Adaptation en mini-série TV de mon Roman Pigalle Blues (ed. Ramsay).
INT Jour, temps passé, appartement de Lucas
Planté devant la glace, Lucas (jeune) essaie un chapeau mou, secoue négativement la tête, coiffe un chapeau melon (accessoire de théâtre) qu’il rejette aussitôt en haussant les épaules, choisit enfin une casquette, approuve son reflet et se l’enfonce sur la tête jusqu’aux sourcils.
Sur ce, il enfile un vaste imperméable mastic à la Bogart qui, avec la casquette, lui donne l’apparence d’un détective de cinéma.
EXT Jour, place des Abbesses
Ainsi attifé, la tête rentrée dans les épaules, le visage disparaissant presque sous son col relevé, Lucas traverse la place et s’enfonce dans la rue La Vieuville.
EXT Jour, funiculaire
Lucas poireaute à la station basse du funiculaire de Montmartre (rue Seveste), en compagnie d’un groupe d’anglais excités, portant écharpes, chapeaux et accessoires aux couleurs d’un club de foot. Un trio, visiblement beurré, chante un hymne de supporters.
Excédé, Lucas renonce à attendre et emprunte le long et raide escalier de la rue Foyatier.
(Note : Il y aura ici anachronisme, les cabines du funiculaire de l’époque (1982) ayant été remplacées depuis. À moins d’être financé par Hollywood…)
Alors qu’il grimpe les marches, histoire de se décrasser les oreilles du chant footballistique, Lucas entonne entre ses dents La complainte de la Butte (paroles de Jean Renoir, musique de Georges Van Parys).
Lucas :
En haut de la rue St-Vincent… Un poète et une inconnue… S’aimèrent l’espace d’un instant… Mais il ne l’a jamais revue…
INT Jour, bar-tabac de la place du Tertre
Lucas est posté au bar-tabac de la place du Tertre, à la table qu’on connaît déjà, près du présentoir à cartes postales.
Fred apparaît dans le café de la même manière que la première fois, dans la queue des acheteurs de cigarettes.
Lucas se lève, ayant soin de remonter le col de son imper, et va se planter sur le trottoir d’en face.
EXT Jour, place
Fred sort. On remarque de nouveau sa pâleur et sa maigreur ainsi que son air absent, à la fois renfrogné et égaré.
Elle passe devant Lucas sans le remarquer. Il la suit.
EXT Jour, rues de Montmartre
Fred devant, Lucas derrière. Ils longent l’arrière du Sacré-Cœur, s’engagent dans la rue du Cheval, puis dans l’étroite rue de la Bonne, qui redescend vers Lamarck.
Fred entre dans un petit immeuble.
Après avoir attendu un instant, Lucas entre à son tour.
INT Jour, hall de l’immeuble de Fred
Un hall minuscule, sans concierge. Un escalier de bois à fine rampe de fer. Une porte à petits carreaux, au fond, qui donne sur un jardin attristé par l’hiver.
Une des cinq boites aux lettres se détache des autres, peinte en trompe l’œil imitant le marbre. Elle porte une plaque de bois sur laquelle est pyrogravé « Frédérique Vidal, peintre », et en dessous : « fond du jardin ».
Lucas (marmonnant) :
Peintre… Bien sûr… Peintre…
Il ressort.
CUT
EXT Jour, rue Seveste
Musique (off) : La Complainte De La Butte.
En haut de la rue St-Vincent / Un poète et une inconnue / S’aimèrent l’espace d’un instant / Mais il ne l’a jamais revue / Cette chanson il composa / Espérant que son inconnue / Un matin d’printemps l’entendra…
Lucas attend le funiculaire. Cette fois, il n’y a avec lui qu’une dame en compagnie de sa petite fille. Il a repris sa vêture habituelle : blouson de cuir, bonnet noir.
INT Jour, cabine
Lucas dans le funiculaire qui monte. La petite fille le dévisage avec curiosité. Lucas lui sourit. Elle lui rend timidement son sourire avant de se dissimuler le visage dans le manteau de sa mère.
EXT Jour, rue de la Bonne
Lucas entre dans l’immeuble de Fred.
INT Jour, immeuble de Fred
Lucas parvient à un palier, devant une unique porte de métal. Une plaque indique « Fred Vidal ». Pas de sonnette. Lucas inspire une bonne fois pour se donner du cran et frappe trois grands coups.
Musique :
Quelque part au coin d’une rue / La lune trop blême / Pose un diadème / Sur tes cheveux roux / La lune trop rousse / De gloire éclabousse / Ton jupon plein d’trous / La lune trop pâle / Caresse l’opale / De tes yeux blasés…
La porte s’ouvre sur un grand gaillard blond et souriant qui adresse à Lucas un haussement de sourcils interrogateur.
Plan sur la porte fermée. On comprend que le blond était sorti de l’imagination de Lucas.
La porte s’ouvre de nouveau sur un homme âgé et élégant, puis sur un costaud à moustaches.
INT Jour, palier
La porte s’ouvre sur Fred.
Elle donne l’impression d’être très pâle, menue, fragile dans une grande blouse blanche tâchée de toutes les couleurs de la palette. Le pinceau qu’elle tient à la main tremble.
Elle dévisage Lucas, interdite, prise par surprise. Ses lèvres remuent des mots qu’elle ne parvient pas à dire. On remarque que le souffle lui manque.
Contrechamp : Lucas essaie un sourire mal assuré.
Lucas :
Bonjour, Fred…
Fred inspire, cligne des yeux, se reprend, se redresse.
Fred (voix froide) :
Lucas.
Lucas :
Ben… Oui.
Fred (s’effaçant) :
C’est une surprise. Entre.
Musique :
La lune trop rousse / De gloire éclabousse / Ton jupon plein d’trous / La lune trop pâle / Caresse l’opale / De tes yeux blasés / Princesse de la rue / Soit la bienvenue / Dans mon cœur blessé…
INT Jour, atelier de Fred
C’est un loft immense, au plafond très haut barré d’antiques poutres de bois et aux murs percés d’immenses fenêtres voilées de stores blancs. De tous côtés, il y a des tables couvertes de pots de peinture et de vases contenant des bouquets de pinceaux. Et des tableaux, des dizaines de tableaux. Quatre gigantesques toiles suspendues à des chaînes tombant des poutres représentent d’étranges paysages de nuit hachurés où se distinguent des roches bleutées, des étendues de mer sombre et des entrées de cavernes.
Fred guide Lucas jusqu’au fond de cette grande salle, où s’élève une mezzanine moderne en teck, avec, en dessous, un coin salon : fauteuils en osier recouverts de coussins de soie à grosses fleurs, divan, table basse.
Fred invite du geste Lucas à s’asseoir.
Fred :
Tu veux boire quelque chose ?
Lucas :
Bof, du whisky. Ou bien du café. Ou du vin, si tu en as…
Fred :
Du vin.
INT Jour, atelier de Fred, coin salon
Fred revient du fond de l’atelier, porteuse de deux hauts verres emplis de vin rouge qu’elle pose sur la table basse. Elle s’assoit sur l’un des fauteuils, allume une cigarette et tousse après avoir aspiré la première bouffée.
Fred (polie, sans chaleur) :
Alors, Lucas, comment vas-tu ?
Lucas (mal à l’aise) :
Et bééééé, à l’aise, quoi, tranquille…
Fred :
Comment as-tu trouvé mon adresse ?
Lucas :
C’est Mickey. Tu te souviens de Mickey, au cabaret ?
Fred :
Bien sûr…
Lucas :
Il t’a vue plusieurs fois dans le coin, alors il a pensé qu’il devait m’en parler. Et puis, hier, je t’ai vue au tabac, alors…
Fred (indifférente, à croire qu’elle n’écoute pas) :
Hon, hon…
Ils sirotent leur pinard en silence. Le temps semble long. Lucas est gêné. Fred répugne évidemment à le voir et à lui parler.
Fred :
Je suis désolée pour Max.
Lucas :
Ah ouais, ça, le Max, il nous a fichu à tous un sacré coup, on peut le dire…
Fred :
C’était un type très attachant. J’ai lu ton article dans le journal. Il était très bien. Il m’a fait pleurer. J’ai pensé à toi ce soir-là…
Cet aveu d’émotion semble une ouverture à Lucas. Il se lance.
Lucas :
Fred, tu es avec un autre homme ?
Fred :
Un homme ? Tu es con ou quoi ? J’en ai plein, des hommes. Chaque fois que j’en ai envie…
Elle claque des doigts pour illustrer combien ça lui est facile.
Lucas :
Pourquoi t’es partie ?
Fred :
Pourquoi, à ton avis ? On s’en va quand on en a marre, quand on a pris le meilleur et que ça va devenir chiant !
Lucas en reste interdit un moment. K.O. Au tapis. Assommé.
Lucas :
Fred, pourquoi tu fais la méchante ?
Fred serre les mâchoires et durcit son regard jusqu’au mépris.
Fred :
Avec vous, les mecs, il faut l’être. Dés que vous avez tiré un coup, vous vous croyez propriétaire… Tu as fini ou tu as d’autres questions ?
Lucas se lève et part. Il gagne la porte sans se retourner et sort.
Fondu sur :
INT Jour, temps présent, appartement de Nicolas
Nicolas chante la Complainte De La Butte en s’accompagnant au piano. Lucas (âgé), accoudé contre l’instrument, chante avec lui.
Nicolas :
Je sens sur tes lèvres / Une odeur de fièvre / De gosse mal nourri / Mais sous ta caresse / Je sens une ivresse / Qui m’anéantit…
Lucas et Nicolas :
Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux / Les ailes des moulins protègent les amoureux / Mais voilà qu’il flotte / La lune se trotte / La princesse aussi…
Lucas (seul, Nicolas jouant au piano) :
Sous le ciel sans lune / Je pleure à la brune / Mon rêve évanoui…
Lucas et Nicolas :
Sous le ciel sans lune / Je pleure à la brune / Mon rêve évanoui…
En chœur, ils laissent filer la dernière note. Nicolas plante un dernier accord sur le clavier.
Nicolas :
Et c’est tout ? C’est comme ça que ça s’est fini ?
Lucas (soupir) :
Si ça avait été aussi simple…
(À suivre)
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