Inspiré du roman « HAIG, Le sang Des Sirènes », Thierry Poncet, Editions Taurnada 2016
EXT Jour, cimetière
Gros plan sur un cercueil qui, au fond d’une tombe fraîchement creusée, reçoit la pluie battante. Une unique rose tombe sur le couvercle.
La caméra remonte. Des pieds chaussés de Docs usées, un jean déchiré aux genoux, un blouson du même métal, puis le visage de Haig, un très jeune homme aux cheveux ras, le visage renfrogné sous la pluie.
Haig :
Salut maman.
La caméra continue de monter, montrant le cimetière vide, à part Haig planté devant la fosse et trois employés de pompes funèbres qui fument en échangeant des blagues dans leur camionnette, portière latérale ouverte.
EXT Jour, rue
Haig, courant sous la pluie, s’arrête devant un kiosque à journaux.
Le vendeur :
Salut, Haig.
Haig :
Salut.
Le vendeur :
Désolé pour ta mère.
Haig :
C’est comme ça.
Le vendeur (lui tendant un journal) :
Désolé quand même. Je l’aimais bien, Maya. Tiens, ton Paris-Turf…
INT Jour, café
Haig, entre dans un bistrot de banlieue sans âme. Seul client, un pochtron au comptoir devant un Ricard. Dépliant son Paris-Turf, Haig commence à le lire tout en s’avançant vers le bar.
Le client :
Tiens, v’là l’Angliche ! Le roi des turfistes !
Haig (essuyant son visage ruisselant de pluie) :
J’suis pas anglais, connard.
Le client :
Ton père était pas rosbif, peut-être ?
Haig (la tête dans son Paris-Turf) :
Pas anglais, irlandais.
Le client :
C’est pas pareil, peut-être ?
Le patron apparaît derrière le comptoir, tirant une caisse de bouteilles.
Le patron (à Haig) :
Ça y est, t’as enterré ta mère ? Ça s’est bien passé ?
Haig :
Si t’étais venu, tu le saurais.
Le patron :
Eh, dis, j’allais pas fermer le café en pleine journée…
Haig (relevant la tête de son journal) :
Ah ben non, c’est sûr, tu vas pas laisser ton rade pourri une heure sous prétexte qu’une copine est morte !
Le patron :
Eh, Maya, c’était une employée, d’accord ? Une em-plo-yée.
Haig :
Ça t’empêchait pas de la tirer vite fait dans la réserve…
Le patron :
Eh, dis, c’est pas un morveux de seize ans qui va me faire la leçon ! Et puis, eh, dis, elle aimait ça, les coups de bite, ta môman…
Haig attrape un gros cendrier de verre sur le comptoir et le balance sur le patron. Il le rate. Le cendrier explose des bouteilles.
Le patron :
Putain de gosse !
Il attrape une matraque sous le comptoir et se précipite dans la salle. Il frappe. Haig reçoit un méchant coup sur l’avant-bras. En réponse il shoote dans l’entrejambe du patron qui se plie en deux. Haig empoigne sur le bar le distributeur de cacahuètes et, d’un coup sur la tempe, envoie le patron par terre, sonné pour le compte.
Le client regarde la scène, les yeux écarquillés. Haig lève le distributeur. Le client tend les deux mains en avant, se laisse tomber à terre et se recroqueville contre comptoir.
Le client :
Non… Non… Non…
Le patron :
Salaud… Salaud…
Haig va à la caisse enregistreuse. Il tâtonne pour ouvrir le tiroir mais, n’y parvenant pas, réempoigne le distributeur et fracasse le truc à grands coups furieux. Le tiroir ayant cédé, il remplit ses poches de billets et de poignée de monnaie, puis se dirige vers la sortie.
Gros plan sur le patron, affalé par terre, la tête sanglante.
Le patron :
Salaud… p’tit salaud…
EXT Nuit, route
Sous la pluie. Un camion s’arrête à hauteur de Haig qui fait du stop. Haig monte à bord.
INT Jour, voiture
Haig à bord d’une voiture, un Paris-Turf sur les genoux. Le chauffeur est un homme adulte, genre VRP, sympathique. Il essaie de nouer la conversation malgré l’évidente mauvaise volonté de son passager.
L’homme :
Tu es un peu jeune pour faire du stop. Tes parents sont au courant ?
Haig :
Mon père est mort il y a longtemps. Ma mère… il y a moins longtemps.
L’homme :
Désolé.
Haig :
Ouais. Moi aussi.
Un silence.
L’homme (remarquant le Paris-Turf) :
Tu joues aux courses ?
Haig :
Ouais.
L’homme :
Tu gagnes ?
Haig :
Ouais.
L’homme :
Ah bon ? Moi, j’ai essayé une fois, j’ai perdu et je n’ai jamais recommencé.
Haig :
Faut savoir.
L’homme (riant) :
Et toi, tu sais ?
Haig :
Ouais.
Un nouveau silence.
L’homme :
Tu comptes aller où comme ça ?
Haig :
Je vais voir, euh… mon oncle. Il tient un café à… la ville que vous avez dit, là…
L’homme :
Pithiviers ?
Haig :
Ouais, c’est ça. Il veut me faire bosser avec lui.
L’homme :
Comment il s’appelle, le café ?
Haig :
Euh… J’sais pas. J’retiens jamais les noms… C’est, euh, un bar-tabac-P.M.U…
L’homme laisse passer encore un silence, tout en jetant des coups d’œil amusés à son passager. On comprend qu’il ne le croit pas.
L’homme :
Tu es parti à l’aventure, hein ?
Haig :
Ouais.
L’homme :
Y a pas d’oncle à Pithiviers, hein ?
Haig :
Non.
L’homme :
T’en fais pas. Je te comprends. Quand je suis parti de chez mes parents, je n’étais pas beaucoup plus vieux que toi. J’étouffais. J’avais besoin d’air. Je suis monté jusqu’en Suède avec une vieille 4 L.
Haig :
Quand les sirènes chantent, il faut y aller voir.
L’homme (s’esclaffant) :
Quand les sirènes ch… Ah, ah !… T’es pas banal, toi, comme gamin ! Quand les sirènes chantent, Ah, ah !…
INT Nuit, appartement
Un jeune homme porteur d’une couverture et d’un oreiller précède Haig à l’intérieur de la salle de séjour d’un appartement modeste. On remarque que le jeune homme a la même allure que Haig, en un peu plus âgé.
Le jeune homme (désignant un canapé) :
Tiens, t’as qu’à te mettre là…
Haig :
C’est cool.
Le jeune homme :
Bah, tu ne vas pas rester dehors par ce temps…
Ayant jeté couverture et oreiller sur le divan, le jeune homme regagne la porte.
Le jeune homme :
Bon, c’est pas que je m’ennuie, mais j’embauche à six heures demain. Alors pour moi aussi c’est dodo. C’est là pour éteindre la lumière.
Haig :
Merci.
Le jeune homme :
T’en fais pas.
INT Nuit, appartement
Haig veille dans l’obscurité.
Il se lève et se coule hors de la pièce. Dans la cuisine, il fouille le blouson du jeune homme pendu à un dossier de chaise, en sort un portefeuille. Il l’ouvre dans la lueur qui tombe de la fenêtre.
Gros plan sur le portefeuille. Les mains de Haig fouillent. Une carte d’identité. Un passeport. Un permis de conduire. Quelques billets. Les mains prennent le passeport et le permis de conduire, replacent la carte d’identité puis, après une hésitation, les billets.
Haig sort avec précaution de l’appartement.
INT Nuit, toilettes
Les toilettes publiques d’une gare, éclairées au néon blanc cru.
Planté devant les miroirs au-dessus des lavabos, Haig examine le passeport.
Gros plan sur la photo du jeune homme. Plan sur le visage de Haig dans la glace. La ressemblance est bonne.
Gros plan sur la date de naissance du jeune homme.
Haig se regarde de nouveau dans le miroir.
Haig (murmurant) :
Vingt-trois ans… Ça devrait aller…
(A suivre)
4 Responses to BLED, (Film) – 01