browser icon
You are using an insecure version of your web browser. Please update your browser!
Using an outdated browser makes your computer unsafe. For a safer, faster, more enjoyable user experience, please update your browser today or try a newer browser.

PANAME, PANAME, PANAME… 22

Publié par le 2 mai 2020



Adaptation en mini-série TV de mon Roman Pigalle Blues (ed. Ramsay).

 

INT Nuit, temps présent, hôtel

Lucas (âgé) est penché sur sa machine à écrire. La caméra s’approche de la feuille engagée dans le rouleau. On peut lire :

Le monde est devenu absurde.
Et NOIR.

 

Fondu sur :

 

EXT Nuit, temps passé, Pont-Neuf

Lucas (jeune) et Fred se font face.

Fred :
Mon chemin se termine. Je n’en ai plus que pour quelques semaines, un mois, deux, peut-être…

Lucas :
Comment peux-tu être sûre ?

Fred hausse les épaules, trouvant la question stupide. Elle se tourne d’un bloc face à la Seine et continue d’une voix forte, comme si elle s’adressait au fleuve plutôt qu’à Lucas.

Fred :
J’ai vingt-deux ans, j’aime la vie, j’aime Lucas, j’aime peindre et j’ai du talent pour ça, et pourtant je vais crever. Que c’est con ! Oui, vraiment, c’est idiot de mourir à vingt ans. C’est absurde. C’est absurde et noir.

Lucas (désemparé) :
Fred…

Elle lui fait de nouveau face.

Fred (désignant sa poitrine) :
Un cancer, là. (Elle récite) : « Un adénocarcinome fortement métastasé »… Ça veut dire qu’il a été décelé trop tard. On ne peut plus rien faire pour me sauver. C’est pour ça qu’il faut que tu partes.

Lucas (secouant la tête) :
Non.

Fred :
Je ne veux pas aller à l’hôpital. Je ne veux pas qu’ils me mettent un numéro. Je ne veux pas qu’ils me torturent pour me maintenir en vie. Je veux mourir seule.

Lucas :
Non.

Fred (exaspérée) :
Bientôt, je ne serai plus belle à voir et je ne veux pas que tu voies ça, alors laisse-moi mourir seule. Lucas : pars !

Lucas (buté) :
Non.

Fred (criant) :
PARS !…

 

Fondu sur :

 

INT Nuit, temps présent, hôtel

Toujours assis devant sa machine, Lucas parle à voix haute.

Lucas :
Vous êtes des héros, vous ? Moi, non. Moi, j’ai hurlé ma peine et ma peur. J’ai sangloté à grands cris, la broyant dans mes bras, sans entendre sa voix qui, au creux de mon oreille, me suppliait de me calmer.

 

CUT

 

INT Jour, temps passé, atelier de Fred

Fred et Lucas sont assis sur le divan, dans le petit espace salon sous la mezzanine. Sur la table basse, deux mugs de boisson chaude. On comprend que la discussion en cours dure depuis un moment.

Fred (sérieuse, logique) :
Il n’y a pas de raison que tu me voies moche et malade.

Lucas (impavide) :
Tu seras toujours belle, Fred.

Fred :
Tu n’imagines pas ce que ça va être. Rien ne t’oblige à traverser ce calvaire. Sauve-toi, il est encore temps !

Alors que Lucas répond, on entend la voix de Lucas âgé, en off, qui dit les mêmes mots.

Lucas et Lucas âgé :
Tu pourrais avoir la lèpre, ton corps pourrait pourrir et ta chair partir en lambeaux, je te prendrais encore dans mes bras pour te couvrir de mes baisers.

Fred (soupirant) :
Lucas…

 

INT Nuit, atelier de Fred, mezzanine

Fred est couchée, adossée à des coussins. Lucas est assis au bord du lit.

Fred :
Va vivre, mon amour. Moi, je resterais là, avec ton souvenir.

Lucas :
Non.

Fred :
Je serais heureuse de savoir que tu es de nouveau libre. Je penserais à toi en train de boire dans les bars, de jouer du piano pour les touristes et de draguer les jolies filles.

Lucas :
Impossible.

Fred (insistante) :
Je serais bien…

Alors que Lucas répond, on entend la voix de Lucas âgé, en off, qui dit les mêmes mots.

Lucas et Lucas âgé :
Impossible : je ne serais pas encore au bas de la rue que je reviendrais en courant vers toi, parce que vivre loin de toi en te sachant seule dans la douleur m’est im-pos-sible.

Fred (soupirant) :
Lucas…

 

INT Jour, atelier de Fred

Lucas est juché sur un tabouret, entouré de chevalets vides. Fred arpente l’espace d’un pas nerveux.

Fred (énervée) :
Je veux être seule, putain !

Lucas :
Ce n’est pas vrai.

Fred :
Je n’ai pas besoin d’une nounou ! Qui te dit que j’ai envie de voir ta gueule ?

Lucas :
Je le lis dans tes yeux.

Alors que Lucas répond, on entend la voix de Lucas âgé, en off, qui dit les mêmes mots.

Lucas et Lucas âgé :
S’il le faut, je passerai des journées entières à me battre, je me laisserai cribler de tes pleurs, tes supplications, même tes insultes, et je le déclinerai sur tous les tons et à tous les modes : Non, Fred, je ne pars pas, ma place est là, à côté de toi.

 

EXT Nuit, rue Houdon, façade du Gaby-Taboo

Lucas discute sur le trottoir avec un couple. On reconnaît les acteurs pornos du mois d’août, La Banane et sa femme asiatique, Minh.

La caméra s’approche. On saisit des bribes de leur conversation.

Minh (agressive) :
Combien tu me donnes ?

Lucas (fatigué) :
Combien tu veux ?…

 

INT Nuit, métro

Lucas et Minh assis sur une banquette dans un wagon, ne se regardant ni ne se parlant.

 

INT Nuit, immeuble

Lucas et Minh dans un corridor d’immeuble type HLM. Minh frappe à une porte sur un rythme convenu. Un asiatique méfiant ouvre. Minh et lui échangent quelques phrases dans leur langue. L’asiatique acquiesce et fait signe à Lucas qu’il peut entrer. Minh tend la main. Lucas lui remet une pincée de billets. Elle s’en va sans se retourner. Lucas entre dans l’appartement. La porte se referme.

 

EXT Nuit, boulevard

Au pied de l’immeuble, Lucas s’engouffre dans un taxi.

 

INT Nuit, taxi

Lucas se renverse sur la banquette et ferme les yeux.

 

Fondu sur :

 

INT Nuit, imaginaire de Lucas, bureau de commissariat

Lucas est assis, menottes au poignet, en face d’un inspecteur. Sur le bureau de celui-ci est posé un paquet de poudre blanche scellé au chatterton.

Inspecteur :
Un kilo d’héroïne double-dragoon, la meilleure du marché, quasiment pure… Et c’est pour ta conso personnelle, hum ?

Lucas ne répond rien. Le flic examine son passeport.

Inspecteur :
Et ton boulot, c’est pianiste au cabaret le Gab… le Gaby-Taboo… C’est ça ?… À Pigalle, hum ?…

Lucas :
Je vais vous expliquer…

Inspecteur :
Essaie toujours…

Lucas (épuisé) :
Ma femme a un cancer.

Inspecteur :
Voyez-vous ça !

Lucas :
C’est un être merveilleux et libre qui ne veut pas crever à l’hôpital avec pour compagnie la mort et d’autres morts.

Inspecteur :
Continue, tu m’intéresses…

Alors que Lucas répond, on entend la voix de Lucas âgé, en off, qui dit les mêmes mots.

Lucas et Lucas âgé :
Réfléchissez : à l’hosto, ils lui auraient donné de la morphine… L’héroïne, c’est le seul analgésique qu’on puisse trouver hors du circuit médical pour lui permettre de vivre ses derniers jours en liberté et sans hurler de douleur à chaque minute.

Inspecteur :
Tu penses vraiment que je vais te croire ?

Lucas et Lucas âgé :
Elle va très mal, vous savez, monsieur l’inspecteur.

Inspecteur (hélant) :
M’sieur ? Eh, m’sieur !…

 

Fondu sur :

 

INT nuit, retour à la réalité, taxi

Le chauffeur s’est retourné et hèle Lucas.

Chauffeur :
Eh, m’sieur, réveillez-vous, on est arrivés…

Lucas :
Combien je vous dois ?

 

EXT Nuit, Montmartre, rue de la Bonne, devant l’immeuble de Fred

Lucas est sur le trottoir. Le taxi s’éloigne. Lucas vérifie du plat de la main la présence du paquet dans son blouson et entre dans l’immeuble.

 

(À suivre)

 

One Response to PANAME, PANAME, PANAME… 22

Laisser un commentaire