Adaptation en mini-série TV de mon Roman Pigalle Blues (ed. Ramsay).
EXT Nuit, Pigalle, devant le Gaby-Tabou
Une camionnette et des voitures de police bloquent la rue, gyrophares activés. Des gardiens de la paix et des inspecteurs en civil, la manche du blouson portant le brassard « police », essaient de ramener au calme une foule excitée, hommes et femmes, au sein de laquelle on reconnaît les touristes allemands, dont le gros rouquin, et le couple de « beaufs » français. Le monsieur presse un linge contre un côté de son visage qui porte les traces de plusieurs coups. Il y a des cris, parmi lesquels on distingue des protestations outragées dans la langue de Goethe.
Monsieur français (furax) :
Et comment que je vais porter plainte ! C’est une manière de traiter des clients, ça ?
Madame (tout aussi furieuse) :
Au prix qu’ils voulaient nous faire payer !
Policier :
D’accord, d’accord, mais maintenant là tout de suite on se calme…
Monsieur :
Sois tranquille, Lucette, ils n’auront pas un rond. Au contraire, c’est moi qui vais leur en prendre, et la note sera salée, espère !
Lucette :
T’as raison, chéri, fais-leur voir de quel bois tu te chauffes ! Merde, tout ce qu’on voulait, c’était passer une bonne soirée, nous…
INT Nuit, salle du cabaret
Un vrai désastre. Des tables et des chaises renversées dans tous les sens. Des débris de verre et des litres d’alcool répandus sur le sol. Des grands morceaux de velours arrachés aux murs. Des appliques arrachées qui pendent au bout de leurs fils…
Sont présents Franz, le compagnon de Gaby, qui se confectionne un jus de citron derrière le comptoir, le barman Mickey, qui a revêtu un immense manteau de pilou, prêt à partir, Lucas et, à l’écart, un groupe de filles qui chuchotent entre elles. Max est assis sur une banquette de travers sur ses pieds cassés, ses petits yeux bouffis de sommeil, un sourire niais flottant sur les lèvres, la poupée Maxime couchée sur ses genoux. Il tire des longues bouffées de sa Gitane maïs, apparemment indifférent à tout.
Gaby est planté devant lui, les poings sur les hanches, les sourcils froncés, les yeux féroces. Aucune minauderie dans son attitude : il est entièrement mâle, et mâle courroucé.
Gaby (hurlant) :
Qu’est-ce qui t’a pris, connard ? Ça y est, t’es devenu sénile, pauvre merde ? (Il se tourne vers les autres, les prenant à témoin). Vous vous rendez compte, non mais vous voyez ce bordel ?
Franz rejette sa mèche blonde en arrière d’un coup de tête, aussi dédaigneux que Marlène Dietrich dans l’Ange Bleu.
Franz :
Fous-le à la porte, chéri. Mets-le à la rue. On n’en a plus rien à foutre. C’est une vieille éponge. Il est foutu…
Gaby :
Qu’est-ce que je t’ai fait, hein, Max ? Ça fait vingt ans que je te paye par gentillesse, vingt ans que tu me coûtes du pognon, vingt ans que tu bouffes sur mon dos ! Pourquoi, hein, Max, pourquoi…
Max reste sans réaction, attendant paisiblement que l’orage passe. Il ne regarde même pas Gaby dont la fureur, du coup, monte de plus belle.
Gaby :
Putain, mais répond-moi au moins, bordel !
Franz :
Jette-le, Gaby… Quand il se gèlera les couilles, il se souviendra bien assez de nous, va…
Gaby prend une longue inspiration, hésite encore un instant, puis, déterminé, tire trois biftons de sa poche et les fourre dans la main de Max.
Gaby :
Allez, casse-toi, disparais, ne ramène plus jamais ta sale gueule ici, tu ne fais plus partie de la maison !
EXT Nuit, devant le cabaret
Les flics, les clients mécontents et les badauds ont disparu. Il ne reste plus qu’une voiture de police qui démarre et s’éloigne.
Lucas sort, soutenant Max qui traîne Maxime par le bras. Mickey les suit. Le petit groupe d’arrête dans la lumière rose de l’enseigne. Mickey pose sa large patte sur l’épaule de Max.
Mickey :
Te fais pas d’mouron, mon pote. Gaby, c’t’un cœur d’artichaut. Tu l’connais, c’t’une vraie gonzesse. Il s’énerve sur l’instant et pis ça passe. Il va’s’mettre les miches dans l’eau froide et pis il t’rappeleras. (Il s’éloigne d’un pas, rajuste les pans de son épais pardessus). Allez, j’me trisse ; j’peux pas rester, j’ai un poker, mais si t’as b’soin d’quèqu’chose, tu connais l’adresse !
Il s’approche de Lucas, lui broie la main en se penchant sur lui, arborant un air soucieux qui dément l’optimisme de ses paroles.
Mickey (à voix basse) :
Prend bien soin du vioque, hein ?
Lucas :
T’en fais pas.
EXT Nuit, boulevard
Max et Lucas devant la place Pigalle, paumés. Il pleut. En arrière-plan, un groupe de touristes joyeux et éméchés grimpent à l’intérieur d’un car.
Musique :
Instrumental, piano, la mélodie de « Faut Vivre ».
Max est toujours dans le même état d’absence, rêveur, les yeux flous. Il se balance doucement d’avant en arrière. Il est à peine démaquillé et son nez d’ivrogne, comme une fraise au milieu du masque livide de son visage, lui donne plus que jamais l’air d’un vieux clown. Il tient toujours Maxime par le bras, les pieds de la marionnette frôlant le sol.
Max :
Dis-donc, Lucas…
Lucas :
Hmm ?
Max :
On dirait que j’ai fait le con, hein ?
Lucas le regarde, interloqué, puis ne peut s’empêcher d’éclater de rire.
Lucas :
T’as mis un gigantesque bordel, oui !
Max hoche la tête en se dandinant, comme Stan Laurel quand il a fait une connerie puis hausse les épaules.
Max :
Bon, c’est pas tout ça : on va boire un verre ?
INT / EXT Nuit, quartier Pigalle
Musique :
Malgré qu’en s’tournant vers l’passé / On est effrayé de s’avouer / Qu’on a tout de même un peu changé / Faut vivre…
Succession de plans rapides : Lucas et Max boivent à un comptoir, bras dessus bras dessous ; Ils insultent un groupe de touristes allemands ; ils bousculent tout le monde sur la piste de danse d’une boîte de nuit ; ils se font rembarrer par une pute ; ils se font virer du d’un comptoir par un serveur excédé…
Musique :
Malgré que l’on soit du même voyage / Qu’on vive en fou, qu’on vive en sage / Tout finira dans un naufrage / Faut vivre…
INT Nuit, hôtel de Fernande
Lucas supporte Max dans l’escalier. Le duo arrive à la porte du 47. Lucas porte littéralement Max à l’intérieur.
EXT Jour, aube, rue
Lucas titube le long d’un trottoir, se heurtant aux murs des immeubles.
Musique :
Malgré qu’au ciel de nos poitrines / En nous sentinelle endormie / Dans un bruit d’usine gémit / Le cœur aveugle qui funambule / Sur le fil du présent qui fuit / Faut vivre…
INT Jour, appartement de Lucas
Lucas s’éveille, tout habillé sur son lit. Il titube, visage brouillé, jusqu’à son évier, trouve une tasse dans l’amas de vaisselle sale qui encombre l’évier et se fait un café soluble avec de l’eau chaude du robinet. Il trouve une boîte de lait dans le frigo, la hume, grimace et la repose. Il tâte des morceaux de pain de mie épars et les trouve durs. Pendant ce temps, il chantonne « Faut Vivre ».
Lucas :
Nana naninana, faut viiivreu… Nani nani nana, faut viiiiiivreueueu…
Il se penche sur le robinet et se passe de l’eau sur la figure. Soudain, il s’immobilise.
Lucas :
Putain, Max !
EXT Jour, quartier Pigalle
Lucas court dans les rues.
INT Jour, hôtel de Fernande
Lucas déboule dans le hall du meublé. Fernande jaillit de sa cuisine derrière la réception et se jette sur lui, les yeux affolés derrière leurs loupes.
Fernande :
L… Luc… Lucas !… Lu-lu-cas !…
Lucas (la saisissant aux épaules) :
Quoi ?
Fernande :
C’est af… C’est af… C’est affreux.
Lucas :
Quoi ?
Fernande :
C’est M… C’est Ma-ma-max !
Lucas :
QUOI, MAX ?
Fernande :
Il… Il…. Il a essayé de s’t… de s’t… de s’tuer !
INT Jour, hôtel de Fernande
Lucas gravit l’escalier quatre à quatre.
Fernande reste en bas, accrochée à la boule de la rampe, ses deux grosses jambes écartées.
Fernande (enragée) :
Y m’a ruinée, c’t’enculé ! Toute la baraque est cassée ! Y m’a tout démoli ! Paumé ! Pochtron ! Enfoiré !…
INT Jour, palier
À la porte du 47, Lucas trouve un jeune toubib sur le départ, sa mallette à la main, l’air sévère d’un premier de la classe réprobateur.
Toubib (en direction de la chambre) :
Vous avez de la chance, monsieur. Un miracle que vous ne vous soyez rien cassé. C’est vite arrivé, une fracture du crâne… Si j’ai un conseil à vous donner, c’est d’arrêter de boire. Ça peut devenir très grave, vous savez…
Il se détourne et avise Lucas.
Toubib :
C’est votre ami ?
Lucas :
Oui.
Toubib :
Vous m’avez entendu ? Il y a des moments dans la vie où il faut se calmer. Bon… Pour ma visite, je fais quoi, je demande à la dame en bas ?
Lucas :
Non… Non… Surtout pas… Je vous dois combien ?
Toubib :
Ce sera cent francs, avec les pansements.
Lucas le paye. Le toubib s’éloigne et descend l’escalier.
Toubib :
Et rappelez-vous: prudence !
Lucas :
Ouais. C’est ça, ouais…
Il entre dans la chambre.
INT Jour, chambre de Max
Max est allongé sur son lit. Maxime est assis sur une chaise. La vieille tête de Max repose sur le coussin, blafarde dans la pauvre lumière de la lampe de chevet. Un énorme bandage lui fait un turban sur le front. Il a des pansements sur le menton et en travers du nez. Sa joue droite est marquée d’une grande ecchymose bleue.
Lucas (soupirant) :
Non mais qu’est-ce que t’as encore fait ?
Max hausse les épaules et émet une série de sons aigus.
Max :
Hou !… Hou, hou !…
Pendant quelques secondes, on croit qu’il sanglote. Puis on réalise qu’il est en réalité pris d’un fou rire qu’il essaie de réprimer.
Lucas :
Max, bon dieu, tu deviens maboul ou quoi ?
Max ouvre grand la bouche et s’esclaffe carrément. Il tressaute sur son lit, maintenant, plié en deux, les bras croisés sur le ventre, des larmes coulant sur sa face.
Lucas :
Max, merde, quoi !
Max (hoquetant) :
S… sal… salle de bains !
Lucas se dirige vers la salle de bains, dont il pousse la porte.
(À suivre)
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