dernier regard à l’obscurité de la grange, puis hausse les épaules.
Ferraj :
Après tout, je m’en fous. Qu’il crève, ce cafard… Viens, on va préparer la fête. La fiesta à toi et moi, Haig. Tu vas voir, j’ai préparé des surprises…
(Á suivre)
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