Adaptation en mini-série TV de mon Roman Pigalle Blues (ed. Ramsay).
INT Jour, chambre d’hôtel moderne, temps présent
Lucas (âgé) est paresseusement allongé dans son lit, torse nu. Au bureau que le soleil de la fenêtre illumine est assise Irina, en slip et seins nus. Elle est occupée à lire les feuillets dactylographiés du récit de Lucas. Ses lèvres articulent silencieusement les mots qu’elle a parfois du mal à comprendre. Un peu plus loin sur la table est posé un plateau couvert des restes d’un petit déjeuner.
Irina se lève, une liasse de pages au poing et va s’allonger à côté de Lucas.
Irina :
Tu vas répéter que Fred est sage, mais on dirait qu’elle apprécie grand le sexe, non ?
Lucas :
Et encore, ce n’était que le début. C’est devenu encore plus torride, entre nous…
Irina :
Torride ?
Lucas :
Chaud. Très très très chaud.
Irina se colle à lui, émoustillée.
Irina :
Raconte !
Lucas :
Ben… C’était la troisième semaine d’août. La chaleur faisait bouillir les sangs. Pigalle était en rut. À ce moment-là, le quartier devenait un manège qui tournait vingt quatre heures sur vingt quatre. Du sexe omniprésent. Un tourbillon. Imagine : la populace grouillante, dévorée par l’envie du cul…
Irina gémit et se love plus fort contre lui. Lucas ferme les yeux et poursuit, emporté par ses souvenirs.
Lucas :
Des meutes de putains étaient montées des provinces pour ramasser les miettes. Les affaires se concluaient à la chaîne dans l’ombre des portes cochères. Les aboyeurs des boîtes à porno s’enrouaient à force de hurler dans toutes les langues d’Europe. Et Fred… Fred était dévorée de curiosité, électrisée par tous ces cris. Les poses. Les tableaux cochons. Je la voyais qui éprouvait des attirances devant certaines vitrines ou certains porches. Parfois, au hasard d’une scène chaude, elle se rapprochait de moi et me parlait de n’importe quoi en faisant mine de ne rien voir tout en continuant à mater. Excitée, quoi, comme tout le monde…
Irina :
Alors ? Qu’est-ce que vous avez fait ?
Lucas :
On a fait les touristes. On a commencé par les sex-shops…
Fondu sur :
INT Nuit, sex-shop
Plans sur des rayonnages de cassettes VHS et de revues aux couvertures obscènes. La boutique est peuplée. En arrière-plan, des clients ne cessent d’entrer et de sortir par le rideau qui masque la porte d’entrée, sous le regard placide du patron vietnamien.
Lucas et Fred sont plantés devant un étalage de godemichés. Fred s’en empare, les uns après les autres et les observe en jubilant : tel énorme et noir, « Black Titan », tel rose poupée au gland rouge, tel affublé de deux testicules réservoirs…
Fred :
Oh, Lucas, et ça !… Ouh, il fait rêver, celui-là… Oh, quelle horreur, berk… Pourquoi ils leur mettent des couleurs pareilles ?…
INT Nuit, chambre de Lucas
Pénombre. Lucas et Fred sont des silhouettes juste un peu plus sombres que l’obscurité. Fred crie de jouissance, en levrette sur le lit dévasté, tandis que Lucas s’affaire derrière elle, agitant un jouet de plastique.
INT Jour, matin, chambre de Lucas
Lucas et Fred boivent chacun une tasse de café, Lucas dans le lit, Fred assise au bord de celui-ci. Elle se passe la main sur le front, éberluée.
Fred :
Putain, comme des bêtes. (Elle pouffe). Com-me-des-bê-teus !
EXT Nuit, crépuscule, Pigalle
Lucas et Fred, revêtue d’une très légère robe d’été mauve, déambulent bras dessus bras dessous parmi la foule excitée qui se bouscule sur le trottoir.
À leur passage devant une façade, les enseignes s’allument : « Hard Sex Show », « Permanent », « Exhibitions Au Maximum ».
Fred :
Qu’est-ce qu’ils font, là-dedans, ils passent des films de cul ?
Lucas :
Non, c’est un peep-show, des femmes qui font leur truc au milieu de cabines individuelles, un truc de voyeur… (Il pointe le doigt sur le panneau qui indique : « 10 F »). C’est pour ceux qui ne peuvent pas se payer un coup avec une femme. Une branlette rapide planqué derrière une vitre. Un self-service, quoi…
Fred (impatiente, le tirant par le bras) :
Je veux y aller !
INT Nuit, entrée du peep-show
Ils dévalent l’escalier qui plonge vers la caisse. Lucas échange une poignée de billets contre de la monnaie auprès d’un vieux type épuisé et cradingue planqué derrière une épaisse vitre. Du corridor obscur comme l’entrée d’une grotte parvient, assourdi, un air de disco de foire. Fred se tient en retrait, le regard ailleurs, jouant l’innocente dans sa petite robe mauve, proprette et incongrue au fond de ce cul-de-basse-fosse.
INT Nuit, cabine
Le couple se glisse dans un réduit grand comme un placard, composé de trois cloisons couvertes de graffitis obscènes. Une chaise, une boîte de mouchoirs en papier éventrée sur une planchette et une corbeille en dessous complètent le décor. Un store de plastique grisâtre obture la fenêtre donnant sur le spectacle, flanqué d’une fente pour recevoir la monnaie.
Lucas y glisse dix balles. Le rideau s’abaisse lentement. Le disco devint assourdissant. Derrière la vitre, au milieu d’un cercle de lucarnes aveugles, éclairée par une rampe de spots de couleur, une grosse femme noire se dandine, le regard vide, en rythme avec la musique. Elle a une trogne de mama de brousse, les outres de ses seins lui tombent sur le ventre et ses cuisses énormes tremblent à chacun de ses sautillements. Tous les cinq pas, dans une série de gestes mécaniques, elle se poigne les seins, leur inflige quatre ou cinq tours, puis s’ouvre le sexe tout en tirant la langue.
Fred la dévore du regard, hypnotisée.
Le rideau remonte. Elle agrippe l’épaule de Lucas, ses yeux plus sombres que jamais, chargés d’une expression de désir salace. Lucas y plonge son regard avec ravissement.
Fred (haletante) :
Mets des pièces, beaucoup de pièces…
Lucas ne se le fait dire deux fois. Il balance dans la machine toute la ferraille de ses poches. Le rideau se rabaisse, découvrant de nouveau la grosse danseuse.
Fred ôte sa culotte en cinq sec et se juche à califourchon sur la chaise, son petit cul tendu de mauve cambré, son visage tourné vers la lucarne, les yeux braqués sur la femme.
Fred :
Baise-moi maintenant !
Lucas relève sa jupe et la pénètre, doucement.
Fred :
Plus fort, vas-y, plus fort…
Lucas se déchaîne. Il la martèle contre la cloison dégueulasse, la cogne contre la vitre, les dents serrées sur un hurlement.
Ils jouissent tous les deux en même temps.
INT Jour, kebab
Lucas et Fred terminent de dévorer deux sandwiches turc dégoulinants de sauce blanche, assis sur des hauts tabourets devant un étroit comptoir, face à la glace maculée de graisse qui couvre tout le mur, les yeux dans ceux du reflet de l’autre.
Fred pose le dernier tiers de son kebab, déjà rassasiée. Elle s’essuie les lèvres, allume une cigarette, réprime une quinte de toux et sourit à Lucas.
Fred :
Lucas chéri… Toi et ton quartier, vous allez me rendre folle !
Elle appuie sa tête sur son épaule, contemple leur reflet dans la glace, puis elle se met à rire tout en toussant.
Fred :
Waow, j’ai jamais pris mon pied comme ça, moi !
Lucas rit à son tour. L’un entraînant l’autre, ils rigolent de plus en plus fort, jusqu’au fou rire.
Derrière le comptoir, le jeune Turc qui découpe de la viande sur le giro, entraîné par leur gaieté, s’esclaffe lui aussi.
Fondu sur :
INT Jour, temps présent, chambre d’hôtel
Plan sur le visage de Lucas (âgé) qui rit, mais beaucoup plus doucement, plus tristement que dans le plan précédent. Assise au bord du lit, Irina sourit, rêveuse.
Irina :
C’était pas chaud, c’était le brûlante, alors !
Lucas :
Plutôt, oui. Et ça n’a pas arrêté pendant quinze jours.
Irina :
Raconte !
Lucas :
Okay.
Fondu sur :
INT Nuit, immeuble
Lucas et Fred grimpent les marches d’un escalier d’immeuble délabré et sale. On entend des engueulades en dialecte africain. Ils atteignent un palier où cinq Africaines attendent les clients à poil s’échangeant un gros joint d’herbe.
INT Nuit, club S.M.
Lucas et Fred sont blottis l’un contre l’autre au fond d’un petit club voûté, à la décoration rouge et noire, avec chaînes, pilori et autre dispositifs sado-masos. Les femmes présentes sont vêtues de cuir. On aperçoit une fille nue sur une croix de saint André et un homme cagoulé de cuir tenu en laisse.
INT Nuit, club « trans »
Lucas et Fred se frayent leur chemin dans un bouge surpeuplé où évoluent, parmi une clientèle mâle, une vingtaine de transexuls asiatiques aux regards absents, visiblement stoned, défoncés à l’héroïne. On s’attarde sur des filles de rêve, d’une beauté époustouflante, parfois pourvues d’un petit sexe de garçon.
Sur une minuscule scène, un trans effectue un numéro de strip tease.
Lucas et Fred se faufilent sur un côté de la scène.
INT Nuit, coulisses du club « trans »
Lucas et Fred dans une étroite loge d’artiste. Plusieurs, ladyboys se maquillent devant des miroirs. L’un d’eux sniffe de l’héroïne.
Ils gagnent un réduit qui sert de débarras. Ils se collent l’un à l’autre et font l’amour, alors que les trans passent tout près d’eux, trop défoncés pour remarquer leur présence.
INT Nuit, club lesbien
Un cabaret sur la scène duquel deux femmes miment l’amour.
La caméra évolue dans le public, jusqu’à se fixer sur Lucas et Fred, attablés devant une bouteille de Champagne. Lucas s’applique à la caresser tandis qu’elle se repaît des ébats des dames sur la scène.
EXT Nuit, rue
Fred attend au creux d’une porte cochère, dépoitraillée au maximum, une jambe relevée, talon appuyé à la porte derrière elle. Elle fume une cigarette en réprimant une toux.
Lucas surgit de l’ombre.
Lucas :
Salut. T’as l’air bonne, toi…
Fred :
Salut. Tu veux essayer ?
Lucas :
Ça dépend, poupée. Tu suces ?
Fred (se passant la langue sur les lèvres) :
J’adore ça.
Le buzzer de la porte retentit. La porte s’ouvre. Fred manque de perdre l’équilibre. Un homme à l’air gêné se faufile dans la rue. Il est suivi d’une professionnelle qui toise Lucas et Fred.
La professionnelle :
À quoi vous jouez, vous deux ? Dégagez, et plus vite que ça !
Lucas et Fred s’enfuient en riant.
INT Jour, petit matin, café des Deux Moulins
Lucas et Fred boivent des cafés au bar-tabac de la rue Lepic.
Fred :
Waaa… je suis encore saoule.
Lucas :
C’est le Champagne. Putain, j’ai bu plus de Champagne ces derniers temps que pendant toute ma vie.
Fred :
Moi aussi… Je peux te demander un truc ?
Lucas :
Tout ce que tu veux, ma belle.
Fred (baissant le ton) :
J’ai envie…
Elle se tait.
Lucas :
Vas-y, dis-moi.
Fred :
J’ai envie d’une femme.
Lucas :
Envie comment ?
Elle le regarde comme s’il était demeuré.
Fred :
Je voudrais coucher avec une femme. Je ne l’ai jamais fait et je me dis que… ça me trotte dans la tête, quoi ! (Elle lui prend la main). Seulement, je voudrais le faire avec toi. Rien qu’avec toi. Alors il faut que tu sois d’accord…
Lucas :
Eueueuh… Je vais réfléchir.
Il éclate de rire. Elle éclate de rire à son tour.
(À suivre)
One Response to PANAME, PANAME, PANAME… 10