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PANAME, PANAME, PANAME… 24

Publié par le 16 mai 2020



Adaptation en mini-série TV de mon Roman Pigalle Blues (ed. Ramsay).

 

INT Jour, matin, temps présent, chambre d’hôtel

Lucas (âgé) est en compagnie d’Irina, la jeune femme suédoise rencontrée (et séduite) quelques jours plus tôt devant l’immeuble qui abritait l’hôtel de Fernande. Tous deux sont allongés sur le lit. Leurs tenues, peignoir de bain pour elle, et serviette nouée aux hanches pour lui, témoignent de leur intimité. Entre eux, sur un plateau, les restes d’un plantureux « breakfast ».

Irina achève de lire les pages écrites par Lucas. Elle pose le dernier feuillet sur la pile.

Irina (touchée) :
Et ensuite ?

Lucas :
On a vécu au jour le jour. C’était l’hiver et on savait qu’il n’y aurait pas de printemps…

Irina :
C’est terrible !

Lucas :
Oh, on n’était pas malheureux, la plupart du temps. Elles n’étaient ni pénibles ni dramatiques, ces journées. L’atelier était devenu un monde clos, isolé du froid du dehors, comme immobilisé dans le temps. Il y avait seulement cette putain de cérémonie du shoot d’héroïne, toutes les quatre heures, qui nous ramenait à la réalité.

Irina :
Qu’est-ce que vous faisiez ? L’amour ?

Lucas :
Elle ne pouvait plus. Elle avait trop mal…

Irina :
Min Gud !

Lucas :
On parlait. Oui, on a beaucoup discuté. Moi assis au bord du lit, elle couchée, le dos calé sur des oreillers. De tout… Les gens. Les sentiments. Le sort de la planète. L’humanité. L’existence… (Il rit tristement) On n’avait jamais eu le temps de discuter, alors il fallait se dépêcher.

 

Fondu sur :

 

INT Jour, temps passé, échoppe de bouquiniste

Lucas (jeune) longe les étagères, une bon nombre de livres sous le bras. Il s’arrête, en tire un d’une rangée et le joint aux autres.

On entend la voix de Lucas (âgé) qui continue de raconter cette période à Irina.

Lucas (âgé, voix off) :
Elle s’était souvenue de livres qu’elle n’avait pas eu le temps d’ouvrir et d’autres qu’elle avait envie de relire avant de partir. J’étais allé les acheter chez un bouquiniste de la rue Custine et on s’en délectait ensemble. Je lui faisais la lecture. Elle écoutait… Hugo, Stendhal, Balzac, Zola… Elle aimait bien ces gens-là. Moi, c’est à ce moment-là que j’ai découvert Dumas, Sue, Zevaco…

 

INT Nuit, atelier

Fred est couchée sous la couette, le dos calé. Lucas, assis à côté d’elle, lit à voix haute, avec passion, un extrait de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, dans une vieille édition de poche. Fred écoute avec ravissement.

Lucas (jeune) :
« … Et parmi ces monstres ainsi réveillés de leur sommeil de pierre par cette flamme, par ce bruit, il y en avait un qui marchait et qu’on voyait de temps en temps passer sur le front ardent du bûcher comme une chauve-souris devant une chandelle… Sans doute ce phare étrange allait éveiller au loin le bûcheron des collines de Bicêtre, épouvanté de voir chanceler sur ses bruyères l’ombre gigantesque des tours de Notre-Dame… »

Fred :
Tu imagines, si ça arrivait vraiment ?…

 

INT Jour, atelier

Fred est couchée sous la couette, le dos calé. Lucas, assis à côté d’elle, lit à voix haute, avec passion, un extrait de Alexis Zorba de Nikos Kazantzaki, dans une vieille édition de poche. Fred écoute avec ravissement.

Lucas :
« … Aussitôt le Russe s’élançait, et allez ! Il se mettait à danser ! Il dansait comme un possédé. Et moi, je regardais ses mains, ses pieds, sa poitrine, ses yeux et je comprenais tout : comment ils étaient entrés à Novorossisk et avaient tué leurs maîtres, comment ils étaient entrés dans les maisons et avaient enlevé les femmes. Et puis après, c’était mon tour. Je m’élançais, j’écartais les chaises et les tables et je me mettais à danser. Ah mon pauvre vieux, ils sont tombés bien bas, les hommes ! Pouah ! Ils ont laissé leurs corps devenir muets et ils ne parlent plus qu’avec la bouche… »

Fred :
C’est vrai… Se raconter des histoires en dansant, quelle belle idée !

Lucas :
Oui. Il est fort, ce Grec.

Fred :
Je crois qu’il est crétois.

Lucas hausse les épaules, genre « on s’en fout d’où il était », et reprend.

Lucas :
« Tout, il comprenait. Mes pieds, mes mains parlaient, mes cheveux aussi et mes habits. Et un canif qui pendait à ma ceinture, lui aussi, il parlait… »

 

INT Nuit, atelier

Fred est couchée sous la couette, le dos calé. Lucas, assis à côté d’elle, lit à voix haute, avec passion, un extrait de L’Espoir d’André Malraux, dans une vieille édition de poche. Fred écoute avec ravissement.

Lucas :
« Mais le dialogue venait de changer :
— Allô Hueca ?
— Qui parle ?
— Le comité ouvrier de Madrid.
— Plus longtemps, tas d’ordures ! Arriba España !… »

Fred rit de la manière dont Lucas joue la comédie.

Lucas :
« Au mur, fixée par des punaises, l’édition spéciale (7 h 00 du soir) de Claridad, sur six colonnes : « Aux armes, camarades ! ».
— Allô Avila ? Comment ça va chez vous ? Ici la gare.
— Va te faire voir, salaud. Vive le Christ-Roi !
— Ah ouais ? Ben à bientôt, salud !… »

Fred :
Tu lis bien !

Lucas (après un bref sourire de contentement) :
« Les lignes du Nord convergeaient vers Saragosse, Burgos et Valladolid.
— Allô Saragosse ? Le Comité ouvrier de la gare ?
— Fusillé. Et autant pour vous avant longtemps. Arriba España !
— Allô Tablada ? Ici Madrid-Nord, le responsable du syndicat…
— Téléphone à la prison, enfant de putain ! On va aller te chercher par les oreilles.
— Ah ouais ? Ben rendez-vous sur l’Alcala, deuxième bistrot à gauche.
Ceux du central regardaient la gueule de jovial gangster frisé de Ramos.
— Allô Burgos ?
— Ici le Commandante.
Plus de chef de gare. Ramos raccrocha… »

 

INT Jour, atelier

Fred est couchée sous la couette, le dos calé. Lucas, assis à côté d’elle, lit à voix haute, avec passion, un extrait de Huckleberry Finn de Mark Twain, dans une vieille édition de poche. Fred écoute avec ravissement.

Lucas :
« Eh ben, tu vois, c’était comme ça. La vieille maîtresse – c’est Miss Watson – elle me crie après, et elle me traite un peu dur, mais elle a toujou’ dit qu’elle me vendrait pas à la Nouvelle-Orléans. Mais y a pas longtemps j’ai vu qu’y avait un marchand de nèg’, un bon bout de temps, chez elle, et je commence à pas me senti’ bien. Eh ben, un soi’ je me glisse à la porte, l’était tard, et la porte, elle est pas bien fermée, et j’entends la vieille maîtresse, qu’elle dit à la veuve qu’elle va me vend’ à Orléans, qu’elle voulait pas, mais on lui donnait huit cents dollars pour moi, et c’était une si grosse somme d’argent qu’elle pouvait pas refuser. La veuve, elle essaye de lui faire dire qu’elle le fera pas, mais j’ai pas attendu d’entend’ le reste. J’ai fiché le camp à toute vitesse, je peux te le di’… »

Fred rit aux éclats, d’un rire qui se termine par une horrible quinte de toux.

Lucas pose le livre, attrape au pied du lit la boîte à chaussures qui contient le matériel à shoot et en sort la seringue.

 

INT Jour, temps passé, magasin de location vidéo

Lucas (jeune) au comptoir un loueur de cassettes VHS, règle la location d’une demi douzaine d’entre elles.

Lucas (âgé, voix off) :
Il y avait un loueur de cassettes vidéo pas loin. J’y allais tous les trois jours. Je me souviens qu’un soir, on a regardé Le Ciel Peut Attendre…

 

INT Nuit, atelier

Fred et Lucas regardent l’écran d’une télé posée au pied du lit.

Irina (voix off) :
Je ne connais pas.

Lucas (âgé, voix off) :
C’est un vieux film de Lubitsch avec Gene Tierney. L’histoire d’un type qui vient de mourir, qui se retrouve dans l’antichambre de l’enfer et qui raconte sa vie au diable…

Sur l’écran, on distingue le héros, joué par Don Ameche en tête à tête avec le diable, un colosse à la barbe en pointe (Laird Cregar), en costume moderne.

Fred baisse brusquement le son.

Fred :
S’il y avait vraiment quelque chose après ? Tu t’imagines, le paradis avec les anges et tout, et puis Dieu avec sa grande barbe blanche…

Elle mime la barbe sur sa poitrine, gonflant ses joues creuses dans une expression de gros monsieur sévère, un éclat enfantin dans ses yeux fiévreux.

Fred :
Et puis tout le monde avec son auréole sur le crâne, les pieds dans les nuages, tout en bleu et blanc… Oh, ce serait trop !

Elle rit. Son rire se transforme en toux. Elle domine sa quinte.

Fred :
Je te vois bien en ange, toi, tiens ! Avec ton piano sur le ciel… Remarque, il faudrait déjà qu’ils te laissent entrer !…

 

Fondu sur :

 

INT Jour, temps présent, chambre d’hôtel

Fred et Irina sont toujours dans la même position.

Irina :
Tu dis vrai. Ce n’était pas si mal, au fond…

Lucas (pensif) :
Non. Pas si mal.

Il ferme les yeux.

 

Fondu sur :

 

INT Nuit, atelier, temps passé

En amorce, le noir total. On entend Fred qui hurle. La lumière de la lampe de chevet s’allume.

Elle se tient la poitrine à deux mains en se tordant de douleur, les yeux immenses dégorgeant des flots de larmes, ruisselante de sueur sous sa chemise de nuit, la respiration sifflante d’horrible manière entre chaque cri.

Lucas s’empare précipitamment de la boîte à chaussures.

 

INT Nuit, atelier

Fred continue de hurler.

Lucas, la seringue pleine dans une main, retrousse une manche du pyjama de Fred. Plan sur le bras qu’il découvre, atrocement maigre, recouvert d’hématomes. Il renonce et retrousse l’autre manche, révélant un bras dans le même état.

L’aiguille tâtonne et finit par s’enfoncer entre deux plaies.

Fred se calme quelques instants, puis se remet à crier en se tordant.

Fred :
Je ne veux pas mourir !

Lucas :
Fred…

Fred :
J’ai peur ! J’ai peur ! J’AI PEUR !

Lucas hésite, puis entreprend de préparer un deuxième shoot.

 

INT Nuit, atelier

Lucas, la seringue pleine à la main. Il rabat la couette et découvre les jambes de Fred, tout aussi maigres que ses bras et elles aussi couvertes d’hématomes.

Fred :
J’AI PEUR ! J’AI PEUR !

Lucas trouve une place. Il y pose l’aiguille.

GP sur son visage. On comprend qu’il redoute les conséquences d’une deuxième dose. Puis il se détermine. Il enfonce l’aiguille.

Fred (de plus en plus faiblement) :
J’ai peur ! J’ai Peur ! J’ai p…

Elle se rendort.

 

INT Nuit, atelier

Lucas est assis, totalement immobile. Fred dort.

Très lentement, Lucas baisse la tête et plonge son visage dans ses deux mains.

 

(À suivre)

 

 

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